Le site pro-vie LifeSiteNews vient de publier la réaction très pointue de Mgr Michel Schooyans, spécialiste des questions démographiques et du droit de la vie, à l’affaire de la petite fille de Recife. Professeur émérite de philosophie politique à l’université de Louvain, le prélat a jugé que l’« Affaire de Recife » est d’une « extrême gravité » pour l’Eglise, dans la mesure où la note publiée par Mgr Fisichella dans L’Osservatore Romano introduit une « morale de situation » et même un « relativisme total » à travers le respect de la liberté de choix dans des situations concrètes, relève LifeSite.
Il va jusqu’à écrire dans le résumé de ses commentaires : « Qu’il soit simplement établi que Rino Fisichella justifie ici l’avortement direct. »
Mgr Schooyans est membre de l’Académie pontificale des sciences sociales.
Pour les anglophones, voici le texte complet de son commentaire, toujours sur LifeSite.
En français, voici un résumé de l’article avec quelques-uns de ses « temps forts » dont je vous propose ma traduction.
A propos de l’article de Mgr Fisichella, dont il note le caractère « quelque peu démagogique » et les erreurs de fait, il écrit :
« Le titre de l’article en lui-même fournit une indication claire quant à la position de Mgr Fisichella dans cette affaire : il s’est focalisé sur les intérêts de “Carmen” (ndlr : nom donné pour l’occasion à la fillette). Le caractère unilatéral de ce choix va si loin qu’on ne trouve pratiquement aucun mot de compassion pour les jumeaux victimes d’un double avortement. »
Mgr Schooyans lui reproche d’avoir accepté sans vérification l’affirmation selon laquelle la fillette aurait été en danger de mort : « S’est-il laissé tromper par les journalistes ? A-t-il écrit sous la pression ou la contrainte ? (…) Ce qui aurait dû être prouvé, à savoir que l’avortement était le seul moyen de sauver la mère, dont on considérait la vie en danger, est présenté comme un fait établi.”
Mgr Schooyans note alors que le dossier médical de la fillette établit le contraire : « On ne pouvait d’aucune façon invoquer un quelconque état de nécessité. »
« “Carmen portait une vie innocente”, poursuit Mgr Fisichella, ajoutant : “Dans son cas, la vie et la mort se sont trouvées face à face.” Des affirmations théâtrales, mais inexactes. Carmen portait deux vies innocentes, et ces deux vies – aurait-il dû écrire noir sur blanc – ont été détruites. La mort a été infligée intentionnellement et inéluctablement, sans aucune justification, sur deux bébés absolument innocents. En raison du propos délibéré de réaliser l’avortement, la vie n’a eu à aucun moment une quelconque chance de prévaloir. »
Mgr Schooyans souligne l’absurdité du propos de Mgr Fisichella sur le fait qu’on ne prend pas aisément une décision d’avorter en de tels cas, puisque ni la vie de la fillette, ni celle de ses enfants n’étaient en danger, si ce n’est de la part des « médecins qui ont choisi de pratiquer le double avortement, et des idéologues du droit de choisir ».
Et de noter que cette « flatterie » des médecins, demandant pour eux le respect, constitue une justification indirecte de l’euthanasie pour ceux qui la pratiquent dans des cas extrêmes. « Par ses paroles, Rino Fisichella a semé une grande confusion dans les consciences des médecins du monde entier à propos du respect de la vie, à ses débuts et à sa fin. »
« Rino Fisichella nous fournit une nouvelle surprise lorsqu’il se hasarde à donner des arguments relatifs à la morale fondamentale », poursuit le prélat belge. En affirmant que chaque situation est unique, « Rino Fisichella révèle son adhésion à la morale opportuniste, la morale de l’option fondamentale, la morale proportionnaliste, toutes catégoriquement condamnées par Jean-Paul II dans Veritatis splendor.
Pourtant, Mgr Fischella a bien rappelé dans sa note la condamnation de l’avortement par l’Eglise. Mgr Schooyans relève donc la contradiction interne dans cette note publiée par le président de l’Académie pontificale pour la vie (PAV) : « Pour lui, il faut adhérer aux principes tant que la liberté de choix, avant tout, en face de situations concrètes, est respectée. Voilà ce qui détruit la morale, tant naturelle que chrétienne… »
Mgr Schooyans dénonce encore plus vigoureusement la présentation du droit canon par Mgr Fisichella : « Il y a quelque chose d’inadmissible dans la tentative d’émouvoir le lecteur en l’invitant à “regarder au-delà du cadre juridique” dont la raison d’être ici est de protéger les innocents. Il est, pourrait-on dire, blasphématoire de tordre les paroles du Seigneur de la Vie pour excuser les avorteurs, en même temps – et cela ne fait qu’aggraver l’affaire – que d’exploiter l’infortune de la mère, blessée et privée à jamais de ses deux enfants. »
Il a été reproché à Mgr Cardoso Sobrinho d’avoir fait du tort à la crédibilité de l’Eglise. « Mais l’Eglise et ses pasteurs ne méritent pas d’être crédibles s’ils ne proclament pas la vérité », affirme Schooyans. Et de rappeler que le Pape lui-même, à Luanda, le 20 mars, regrettait que l’avortement puisse être présenté comme une affaire de santé maternelle, déclaration que le P. Federico Lombardi « s’est cru autorisé à édulcorer le lendemain », non sans suggérer que l’avortement pratiqué sur la fillette de Recife était un « avortement indirect », c’est-à-dire non voulu directement.
« Est-il normal qu’un journaliste, même de haute volée, s’érige en interprète autorisé de ce que le Pape vient de dire, spécialement si son interprétation a pour effet d’arrondir les angles des déclarations du Saint-Père ? Il serait sans doute nécessaire de clarifier les niveaux d’expertise et d’autorité. Les paroles du Pape seraient-elles donc si obscures qu’elles nécessitent un déchiffrage de la part d’un magistère médiatique non officiel ? »
Mgr Schooyans souligne ensuite le trouble semé dans l’Académie pontificale pour la vie et l’atteinte à son autorité.
La gravité des prises de position de Mgr Fisichella est alors détaillée. Elles font le jeu des organismes internationaux qui se servent justement des cas extrêmes pour demander la légalisation universelle de l’avortement afin de sauver des vies maternelles. Il porte atteinte aux arguments pro-vie alors même que la bataille fait rage au Brésil et ailleurs, donnant une « légitimité » à tout ce que les mouvements anti-vie ont proclamé depuis des années. D’ailleurs les mouvements pour l’avortement ne s’y sont pas trompés, qui ont accueilli la note avec enthousiasme.
« Les positions prises par Rino Fisichella sont très voisines de celles que l’on rencontre dans les publications du Planning familial, de l’OMS, du Fonds des Nations unies pour la population et des “Catholiques pour le libre choix”. Il est permis de se demander si cette proximité est le fruit du hasard, ou si d’autres explications méritent une investigation. Les lecteurs de l’article ont l’impression qu’une main cachée a joué un rôle. Ce qui nous permet d’envisager cette hypothèse est la différence significative, quant au style et quant à la doctrine, entre l’article publié par Fisichella dans L’Osservatore Romano (…) et une interview (…) publiée par Il Corriere della Sera du 24 janvier 2009. »
En espérant que des secteurs de la Curie romaine ne soient pas imprégnés par l’influence du président Lula, qui avait pareillement attaqué Mgr Cardoso Sobrinho, Mgr Schooyans rappelle qu’une campagne pro-avortement mondiale est menée aujourd’hui par Barack Obama, intensifiée par le couple catholique Tony et Cherie Blair. Ce qui laisse prévoir que « l’Amérique latine sera bientôt sous pression afin d’adopter les “nouveaux droits humains”, y compris le “droit” à l’avortement ».
Pour Schooyans, il est urgent de se demander si la préséance de la Congrégation pour la doctrine de la Foi ne doit pas être établie à l’intérieur de la Curie. Il demande si l’article de Fisichella a été publié en accord avec d’autres autorités vaticanes : « Lesquelles ? Qui a financé, organisé et couvert cet arrangement ? Dans une lettre datée du 14 mai (PAV, ref. 4235/09), Fisichella a écrit : “Cet article a été écrit sur demande.” A la demande de qui ? Il en est qui veulent insinuer qu’une pétition a été adressée à Fisichella, voire une sommation, au niveau du bureau de la Secrétairie d’Etat… C’est une question cruciale sur laquelle la lumière doit être faite. »
Mgr Schooyans n’hésite pas à se demander, vu le nombre de désinformations qui ont conduit à cette affaire, s’il n’y a pas des taupes au Vatican, des menées pour discréditer L’Osservatore Romano, il accuse directement Fisichella de compromettre les efforts immenses déployés par l’Eglise en faveur de la famille et de la vie.
« Il serait désastreux que cette affaire soit couverte par le silence ou qu’elle se poursuive indéfiniment, vu que le trouble est grand parmi les fidèles et que des mouvements “laïques” sont à l’évidence à l’affût pour exploiter la moindre nouvelle faille dans l’unité de l’Eglise. Un silence anormalement prolongé impliquerait que le Saint-Siège confirme la répudiation de l’archevêque Cardoso, prononcée implicitement par Fisichella. »
Il faut faire cesser les multiples erreurs, ajoute Mgr Schooyans, qui utilise le mot « scandale » et parle d’urgence, d’autant que l’affaire ouvre la voie à d’autres « dissidences ».
« L’affaire de Recife souligne que l’unité de l’Eglise ne peut se résumer à une affaire d’opportunité politique. L’Eglise, ou à tout le moins certains de ses membres, est victime d’une stratégie de la tranche de salami. En rejetant Humanae vitae, certains parmi ses pasteurs ont avalé la première tranche : la contraception. L’affaire de Recife révèle que certains de ses pasteurs sont en train d’avaler la deuxième tranche, l’avortement. D’autres tranches sont en attente d’être avalées : l’euthanasie, le “mariage” de personnes de même sexe, diverses forme d’ingéniérie génétique, etc. (…) On se contente d’une vérité qui s’enracine dans l’ambiguïté. Mais cette ambiguïté conduit inévitablement à un relativisme doctrinal généralisé. Cette tendance doit-elle être encouragée ? »
Pour Schooyans, la seule solution se trouve dans une mise au point du Pape lui-même, puisque l’article de Fisichella a créé un doute à propos de la légitimité de l’avortement. « Mais il n’est pas sûr qu’à Rome, la gravité de la situation soit suffisamment perçue », regrette-t-il.