L’abbé Hervé Benoît s’étonne, dans le numéro de janvier de La Nef, de la curieuse conception du dialogue au sein de l’Eglise :
Avez-vous remarqué, pour paraphraser un cé- lèbre film, à quel point : « c’est bizarre, chez nos contemporains, ce goût du dialogue… » Revendication universelle qui s’évanouit dans l’instant, lorsque, horreur et scandale, vous réclamez d’y participer. Expliquons-nous.
Le dialogue est l’une des expressions les plus abouties de la pensée occidentale. Son principe est simple : lorsqu’il s’agit d’aborder un problème, politique, moral, philosophique ou religieux, plusieurs interlocuteurs sont invités à donner leur point de vue, à échanger, à s’opposer, le plus ouvertement possible.
C’est une pratique, en particulier littéraire et philosophique, connue dès les débuts de la pensée européenne, en particulier chez les Grecs. Elle peut comporter une part d’artificialité, devenir une simple « convention », masquant une pensée orientée. Peu importe, dans la mesure où le principe est acquis qu’il n’y a pas de pensée juste et légitime sans l’affrontement des contraires, une part de « polémique » dans l’acte de raisonner, une juste place donnée à la contradiction. Il se pratiquait continuellement dans les universités du monde chrétien sous la forme de la « disputatio ». Un écho en demeure à jamais dans cette cathédrale de la pensée qu’est la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin : à chaque pas, la pensée contraire est présentée. L’objection, la contradiction, faisaient partie de l’essence même de l’éducation intellectuelle et de la pensée.
Or, que constatons-nous, aujourd’hui, autour de nous ? Une prétention universelle au dialogue, au débat – en théorie – et une absence concrète de celui-ci dans la réalité.
À l’intérieur de l’Église, on peut dire que la situation est caricaturale. On vient de le voir, de façon paroxystique, ces derniers temps, sur des questions capitales. C’est un secret de Polichinelle que règne, dans les instances de l’« Église de France », un contrôle étroit de la parole au profit d’une autorité qui n’autorise pas le débat hors de petits cercles endogamiques. Il faut un aplomb surprenant pour prétendre prôner le dialogue lorsque l’on a éliminé en amont des instances de réflexion tous les opposants potentiels, lorsque l’on pratique mécaniquement, en aval, le célèbre « il n’y a pas d’alternative ».
On reste pétrifié lorsque ces instances, avec une bonne conscience que rien n’entame, ayant publié des conclusions totalement verrouillées par leur étalage sur la place publique, invitent à la discussion. De qui se moque-t-on, surtout lorsque l’on prétend donner des leçons de morale ? Tous les tacticiens savent que le choix du terrain est le principe premier de l’art de la guerre. Il faut dire que l’exemple vient de haut…
Pire encore, si jamais s’élève une contestation, même raisonnable, même mesurée, la seule réponse est l’indignation ou la démission, quand ce n’est pas l’opprobre moral ou intellectuel jeté sur les contradicteurs.
Dialogue, ô mon beau dialogue, où es-tu… ?