Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon et membre du groupe de travail Eglise et Bioéthique de la Conférence des évêques de France, signe une tribune dans Famille chrétienne :
Le retour prochain du projet de loi de bioéthique au Parlement a de quoi nous inquiéter, mais il ne doit pas nous décourager et encore moins nous démobiliser. Au-delà de la complexité des sujets abordés par les révisions successives de cette loi, il est bon de repérer quelques lignes de fond de ce qui est en train de se jouer.
La première concerne la fascination de la technologie. Éblouis par ce qu’elle permet de faire, nous ne voyons plus ce qu’elle induit. Le parallèle avec la crise écologique est pourtant éloquent. Les inventions du moteur à explosion, du plastique, du glyphosate, et bien d’autres, étaient à première vue pleines de promesses. On sait aujourd’hui combien ces « progrès » ont contribué au dérèglement des équilibres instables de la nature et de la biodiversité.
La nécessité d’une écologie intégrale
La même erreur se reproduit aujourd’hui avec les progrès de la biotechnologie. Ce qu’elle permet de réaliser sur l’embryon humain dès les premiers instants de son existence semble prodigieux. Mais, peu à peu, le regard s’obscurcit. Ce qui apparaît comme un « amas de cellules » est considéré comme un en-soi manipulable et déconnecté des relations qui le constituent. On ne voit pas que toutes ces manipulations touchent à son équilibre le plus intime, à son avenir, voire à celui de ses descendants s’il s’agit de modifier le génome. Ce n’est donc pas simplement l’environnement (ce qui environne l’être humain) qui est aujourd’hui menacé, c’est l’ensemble des créatures. D’où la nécessité d’une écologie intégrale qui prend soin, aussi, de l’être humain.
L’autre fascination est celle de la toute-puissance de la liberté individuelle. Cette liberté est certes une valeur à défendre. Mais comment ne pas voir qu’elle doit s’articuler avec celle des autres et avec la recherche du bien commun ? En réalité, la liberté ne s’acquiert pas indépendamment des autres mais grâce aux autres, car nous sommes fondamentalement des êtres de relation. C’est pourquoi on ne peut satisfaire toutes les revendications individuelles parfois compréhensibles sous le seul prétexte que « la science peut le faire ».
Des processus de déshumanisation
Il me semble important de comprendre que les libertés individuelles et le bien commun ne s’opposent qu’en apparence. Une liberté individuelle livrée à elle-même tombe dans le piège de la toute-puissance, au détriment des autres, mais aussi de l’individu lui-même, comme le montre la multiplication actuelle des addictions. La violence qui règne aujourd’hui dans certains quartiers illustre bien cette dérive. La déconstruction des repères anthropologiques les plus élémentaires au nom d’une liberté toute-puissante ébranle les liens naturels de la cohésion sociale, à commencer par ceux de la famille.
Ce dont les jeunes des banlieues ont besoin, ce n’est pas « que la peur change de camp », mais d’un cadre familial et éducatif qui les aide à grandir. Un État capable de mettre des limites aux revendications individuelles dans le but de protéger les relations constitutives de la vie en société rend service à tout le monde.
On le voit, même pavée de bonnes intentions, l’actuelle loi de bioéthique appartient à la logique du monde d’avant. Elle induit des processus de déshumanisation et fragilise la fraternité. Laissons de côté la « science sans conscience » et faisons le choix d’une sobriété heureuse.
Un peu de fraternité là où l’individualisme a fait tant de ravages
Dans ce contexte, nous, chrétiens, avons évidemment un rôle important à jouer. Notre vocation est de mettre l’amour là où il y a la haine, l’union là où il y a la discorde, la vérité là où il y a l’erreur… (cf. la prière de saint François). J’ai été très édifié il y a quelque temps en visitant un patronage dans un quartier populaire de Lyon où 30 % à 40 % des familles sont monoparentales, vivant parfois avec des revenus de misère. Quelle belle façon de mettre un peu de fraternité là où l’individualisme a fait tant de ravages ! On peut penser aussi à la présence de tant de religieuses dans ces quartiers, à des associations comme Le Rocher ou à des réseaux comme Espérance banlieues. Dans le contexte actuel, ces initiatives sont prophétiques. Au-delà des mots, elles proclament que le bonheur auquel nous aspirons ne se construira pas grâce à la toute-puissance de nos libertés individuelles, mais en créant des liens et en nous aimant les uns les autres.
Cette invitation à nous faire artisans de fraternité n’empêche pas d’autres formes d’engagements plus politiques. Toujours avec patience et respect des personnes, il demeure nécessaire de faire entendre notre voix, de dialoguer, d’argumenter, de chercher à convaincre. On ne peut pas laisser partir à la dérive les fondements humanistes de notre pays au seul motif que « ça se fait déjà à l’étranger ». L’avenir de notre société mérite mieux que cela. Et puis, encore et toujours, il faut prier. Prier et jeûner. Avec foi, entrons dans le combat de Dieu. Nous ne combattons pas en vue d’une victoire, mais à partir de la victoire déjà acquise par Jésus. C’est la vie et l’amour qui l’emporteront !