C’est ce que l’on apprend dans le compte-rendu de l’audition de Mgr Michel Aupetit au Sénat, le 1er décembre (nous n’osons suggérer de prêter ces édifices aux instituts traditionnalistes…) :
Mgr Michel AUPETIT a tout d’abord abordé la fraternité, valeur républicaine essentielle figurant aux frontispices des mairies mais remise en cause par les « gestes barrière » et la nécessité de se tenir éloignés les uns des autres. La fraternité signifie partager le même père, Dieu dans la tradition chrétienne, ou la même mère, la République dans la tradition laïque. Si on lit la Bible (Genèse, chapitre 4), la première expérience de fraternité, Caïn et Abel, est un échec. Le premier tue le second car Dieu n’a pas agréé son offrande mais celle de son frère. Est-ce une rupture d’égalité au sens où nous l’entendons aujourd’hui ? En réalité, l’épisode n’éclaire pas sur le cœur de Dieu mais sur le cœur de l’Homme dans lequel la jalousie, plutôt que la joie du bonheur de l’autre, peut conduire au meurtre. Dans cet épisode, Dieu interpelle Caïn et lui demande « Où est ton frère Abel ? » Caïn répond : « Je ne sais pas. Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? » Que répondons-nous nous-même à cette question ? On ne choisit ni ses parents, ni ses frères et sœurs, on ne choisit pas les personnes mais de les aimer. Au contraire dans l’amitié, on se choisit et cela présente un risque d’ « entre-soi » par rapport à la fraternité qui est une ouverture. En revanche, dans l’Évangile, Jésus dit « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis » (Jn 15, 15). Cela manifeste le choix que Dieu propose : entrer dans une amitié qui sera une fraternité. Le philosophe Michel de Montaigne a pu parler « d’accointance de l’âme » (Essais, I, 28). Cela s’incarne notamment dans les petits groupes mis en place pour répondre au mouvement synodal lancé récemment par le Pape François où, par-delà la posture, chacun doit être lui-même en vérité.
Cette expérience a aussi été celle des évêques à Lourdes, a souligné Mgr Michel AUPETIT, face au rapport de la CIASE. Il pouvait y avoir deux tentations extrêmes, celle de passer à autre chose ou celle de baisser les bras. Mais dans le travail en petits groupes entrepris avec les victimes, puis ensuite avec des pauvres sur l’encyclique Laudato Si (4), et enfin avec des laïcs de différents horizons, les évêques sont progressivement arrivés à un degré élevé de collégialité. Ils sont parvenus à voter un texte et des résolutions de manière quasi unanime, ce qui n’est pas habituel.
Concernant enfin les travaux de Notre-Dame de Paris, Mgr Michel AUPETIT a expliqué que son souhait était que la cathédrale reste fidèle à son objectif premier : être un lieu de culte où Dieu est célébré et se découvre. Le projet est donc de proposer un parcours catéchuménal pour permettre aux quelque 13 millions de visiteurs de découvrir la foi de l’Église. Il convient tout autant de respecter le patrimoine que ce qui se vit dans la cathédrale. Les lieux doivent rester largement ouverts et gratuitement offerts. Les fonds nécessaires à l’entretien peuvent provenir d’autres sources que des droits d’entrée.
Répondant à M. Jean-Michel HOULLEGATTE qui l’interrogeait sur le lien entre fraternité et communauté et entre communauté et territoire notamment au regard de l’implantation et de l’organisation des structures ecclésiales, Mgr Michel AUPETIT a estimé qu’il fallait s’interroger sur la meilleure manière d’articuler le territoire, comme lieu source et d’enracinement, et les réseaux dans lesquels se développent nos vies et nos engagements. Dans l’Église et pour sa mission, cela devra se décliner en objectifs, en équipes et fraternités. Il ne s’agit pas d’abandonner le territoire mais de fonctionner autrement, notamment en s’appuyant sur les différents états de vie entre prêtres, religieux et laïcs en fonction de leur charisme propre. M. Dominique de LEGGE a rappelé à ce propos qu’à l’occasion du déplacement à Rome, les évêques en visite ad limina avaient abordé cette question notamment à travers l’avenir des édifices cultuels dans leur dialogue avec les maires.
M. Pierre CUYPERS, tout en se félicitant que l’Église ait eu le courage de solliciter le rapport Sauvé et de faire toute la clarté et la transparence sur le passé, s’est interrogé sur le sens du mouvement de repentance et sur la pertinence de proposer une indemnisation financière systématique, y compris pour des affaires très anciennes. Mgr Michel AUPETIT a alors distingué la repentance de la responsabilité individuelle. Comme l’avait fait Jean-Paul II, quand tout le corps est blessé, il est nécessaire de demander pardon pour parvenir à sa réparation. C’est une question de responsabilité morale. Cette démarche est nécessaire pour l’Église et pour les victimes qui ont besoin d’une forme de réparation qui commence par la reconnaissance de leur souffrance et de ce qu’elles ont enduré. Leur colère est légitime. Elle s’est parfois malheureusement muée en haine. Ces victimes peuvent avoir besoin d’argent notamment pour faire face à des soins. Mais elles peuvent également estimer que l’Église a une dette envers elles. Dès lors, elles peuvent souhaiter une indemnisation comme un signe patent de la responsabilité de ce qui leur a été fait, notamment lorsqu’elles n’ont plus la foi. Une commission indépendante a été créée avec une professionnelle reconnue pour écouter chaque victime et chaque demande. C’est elle qui décidera. Dans tous les cas, tout ce que l’Église possède vient de la générosité des catholiques et c’est une très bonne chose que l’Église soit ainsi dépendante des fidèles.
Revenant à la fraternité, M. François CALVET a regretté la perte du lien humain et de son ancrage dans la durée. La fraternité est comme une huile qui fluidifie les rouages de la société. Comment la retrouver alors que la société d’aujourd’hui est dure pour l’Homme ?
Pour Mgr Michel AUPETIT, on peut répondre à cette question en se rappelant que la vocation de chacun, étymologiquement l’appel, est de prendre soin les uns des autres. C’est ce que dans une parabole de l’Évangile selon Saint Luc, le Bon Samaritain dit à l’aubergiste à qui il confie l’homme blessé trouvé au bord du chemin : « Prends soin de lui » (Lu 10, 35). Cela entre en écho avec la parole de Caïn. C’est cette mission qui peut rendre heureux.
Dans cette perspective, il a été interrogé par M. Mickaël VALLET sur la manière dont on pouvait comprendre le message du Pape à Lampedusa (5) en faveur de l’accueil des populations déplacées et le décliner concrètement. Mgr Michel AUPETIT a souhaité distinguer ce qui relève de la politique migratoire des États et ce qui est déterminé par la réponse que nous devons apporter aux questions « Qui est mon prochain ? De qui dois-je me rendre proche ? ». L’accueil des réfugiés syriens a donné lieu à de grands élans de générosité dans les diocèses qu’il a d’ailleurs été nécessaire d’encadrer. Cette expérience de la proximité avec celui qu’on reçoit et qui se vit notamment à Paris à travers « Hiver Solidaire » (6), qui organise l’accueil de personnes vivant dans la rue dans les paroisses, va à la fois au-delà d’une réflexion morale désincarnée et n’est pas du même niveau que la définition d’une politique migratoire.
Suite à la question de M. Louis-Jean de Nicolaÿ sur la manière dont des éléments universels pourront ressortir de la démarche synodale lancée par le Pape sur les cinq continents, Mgr Michel AUPETIT a indiqué qu’il s’agissait d’un travail sur trois ans. Chacun va faire l’expérience localement de cette distinction entre le général et le particulier puis, bien évidemment, au niveau de Rome, c’est ce qui est proprement catholique, c’est-à-dire universel ou qui peut le devenir qui sera retenu. L’Église fait confiance à la raison humaine et donne une place importante à la loi morale naturelle que tout Homme peut trouver.