A l’occasion de Noël, Monseigneur Bustillo, évêque d’Ajaccio, évoque les racines chrétiennes et la laïcité, dans Corse Matin :
[…] certains voient dans la crèche de l’idéologie, un modèle traditionnel à remettre en question. Qu’en pensez-vous ?
C’est tragique. Nous avons tous des idées différentes et c’est bien légitime. Mais c’est le glissement, quand on part de l’idée, on tend vers l’idéal et on sombre dans l’idéologie. C’est ce qui se passe avec Noël. Pour nous, Noël est un idéal, on oublie souvent ce qu’il véhicule comme valeurs : pauvreté, respect, accueil, fraternité, simplicité, chaleur et joie. On les oublie et on se place d’un point de vue idéologique, voire politique. Pensez à Noël et à la crèche ne signifie pas que l’on méprise les autres. On honore nos racines, un passé, nos ancêtres, ce qui a été transmis et reçu.
Dans un document interne destiné à ses employés, la Commission européenne envisageait la suppression du mot “Noël”, jugé peu inclusif. C’est symptomatique d’une époque…
Ces paroles tristes voulaient affirmer : “Soyons unis.” Pour cela, il faut retirer toute identité, soyons tous pareils. Il y a une tendance triste à un conformisme idéologique, politique et culturel. C’est inquiétant. Respecter l’autre signifie-t-il s’effacer soi-même et disparaître ? Ou bien, moi avec mon identité, ma culture, j’enrichis le monde au lieu de l’appauvrir ? C’est une maladresse de dire que l’on fait cela pour calmer tout le monde, avec une politique d’anesthésie. Il faut anesthésier tout le monde, pour que personne ne puisse se plaindre. Un peu comme Shiva, on met les mains partout et on répète : “Attention, pas de problèmes avec les chrétiens, ni avec les musulmans ou les juifs.” On est dans la tactique, la stratégie politique et on perd la sérénité et la capacité de nous émerveiller. L’autre est vu comme une menace, surtout dans sa différence, au lieu d’être vu comme une chance qui va m’enrichir. Le soir de Noël, dans la crèche, les bergers sont là. Ils sont non pratiquants car pris par leurs activités, ils ne pouvaient pas aller à la synagogue, ni au temple. Et pourtant c’est à eux, à ceux qui se trouvent à la périphérie, que la bonne nouvelle est annoncée. Ce message n’est pas anachronique, il nous parle aujourd’hui. On a tous besoin de chaleur. Quand on prend une boule de Noël accrochée au sapin, on s’émerveille mais si on la casse, elle est vide. Dans notre société, on met les lumières, les cadeaux, la gastronomie et tout cela nourrit les yeux et le ventre. Mais qui nourrit le cœur et l’esprit ? On peut avoir tout ce que l’on veut, mais si à l’intérieur on est vide, il y a un problème.
Avez-vous le sentiment que le politique confisque le débat autour des racines chrétiennes et de l’identité ?
Les politiques contrôlent et gèrent le domaine public et parfois dans la gestion du public, on peut déborder et être injuste. Lorsque l’on touche au culturel, on va se protéger et attaquer au nom de la laïcité mais parfois on crée un divorce entre la culture d’un peuple et ses racines. On ne peut pas dire que le christianisme est puissant et qu’il représente un danger. Mais dans les milieux politiques, souvent, il y a ce sentiment qu’il faut maîtriser l’Église. Il faut la liberté pour tout le monde. D’autant qu’il serait triste et dangereux de laisser la politique et la finance gouverner le monde. […]
Vous avez une laïcité qui peut sombrer dans l’idéologie sectaire et une laïcité apaisée, comme chez nous en Corse. Je n’ai pas à dire aux élus ce qu’ils doivent faire mais nous avons une vie cordiale, humaine. Sur le Continent, il y a beaucoup de violence idéologique.