Une lectrice nous envoie ce texte contre la disparition du rite traditionnel voulue par le motu proprio Traditionis Custodes:
Le 16 juillet 2021, le pape François fait publier le motu proprio (lettre apostolique) Traditionis Custodes, qui prédit à brève échéance la disparition de l’ancien rite tridentin, que Benoît XVI avait encouragé et protégé par un motu proprio maintenant obsolète: Summorum Pontificum. La célébration de ce rite est exclue des églises paroissiales, et il est interdit de former de nouveaux groupes de fidèles souhaitant, comme Benoît XVI les y avait autorisés, obtenir la célébration des sacrements par un prêtre dans cet ancien rite tridentin.
Le coup est rude pour les fidèles comme pour les prêtres qui ont refusé de suivre Mgr Lefebvre, un évêque français qui avait préféré sacrer quatre évêques sans l’accord de Rome pour préserver les anciens rituels plutôt que de se réconcilier avec les papes successifs, envers lesquels il ne parvenait pas à éprouver assez de confiance pour maintenir son oeuvre. Les sacres de ces quatre évêques en 1988 avaient été l’occasion du ralliement de nombreux fidèles et de prêtres à la juridiction du pape (Jean-Paul II à l’époque). On leur octroya peu à peu la célébration des sacrements dans l’ancien rite tridentin, et la fondation d’instituts formant des prêtres spécialement ordonnés pour célébrer dans ce rite pour des fidèles d’année en année plus nombreux.
Il convient, face à la remise en cause de tous les accords permis par les différents papes, d’exposer ici quelques raisons non exhaustives pour lesquelles il apparaît crucial de défendre le droit des fidèles et l’ancien rite tridentin.
Ainsi, le rite tridentin est défendable pour plusieurs raisons.
Tout d’abord pour son ancienneté approuvée par les papes les plus saints qui se sont succédés depuis celui qui l’a harmonisé, Saint Pie V, d’heureuse mémoire; pape dominicain soucieux de préserver l’intégrité du rite de la Messe en délégitimant les coutumes trop récentes, il fait de l’ancienneté un critère éliminatoire, qui lui permet de faire triompher les rites monastiques et celui de Rome, dont on lisse les rubriques au moment du concile de Trente pour en faire un rite catholique, universel. D’emblée ce sont deux exigences qui travaillent et définissent le Missel promulgué par Pie V: l’ancienneté bi-séculaire, et la volonté d’universaliser un rite local, celui de Rome, en rectifiant les usages. Le nouveau rite de Paul VI aura précisément des exigences inverses: promouvoir la nouveauté, non sans explorer cependant d’anciennes prières qui n’étaient plus usitées dans le rite romain (on retrouve par exemple la prière initiale: “la grâce de Jésus Notre-Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit-Saint soient toujours avec vous” dans le rite maronite après la consécration), d’anciennes pratiques (l’anamnèse qu’on retrouve dans le rite byzantin), en ne tenant pas compte de l’évolution historique du rite: ce qui s’est toujours fait ou ce qui est le fruit d’une évolution lente et scellée par les lois des rubriques se retrouve l’objet d’expériences de laboratoire au moment du concile Vatican II. Les différentes prières eucharistiques (quatre en tout) du nouveau rite inaugurent cette volonté de faire l’équivalent d’un patchwork de prières qui apparaissent moins comme l’aboutissement du rite tridentin que comme sa remise en cause. Le clergé l’assume, il ne veut plus des anciens usages: les signes de croix disparaissent, la prière eucharistique ressemblant le plus à l’ancienne est rarement utilisée, le minimalisme est de mise.
Face à cela, les fidèles sont déboussolés: la réforme est peut-être légitime, mais elle est appliquée sans instruction, sans fidélité; on recense des cas d’abus liturgiques sporadiques, endémiques. Telle paroisse communie fréquemment à la brioche, telle abbaye consacre le Précieux Sang dans une cruche en verre (au mépris des rubriques qui exigent que les Saintes Espèces soient conservés dans des vases en matière précieuse ou semi-précieuse, dorés à l’intérieur de la patène, du calice et du ciboire par exemple: seul l’or est digne de contenir le corps du Christ), telle paroisse autorise les danses et les spectacles pendant le Saint Sacrifice de la Messe. On en voit même qui utilisent comme patène (sorte d’assiette dorée utilisée pour y déposer l’hostie) un plat à gratin. Certains prêtres négligent leurs vêtements liturgiques, négligent les prières et le rituel (il y a quelques années aux Etats-Unis, la fièvre des années soixante étant passée, on a découvert que des centaines de sacrements étaient invalides depuis des générations à cause du non-respect par certains prêtres ou diacres des rites de l’Eglise).
Tout est fait pour provoquer chez le fidèle qui souhaite le rester un sentiment de dégoût et une soif d’un absolu qu’on lui refuse; face à cela, des prêtres se révoltent contre la dérive cléricale: Monseigneur Lefevbre refuse le nouveau rite, le nouvel enseignement de la liturgie, tout ce qui a trait de près ou de loin à la nouveauté. Il construit son séminaire d’Ecône en 1970, et y forme les jeunes gens qui aspirent à devenir prêtres selon sa vision du sacerdoce, celle “de toujours” plaide-t-il. Les fidèles suivent le mouvement pour “garder la foi”, menacée, pensent-ils, par les abus liturgiques et théologiques survenus à la suite du Concile Vatican II.
Pourquoi donc défendre le rite tridentin? Parce que c’est la liturgie la plus ancienne, et donc la plus riche d’enseignement, la mieux élaborée, la plus profonde, car elle restitue l’Histoire du salut opéré par Jésus-Christ, qui est venu sauver le monde de ses péchés (une notion qui s’efface après la guerre, la culpabilité du genre humain n’étant plus de mise, à l’heure de la libération des moeurs). Mais le cardinal Joseph Ratzinger le dit bien mieux et avec une conviction qu’il portera jusque sur le trône de Pierre, lorsqu’il y sera lui-même élu à la suite de Jean-Paul II en 2005:
Je suis d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit pas d’ailleurs ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question (Le Sel de la terre, éditions du Cerf).
Renier l’ancienne liturgie, c’est donc trahir le sens de la foi (sensus fidei) de très nombreux fidèles, et leur sentiment religieux, c’est-à-dire ce qui, au plus profond d’eux-mêmes, leur apparaît comme saint et sacré. Le pape François parle du cléricalisme comme “une véritable perversion” dans l’Église, où le pasteur se met “toujours devant” les fidèles et “punit d’excommunication” ceux qui s’écartent. De surcroît, le cléricalisme “condamne, sépare, frustre, méprise le peuple de Dieu”, et “ne prend pas en compte le peuple de Dieu” [1]. C’est à la lumière de cet enseignement d’une grande profondeur que nous interprétons les récentes réponses aux Dubia (objections) formulées au pape au sujet de l’application du motu proprio Traditionis Custodes qui restreint considérablement la célébration de la Messe en rite tridentin.
On ne saurait se défendre non plus d’une certaine gêne quant au ton de ces réponses: il est dorénavant interdit de célébrer dans l’ancien rite tridentin avec l’ancien Missel de 1962, excepté dans les paroisses affectées uniquement à la célébration de ce rite (une petite poignée en France). Le but proclamé est de rétablir “une prière unique et identique”, “dans toute l’Eglise de Rite romain”; on y glorifie les pontifes Paul VI et Jean-Paul II, opportunément canonisés depuis peu, et servant de garantie et de caution pour ceux qui seraient tentés de remettre en question la contribution réelle à la sanctification des âmes des nouveaux rituels et leur intention de rendre un culte à Dieu le plus respectueusement possible. L’uniformité est prônée, au risque de ne pas adhérer au réel: certains rites se sont maintenus en-dehors du rite romain – les rites cartusiens et dominicains par exemple, ainsi que certains rites diocésains (rite de Lyon ou rite ambrosien du diocèse de Milan).
Pourquoi imposer une unité basée sur le manque de réalisme? (Les anciens rites cohabitent toujours dans l’Eglise latine, qui ne saurait être pour autant “de rite romain”. La romanité ne saurait avoir raison de la latinité: le rite mozarabe espagnol, le rite de Caen, le rite de Braga ne sont pas “romains”, et pourtant ils sont bien latins! il y aurait donc une Eglise “de Rite romain” et une autre qui sombrerait dans l’indéfini? L’Eglise latine n’est pas uniforme, peut-être serait-il temps de s’apercevoir que les Orientaux n’ont pas le privilège de la diversité. On objectera que les rites précités ont un certain rapport avec leur lieu de célébration, leur espace de conception (un diocèse, un territoire), ou leur institution (tel ordre religieux ou monastique).
Le rite tridentin est celui de toute l’Eglise, c’est un rite ecclésial, et non le rite de telle Église, pas plus que le rite de Paul VI n’est celui d’une certaine “Eglise de Rite Romain” qui n’existe nulle part. Il y a bien une Eglise de Rome, il n’y a pas une Eglise d’un Rite.)
Enfin la question qui se pose, c’est bien celle de la cohérence avec d’autres situations emblématiques de la crise de l’Eglise telle qu’elle se manifeste actuellement. En Allemagne, le mouvement de prêtres “l’Amour gagne” proteste en mai 2021 de manière inédite et bruyante contre l’interdiction par le pape de marier des homosexuels selon les rituels de l’Eglise catholique, en organisant une action coordonnée de bénédiction de mariages homosexuels. 2600 prêtres et 300 théologiens ont signé, peu après l’interdiction formelle du pape de bénir de telles unions, un appel à la désobéissance; on apprend ainsi que le prieur dominicain de l’église Saint Albertus Magnus a été l’un des premiers à bénir des unions hommosexuelles, déclarant à francetvinfo [2]: “Notre Eglise est beaucoup plus en avance sur son temps que la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome.”
Notre objection aux dernières mesures du pape contre le rite tridentin, au vu de la situation de l’Eglise ailleurs, sera brutale mais claire: comment peut-on se permettre de sanctionner des fidèles réguliers, qui appliquent les commandements de l’Eglise, et qui souhaitent prier avec un rite jamais abrogé jusqu’à ce jour, pendant que, dans le même temps, d’autres clercs et d’autres fidèles fautent très gravement contre toutes les lois de l’Eglise sanctionnant ces pratiques?
Ces propos n’ont pas pour objet de stigmatiser les personnes homosexuelles qui restent des enfants de Dieu, mais ont pour objectif d’exiger des comptes de la part de la hiérarchie de l’Eglise qui donne des permissions indues qui ont toujours été refusées, pendant que, de l’autre côté, les bonnes brebis du troupeau du Christ sont privées des rituels qui ont toujours été vénérés, et ont été des écoles spirituelles pour leur foi et leur piété.
Nous concluons en rappelant l’essentiel: de très nombreux saints se sont sanctifiés dans l’ancien rite tridentin, qui ne porte atteinte en aucune façon à la foi et à l’unité de l’Eglise. Il apparaît nécessaire de mettre en garde contre une illusion d’unité sur la base d’une uniformité stérile et mortifère, peu en accord avec la vie spirituelle des fidèles, faite de diversité et de sensibilité variable selon les temps, les lieux, et les circonstances. Padre Pio n’avait-il pas obtenu une permission spéciale pour continuer à célébrer dans la Messe de son ordination malgré le concile en cours?
Cette défense de l’ancien rite n’a pas pour but de prôner l’illégitimité du nouveau, et de former une contre-Eglise, mais de rappeler que le sacerdoce est un service et non un espace de pouvoir sur des fidèles écartelés entre leur devoir d’obéissance et leur attachement à une manière de prier qui irrigue leur vie spirituelle.
Nous implorons les évêques de France et du monde, afin qu’ils soient des pasteurs, des guides, des pères dans le Christ, et non des sujet de crainte et des causes de tristesse. Qu’ils soient nos défenseurs et nos protecteurs, afin que la paix règne dans les diocèse, les familles, les paroisses et les coeurs, et pour que ne renaissent pas d’incessants conflits que les dernières volontés papales semblent avoir rallumées. C’est à cette intention que nous prions la Vierge Marie, Mater Ecclesiae, le Trône de la Sagesse et la protectrice des fidèles du Christ.
[1] échanges avec les jésuites du Mozambique et de Madagascar, publiés le 26 septembre 2019 dans la revue jésuite italienne La Civiltà Cattolica
[2] article publié le 12/05/2021 par Ludovic Piedtenu sur le site de franceinfo sous le titre “Mariage gays: ces prêtres allemands qui défient le Vatican”