Suite à la publication des responsa de la Congrégation pour le Culte Divin, l’abbé Jean-Michel Gleize, FSSPX, professeur au Séminaire d’Ecône, évoque dans un article publié par La Porte Latine l’avenir des communautés sacerdotales et religieuses dite Ecclesia Dei, qui se trouvent maintenant à la croisée des chemins : abandonner leur charisme spécifique ou refuser de se soumettre à l’interdiction de la messe traditionnelle.
L’abbé Gleize estime que ces communautés n’ont pas mis en lumière les insuffisances du rite dit de Paul VI et qu’elles sont aujourd’hui prise à leur propre piège. On peut relativiser cette affirmation car il y a eu de nombreuses études et colloques sur ces sujets ces trente dernières années auxquels ont participé des membres de ces communautés.
Il ne faut pas le nier le revirement romain des 6 derniers mois ne peut que donner raison à la Fraternité Saint-Pie X, à vue humaine. Il est aujourd’hui impossible de dire que le Motu Proprio Traditionis Custodes est dans la continuité de Summorum Pontificum et qu’il en corrige certains aspects (comme on a pu lire en juillet dernier). Ce Motu Proprio et les responsa veulent “sortir de l’Eglise” à court terme les prêtres et les fidèles attachés à la messe traditionnelle. Il est certain que ce sera aux communautés traditionnelles, à leurs prêtres, aux laïcs… mais aussi aux évêques et cardinaux d’infléchir et de retourner ce qui peut sembler inéluctable. Ajoutons que l’argument d’unité autour de la liturgie réformée en 1969 est absoluement , puisque cette unité n’existe pas dans le rite romain. Les fidèles le savent très bien.
Pirouettes
1. La mise à exécution du Motu proprio Traditionis custodes se poursuit inexorablement. Le 18 décembre dernier, la Sacrée Congrégation pour le Culte divin a donné une suite d’éclaircissements, sous la forme classique des « Responsa ad dubia ». Onze réponses viennent clarifier les doutes. Les choses n’en sont que plus claires : la Messe traditionnelle de saint Pie V n’est pas la norme du culte dans l’Eglise catholique. La Messe, entendue au sens du rite universel et obligatoire pour toute l’Eglise, est la Messe de Paul VI.
2. Et la réponse des différentes communautés de la mouvance Ecclesia Dei devient elle aussi de plus en plus claire. Que nous répondent, en effet, les principaux parmi les responsables de ces communautés ? La réponse de la Fraternité Saint-Pierre (Communiqué du 19 décembre 2021) est que le Motu proprio de François « ne s’adresse pas directement » à ces communautés. La réponse de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier (Message de Noël du 23 décembre 2021) est que ce Motu proprio ne peut pas s’adresser à ces communautés, dont l’acte fondateur réserve la célébration de la liturgie traditionnelle. C’est à peu près tout. Et c’est pitoyable. Face à de pareilles pirouettes, le malaise ne fait que grandir.
3. En un mot : les communautés Ecclesia Dei défendent la célébration de la Messe traditionnelle en la revendiquant comme leur privilège, et en faisant référence pour cela au Motu proprio de Jean-Paul II. Car il y aurait là, aux yeux de ces communautés, l’expression juridique de leur raison d’être.
4. En tout ce que disent ou écrivent les représentants de ces communautés, pour essayer de se soustraire aux exigences du Motu proprio Traditionis custodes, nous ne voyons jamais apparaître ce qui devrait pourtant représenter le véritable argument de la défense de la Tradition et la raison profonde de l’attachement à l’Ordo missae de 1962. Cet argument véritable et cette raison profonde sont ceux que la Fraternité Saint-Pie X n’a cessé de faire valoir dès le début : la nouvelle Messe de Paul VI, le Novus Ordo de 1969 ne peut pas être la norme du culte dans l’Eglise catholique. En effet, cette nouvelle Messe s’éloigne de manière impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail de la définition de la messe définie au concile de Trente. Et c’est pourquoi ce Novus Ordo est essentiellement mauvais, car il représente un péril pour la foi et favorise le retour à l’hérésie protestante. La Messe traditionnelle, célébrée en conformité avec l’Ordo de 1962, et antérieure à cette réforme de Paul VI, doit dès lors demeurer par défaut la norme du culte dans l’Eglise, à l’exclusion de la nouvelle Messe célébrée en conformité avec le Novus Ordo de 1969.
5. Le péché originel des communautés Ecclesia Dei apparaît ici en pleine lumière, à la lumière des faits, contre lesquels nul argument ne saurait valoir. Dès leur reconnaissance canonique, en 1988, ces communautés se sont interdit de déclarer publiquement et officiellement que le Novus Ordo de Paul VI s’éloigne de la foi catholique et que la nouvelle Messe de Paul VI est essentiellement mauvaise. Tout au plus peuvent-elles revendiquer une préférence ou une privilège en faveur de la célébration de l’ancienne Messe. Mais c’est à condition de reconnaître la parfaite catholicité et la bonté de principe de la nouvelle Messe. C’est d’ailleurs ce qu’affirme la 3e des réponses du récent document de la Congrégation pour le culte. Il y est clairement dit que « si un prêtre qui a obtenu l’usage du Missale Romanum de 1962 ne reconnaît pas la validité et la légitimité de la concélébration [dans le nouveau rite de Paul VI], refusant notamment de concélébrer à la Messe chrismale », il ne peut continuer à bénéficier de la concession faite pour la célébration de la Messe dans l’Ordo de 1962.
6. Mais l’usage d’un privilège, aussi étendu soit-il, reste toujours mesuré par le respect de la loi commune – et il s’agit ici de la loi qui entend garantir la communion ecclésiale, dans l’adhésion aux réformes introduites à partir du concile Vatican II.[1] C’est pourquoi, la même raison qui a conduit le Pape Jean-Paul II à élargir la célébration de l’ancienne liturgie peut conduire ses successeurs – et conduit de fait aujourd’hui François – à restreindre cette célébration. L’argument invoqué par la Fraternité Saint-Pierre et la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier tombe alors de lui-même.
7. Cet argument faux est celui du libéralisme, qui revendique droit de cité pour la vérité, aux côtés de l’erreur, erreur admise et reconnue elle aussi comme une alternative possible. Même lorsqu’il demandait à Rome la possibilité de faire l’expérience de la Tradition, Mgr Lefebvre n’a jamais affirmé que la nouvelle Messe de Paul VI pouvait représenter un alternative possible en matière de culte. Il s’est au contraire toujours clairement opposé à la nocivité foncière de cette nouvelle liturgie.
8. Comment les communautés Ecclesia Dei devront-elles réagir, dans les mois qui viennent ? Devront-elles refuser d’obéir au Motu proprio de François ? Mais au nom de quoi, si ce n’est pas au nom de cette nocivité foncière de la réforme de Paul VI ? Les responsables de ces communautés auront-ils enfin le courage et la lucidité de dénoncer l’Ordo de 1969 pour ce qu’il est ? C’est la grâce qu’il faut leur souhaiter, car cette grâce représente la seule solution pour qui veut désormais persévérer jusqu’au bout dans la fidélité à la liturgie traditionnelle.
Abbé Jean-Michel Gleize, FSSPX
Notes de bas de page
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C’est ce qui est explicitement déclaré au n° 5 du Motu proprio Ecclesia Dei afflicta du 2 juillet 1988.[↩]
Merci à RC de permettre de commenter ici une pensée pseudo-dogmatique, qui s’exprime habituellement sur des sites où la répartie est interdite. C’est un peu fatigant de répondre à des insultes et des approximations répétées en mode “disque rayé”, mais il faudra bien un jour que l’information se fraie un chemin…
Le chrétien lambda est pris dans une situation difficile. On a du mal à concevoir que “ce qui était grand et sacré pour les générations précedentes” (B16) ne le soit plus pour nous. En ce sens, il faudrait réexaminer :
1 – la capacité juridique d’un pape à contredire aussi frontalement les décisions d’un prédecesseur
2 – la validité juridique de la démission de B16 : quand on voit le pontificat actuel, il y a de quoi douter – mais pas conclure avant d’avoir vraiment traité.
Sur ces deux points, il y a maintenant des questions. Et s’il est bon de les soulever comme le font des prêtres courageux, il faut aussi les traiter.
3 – la possibilité pour l’Eglise de réformer son rite, et dans quelles proportions.
Menons donc le bon combat, mais avec des arguments solides. Exemples d’arguments retournables :
– les cardinaux Ottaviani et Bacci ont signé un “bref examen critique” du nouvel ordo. Bien. Ils ont donc engagé leur autorité dans ce document. Très bien. Sur 136 cardinaux à l’époque, cela veut donc dire que 134 cardinaux ont engagé leur autorité en sens inverse ? Alors, si le critère est l’autorité cardinalice, ne pourrait-on objecter que 134 ont plus de poids que 2 ?
– Les Ecclesia Dei sont accusés de libéralisme. “le libéralisme revendique droit de cité égal pour la vérité et l’erreur”. Il faudrait démontrer 1 – que la messe de 1969 est une erreur 2 – que les Ecclesia Dei consentent et réclament que le rituel de 1969 ait les mêmes droits que le rituel extraordinaire.
Sur le point 1 : là où elle est fidèlement et dignement célébrée, dans le respect des instructions romaines, la messe de 1969 est féconde, obtient des vocations et des progrès notables en sainteté. Il existe un problème grave d’obéissance : certains curés se croient facilement pontifes en leur paroisse et traitent le saint sacrifice avec légèreté. Mais le problème des textes reste à démontrer. Quant aux fruits sur les fidèles, on ne parlera pas ici par pudeur des comportements des fidèles FSSPX, bien modelés par leurs pasteurs. Si les fruits étaient bons, la FSSPX croulerait sous les vocations. Or ce n’est pas si simple, ni d’un côté ni de l’autre, malgré la volonté militante de M. l’abbé de vouloir simplifier.
Sur le point 2 – Les Ecclesia Dei ne militent pas pour l’égalité des droits : ils n’ont pas le poids ou l’autorité suffisante pour réclamer réalistement quoi que ce soit. Ils essayent juste de survivre. Je n’ai jamais lu ni vu un prêtre Ecclesia Dei militer pour le rite 1969. Ils le subissent stoïquement. De là à les traiter de libéraux, il y a une exagération peu opportune, et intellectuellement pas très rigoureuse.
PS : Ce matin, j’ai assisté à une messe Ecclesia Dei. Le prêtre a invité à prier pour l’Eglise et pour tous ceux qui gardent la tradition liturgique, et il a cité avec bienveillance la FSSPX parmi bien d’autres. Dans la gravité de la situation actuelle du monde et de la France, il y a des “friendly fire” (tirs venant d’unités amies) qu’on pourrait éviter. Bonne année, M. l’abbé.