Dans une tribune au Figaro, l’archevêque de Paris condamne l’agression, par des activistes d’ultragauche, samedi, dans le 20e arrondissement de Paris, de catholiques en procession afin d’honorer la mémoire d’une cinquantaine d’otages fusillés par les communards le 26 mai 1871 :
«Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du Ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On les méprise, et dans ce mépris ils trouvent leur gloire. On les insulte et ils bénissent. » Ces paroles de l’épître à Diognète, à la fin du IIe siècle, dans un contexte de persécution, pourraient fort bien convenir aux martyrs de la Commune.
La cinquantaine d’otages de la rue Haxo parmi lesquels 35 gendarmes, un tailleur de pierre, deux ébénistes et dix religieux, furent fusillés ou massacrés il y a 150 ans par des athéistes militants et anticléricaux, animés sans doute par de grands idéaux de justice et de paix mais corrompus par la haine et le ressentiment. Mgr Darboy, archevêque de Paris, paya de son sang sa fidélité au Bon Pasteur qui donna sa vie pour son troupeau.
Violence aveugle
Samedi dernier, à Paris, 300 chrétiens se sont rassemblés dans le strict respect des lois, après avoir déclaré leur marche à la préfecture. Ils ne se sont pas rassemblés pour manifester, ni pour revendiquer des droits particuliers. Ils ont marché en pèlerinage vers l’église Notre-Dame-des-Otages pour assumer leur devoir, celui de rendre hommage à leurs martyrs et de demander leur intercession. L’acte de mémoire est la garantie de l’espérance d’un peuple. «Le sang des martyrs est semence de chrétiens», disait Tertullien. Il est le signe de la liberté suprême, celle de témoigner que la fidélité au Christ ressuscité est un bien plus grand que notre réputation, notre sécurité ou même notre propre vie.
La violence aveugle que ces pèlerins ont subie de la part des «antifas»est absolument inacceptable dans un État de droit. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur l’assimilation au «fascisme» de paroissiens «de toutes langues, races, peuples et nations» (Apocalypse 5, 9) issus de quartiers populaires, venus pacifiquement chanter et prier…
Il n’y avait que deux policiers prévus pour la sécurité de l’ensemble de la marche. Je les remercie pour le courage dont ils ont fait preuve. La sécurité de cette marche des catholiques n’était apparemment pas la priorité de l’autorité préfectorale, qui devait réguler bien des manifestations ce jour-là. Nous avons pris contact avec les autorités compétentes pour faire le bilan de cet événement déplorable dans une discussion claire et une nécessaire mise au point.
Les catholiques ont été sensibles au message de soutien de Monsieur le ministre de l’Intérieur. Nous ne revendiquons pas des privilèges particuliers, nous demandons simplement l’égalité de traitement avec les autres religions et communautés concernant la protection des personnes, et le droit d’exprimer notre foi dans la sphère publique, ainsi que nous l’autorise notre République laïque, dans la paix civile et le respect du bien commun.
Invincible espérance
Quelle doit être la réaction des catholiques face à la violence? Dans un réflexe mimétique et une surenchère, la haine entraîne la haineet la violence la violence. Le sang d’Abel tué par son frère, Caïn, coule tout au long de l’histoire. Pour nous chrétiens, le Christ a brisé le cycle infernal de la haine. Innocent mis à mort, comme le dit le prophète Isaïe, il a pris sur lui nos fautes à tous, jusqu’à la mort et la mort de la Croix. «Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice» , écrit l’apôtre Pierre (Première lettre, 2, 23), à qui le Maître a ordonné de ne pas céder à la tentation de répondre à l’agression par un surcroît de violence: «Remets ton épéeau fourreau, celui qui vivra par l’épée périra par l’épée» (Matthieu 26, 52).
Il nous faut entrer dans les sentiments du Christ. Par sa mort il a brisé la mort! La victoire éclatante de la Résurrection où le Seigneur Jésus surgit des profondeurs des ténèbres éclaire l’histoire d’une lumière nouvelle. Elle nous ouvre à une invincible espérance.
Morts avec le Christ, confiants en sa Résurrection bienheureuse, les martyrs ont reçu la grâce de garder la paix de l’âme et de pardonner à leurs bourreaux. Lui-même en prison durant la Commune, le président de la Cour de cassation Bonjean écrit à son fils une dernière lettre avant sa mort: «À faire son devoir il y a une satisfaction intérieure qui permet de supporter avec patience et même une certaine suavité les plus amères douleurs. C’est le mot du Sermon sur la montagne, dont je n’avais jamais si bien compris la sublime philosophie: “Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice!”» (Matthieu 5, 10).
«Stat Crux dum volvitur orbis» dit la devise des Chartreux. «Le monde tourne mais la croix demeure.» Le signe de la Croix est la source et le sommet de l’histoire des hommes. Au cœur même de l’injustice et de la haine surgit la parole du pardon. Bernanos dans le Journal d’un curé de campagne écrit cette méditation sur le mystère du Crucifié: «Si notre Dieuétait celui des païens ou des philosophes – pour moi, c’est la même chose – il pourrait bien se réfugier au plus haut des cieux, notre misère l’en précipiterait. Mais vous savez que le nôtre est venu au-dedans. Vous pourriez lui montrer le poing, lui cracher au visage, le fouetter de verges et finalement le clouer sur une croix, qu’importe! Cela est déjà fait…»
Cela est déjà fait… C’est une grâce de le savoir dans la foi. C’est aussi un devoir pour nous, catholiques au cœur de la cité des hommes, de témoigner au milieu du monde de l’amour du Christ victorieux du mal.
Nous demandons simplement de pouvoir le faire en paix dans le respect de nos institutions et la protection d’un État de droit qui garantisse la pleine liberté de culte et la protection de tous ses citoyens.