Le scandale actuel concerne les exactions d’un prêtre aujourd’hui décédé, Louis Ribes, ancien professeur de séminaire. Les diocèse de Lyon et Saint-Etienne ont réagi et tentent de faire la lumière sur cette affaire. Voici le communiqué du diocèse de Saint-Etienne :
Les médias ont largement fait état des abus sexuels commis par Louis Ribes, prêtre du diocèse de Lyon, en particulier dans notre diocèse sur la commune de Grammond, dont il était originaire, et où il se rendait régulièrement, notamment lors des vacances d’été.
Les faits sont graves. Le nombre des personnes qui ont été ses victimes, pour la plupart aujourd’hui quinquagénaires, est important et chaque jour d’autres se signalent.
Nous savons aujourd’hui, grâce à leurs témoignages, dans quelles conditions cet artiste peintre réalisait ses œuvres. Il faisait poser des enfants nus, agressant sexuellement certains d’entre eux. C’est en abusant et trahissant la confiance des enfants, de leurs parents et de leurs familles, qu’il a réalisé deux grands tableaux ornant jusqu’à ce jour le chœur de l’église Saint-Pierre de Grammond.
Le mardi 18 janvier, une soixantaine de personnes du village et au-delà ont participé à une rencontre organisée avec la collaboration du maire de la commune. Parmi elles, une douzaine de personnes ont pris la parole avec courage, pour dire qu’elles avaient été victimes de ce prêtre. Partageant une même peine, la parole des uns a permis l’expression des autres dans un climat de grande écoute.
Comme l’a souligné Mgr Bataille en fin de rencontre, « c’est vraiment l’expression courageuse, simple et vraie des participants, dans un grand respect mutuel, qui a fait la qualité de notre rencontre, en lui donnant une rare intensité. C’est un long chemin de libération et de purification qui s’ouvre ».
De nouvelles victimes se sont depuis signalées à la cellule diocésaine d’accueil et d’écoute. J’encourage toutes les autres qui le souhaitent à se manifester et à prendre contact avec nous. Grâce aux dispositifs nationaux décidés par la Conférence des Évêques de France, un parcours personnalisé d’accompagnement et de réparation leur sera proposé, pour les aider dans leurs chemins de reconstruction. Un groupe de parole sera également proposé localement.
Écoutant les récits de personnes victimes d’abus sexuels, je constate chaque fois, avec une grande peine, combien des faits commis il y a plus de quarante ans blessent en profondeur les corps, les esprits et les âmes. Ces personnes victimes viennent nous rappeler d’une part que la vérité, même douloureuse, rend libre (Jn 8, 32), et d’autre part que nous sommes tous concernés par ces drames, souvent encore si présents dans le cœur de ceux qui les ont vécus. Ensemble, nous devons les affronter et trouver des chemins de proximité et de soutien.
Communiqué de Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon :
Vous le savez, depuis quelques jours, plusieurs personnes se sont plaintes d’avoir été abusées dans les années 1960, 70 et peut-être au-delà, par un prêtre originaire de Grammond, dans la Loire, et qui a exercé son ministère dans les diocèses de Lyon et de Grenoble.
Ce prêtre, Louis Ribes, était connu pour être un artiste, dont certaines de ses œuvres sont dans des églises. Hier soir a eu lieu à Grammond, son village natal, une réunion avec les gens du village et une douzaine de personnes victimes, qui ont témoigné de ce qu’elles avaient subi de la part de ce prêtre.
Comme vous pouvez l’imaginer, tout cela suscite une grande émotion et fait ressurgir chez de nombreuses personnes victimes des blessures parfois enfouies depuis des dizaines d’années mais toujours extrêmement douloureuses.
Je suis personnellement atterré par la perversité de ce prêtre qui a abusé de l’innocence de tant d’enfants, et profondément bouleversé par la souffrance de ses victimes, une souffrance lancinante et toujours présente chez la plupart d’entre elles, même si les faits sont anciens.
Ce que l’on peut noter, en positif, au cœur de ce drame, c’est que de plus en plus de personnes arrivent à parler. C’est ce qu’avait souhaité la Commission Sauvé en lançant son enquête il y a quelques années – à l’initiative, vous vous en souvenez, des évêques de France. C’est aussi ce qu’a favorisé la publication du rapport de la Ciase – de fait nous avons constaté une augmentation depuis début octobre du nombre de personnes désirant témoigner.
C’est aussi ce qu’a permis l’appel à témoins que nous avons lancé il y a quelques jours, et que vous, journalistes, avez relayé. Cet appel à témoins a porté du fruit puisque nous avons reçu depuis plusieurs témoignages. Tout cela nous laisse penser que les victimes du Père Louis Ribes sont, malheureusement, certainement très nombreuses.
Dans ce contexte, le diocèse de Lyon a fait le choix de s’inscrire pleinement dans le cadre des décisions que nous, évêques, avons prises à Lourdes. Je souhaite donc donner la priorité aux personnes victimes et faire en sorte que l’Eglise ne se dérobe pas à ses responsabilités.
Même lorsqu’il s’agit de cas anciens, dont on peut se dire personnellement innocent, nous souhaitons assumer le fait que l’Eglise n’a pas su se démarquer de la culture de l’époque, qui était une culture du silence ou du déni, et où on cherchait avant tout à protéger l’institution. En tant que membres de l’Eglise, nous nous sentons concernés par ce qui s’est passé, et souhaitons porter le poids de la faute de quelques-uns.
Dans ce cadre, l’Eglise a décidé la mise en place d’une Instance indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) qui pourra recevoir les victimes et étudier, en dialogue avec elles, la meilleure façon de les aider dans leur chemin de reconstruction. Cette instance sera opérationnelle en février. Une lettre d’information sera envoyée aux victimes très prochainement.
La mise en place de cette instance n’enlève pas bien sûr la possibilité pour les victimes d’être reçues par des membres du diocèse. Concernant les victimes du Père Ribes qui viennent de se faire connaitre, nous les contacterons très prochainement, si ce n’est déjà fait.
Je sais que la fille d’une des victimes s’est plainte de n’avoir pas été reçue par le diocèse. En réalité, il s’agit de la première personne à nous avoir contacté à propos du Père Ribes. Dans les premiers échanges, elle ne souhaitait pas nous rencontrer, ce qui peut tout-à-fait se comprendre, d’autant plus que les abus avaient eu lieu dans le diocèse de Grenoble. Par la suite, elle a pu rencontrer l’évêque de ce diocèse. Elle a ensuite exprimé le désir de me rencontrer, non pas directement, mais en s’adressant au diocèse de Grenoble. Je reconnais qu’il y a eu un manque de coordination et un manque de réactivité qui ont fait que cette prise de rendez-vous a trainé ; je lui en demande pardon. Je précise simplement qu’il n’y a là aucune mauvaise intention, et que je la rencontrerai dès que possible, comme je l’ai fait avec d’autres personnes victimes.
Je vous le disais, le père Louis Ribes était artiste et certaines de ses œuvres sont dans des églises ou autres lieux ouverts au public. Certaines personnes victimes nous ont dit que l’exposition publique de ces œuvres était pour elles insupportable. C’est pourquoi nous avons décidé, avec les trois diocèses concernés (Grenoble, Saint-Etienne et Lyon) de retirer des églises les œuvres qui nous appartiennent. La dépose a déjà commencé, en particulier dans le village de Pomeys, où le Père Ribes passait ses vacances. Lorsqu’il s’agit de vitraux d’églises appartenant aux municipalités, il revient aux maires de prendre une décision. Nous sommes en train de les contacter pour les en informer.
La mise en lumière de ces actes criminels nous bouleverse et nous scandalise. Je vois bien qu’au sein de l’Eglise, certains sont meurtris à chaque fois qu’une nouvelle affaire apparait. Je les comprends bien sûr, mais je voudrais leur dire que, même si c’est douloureux, l’Eglise doit garder cette ligne. C’est la prise en compte de la souffrance des victimes qui est prioritaire, et la vérité doit être faite pour purger ce qui doit l’être. Parallèlement nous poursuivons le travail de prévention qui a été fait, et qui doit toujours être renouvelé, afin que l’Eglise soit un lieu sûr pour tous.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
En revanche, rien sur le site du diocèse de Grenoble. Mgr de Kérimel, en partance pour Toulouse, a été interrogé par France Info. Le moins que l’on puisse dire c’est que la teneur de ses réponses a choqué :
C’est en 2016 qu’une victime de l’abbé Louis Ribes se manifeste auprès du diocèse de Grenoble. L’homme est reçu par le vicaire général, Joseph Antin, aujourd’hui décédé. L’évêque est informé du signalement. «Cette personne voulait récupérer des photos que le père Ribes avait prises de lui, pour les détruire» se souvient Guy de Kerimel.
A la question, «comprenez-vous que le plaignant parle d’agressions sexuelles ?», Guy de Kerimel dit ne plus trop se souvenir. Mais au fil de notre conversation, l’histoire lui revient en mémoire. Et il me confirme que «le Monsieur m’a dit qu’il y avait d’autres enfants».
Le diocèse de Grenoble ne trouve rien dans ses archives. Il sollicite le diocèse de Lyon. Rien. Nous sommes en 2016, c’est le début de l’affaire Bernard Preynat. L’archevêque de Lyon, Philippe Barbarin est empêtré dans cette affaire de pédophilie qui va aussi l’amener à s’expliquer devant des tribunaux.
Je pose alors la question à Guy de Kerimel «Pourquoi l’église n’ouvre-t-elle pas une enquête interne puisqu’elle dispose d’une justice ecclésiale et des moyens d’instruire ?».
La réponse est déroutante, «Vous n’avez rien d’autre à faire que de fouiller dans ces choses-là.» Ma question irrite Guy de Kerimel qui explique qu’une fois les archives vérifiées, il ne voit pas bien ce qu’il y a de plus à faire. Toutefois, il ajoute qu’il a mis en place, cette année-là, une cellule d’écoute des victimes dans le diocèse et « qu’on ne peut forcer les gens à témoigner».
L’ancien évêque de Grenoble, récemment nommé archevêque de Toulouse, se dit convaincu que le supérieur du séminaire des aînés de Vienne-Estressin, en Isère, où Louis Ribes officiait, était au courant. Et il a fermé les yeux. «C’est impossible que ça ne se soit pas su. Il y a eu volonté d’étouffer l’affaire. Mais vous savez, à cette époque le journal Libération faisait aussi la promotion de la pédophilie». e ne vois pas bien le rapprochement avec l’affaire et quid de l’autorité morale de l’Eglise ?
Ma dernière question irrite encore d’avantage l’ancien évêque de Grenoble : « Un religieux qui va chercher un enfant pour l’amener à un prêtre prédateur, cela porte un nom : c’est du proxénétisme ? . La réponse de l’évêque est cinglante : «Je n’aurais pas employé ce terme. Il n’y avait peut-être pas la volonté de fournir de la chair fraîche, mais les supérieurs se sont laissé entraîner dans des affaires plus que douteuses. Il est difficile de se mettre à leur place». Des affaires plus que douteuses ? Sans doute le terme «criminel» serait plus approprié. La conversation s’achève.
Guy de Kerimel, aujourd’hui à Toulouse, ne pourra pas se rendre ce jeudi 27 janvier au soir à la réunion publique sur l’affaire du père Ribes organisée par le diocèse de Grenoble, car, “comme dans tous les diocèses de France, il y a aussi des affaires courantes à traiter à Toulouse.”