Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, responsable du Groupe bioéthique de la conférence des évêques de France, s’est exprimé le le 7 juin 2021 dans une tribune publiée dans Ouest-France, sur le débat relatif au projet de loi bioéthique qui revient à l’Assemblée nationale pour une 3e lecture.
Pourquoi donc relancer le débat sur le projet de loi de bioéthique à l’Assemblée nationale ? Il manifeste un désaccord si abyssal ! Députés et sénateurs n’ont pas réussi à s’entendre. Deux visions s’affrontent. Hélas, le véritable dialogue paraît impossible, voire non souhaité.
En effet, la majorité de l’Assemblée refuse d’entendre le Sénat. Ces députés maintiennent leurs options sans prêter attention aux arguments des sénateurs. Or, l’existence des deux Chambres est gage de démocratie, grâce au dialogue entre elles. Il suppose qu’on accueille les arguments de l’autre pour y réfléchir, et qu’on cherche ensemble la meilleure voie en s’étant accordés sur une compréhension de l’être humain. Le non-dialogue conduit au déni de démocratie. Cela engendre un grave abus de pouvoir. Il est dangereux de gouverner seul, sans altérité.
Quelles sont ces deux visions ?
L’une a pour pierre angulaire la dignité humaine et son respect inconditionnel. Elle inspire le « modèle français de bioéthique » depuis 1994. À l’aune de ce respect, sont évaluées les possibilités techniques dans le domaine biomédical. Si la dignité est partagée par tous, la recherche du bien commun est vitale afin que chacun puisse se développer selon cette dignité, sans discrimination aucune. Au nom de la justice et du bien commun, une attention est prioritaire pour que le soin soit accordé aux personnes fragilisées par l’infertilité ou la maladie.
L’autre promeut les désirs individuels au nom de l’égalité, quelles que soient les différences objectives des situations, ce qui s’apparente davantage à un égalitarisme entre tous. C’est en vue de la réalisation de ces désirs que sont examinées et promues les techniques. La distinction entre les personnes atteintes d’infertilité et les autres n’a plus de raison d’être, puisque seuls leurs désirs sont considérés.
Avec ce projet de loi, le « projet parental », où s’expriment les désirs individuels des adultes, s’est substitué à la dignité. C’est ainsi qu’en fonction des désirs, la loi, si ce projet est voté, privera certains d’avoir un père, tandis que d’autres en auront le droit. Quelle discrimination ! Basée sur les désirs individuels, la loi sera donc injuste et bafouera un droit élémentaire : chaque être humain nouveau-né a le droit d’avoir un père et une mère. Mais comment des désirs individuels n’engendreraient-ils pas des discriminations ?
De fait, ce projet de loi soumet l’être humain venant en ce monde au pouvoir des adultes. Avec ce projet, puisque la technique le permet, ceux-ci pourront réaliser leurs désirs librement. Si la dignité demeurait la référence cardinale de la bioéthique en France, alors le respect des droits de celle ou celui qui vient au monde ne les priverait pas de leur ascendance paternelle. Ce qui serait heureux car « le rôle du père est essentiel », discerne le CCNE (Avis n° 126).
Jean-Louis Touraine, député-rapporteur pour ce projet de loi, vient d’affirmer son « credo » : « L’intérêt supérieur de l’enfant est notre credo, notre obsession, de la première à la dernière ligne. » Comment admettre que la privation légale de père et que la soumission au pouvoir des adultes, mais aussi la conservation des ovocytes pour convenance personnelle (sans critère thérapeutique), sont dans l’intérêt de l’enfant ? Par ailleurs, quand le « credo » est « obsession », la radicalisation n’est pas loin. Il y a fort à parier qu’il rende incapable d’écouter les arguments de l’autre, qu’il engendre l’intolérance et tue le dialogue. Le « modèle français de bioéthique » est en train de mourir, faute de démocratie !