La religieuse xavière française Sœur Nathalie Becquart, sous-secrétaire du Synode des évêques, évoque les changements introduits à l’occasion du prochain Synode des évêques, prévu en 2022 mais décalé en 2023 en raison de la crise sanitaire. Les 9 et 10 octobre prochains, une cérémonie solennelle en présence du Pape donnera le coup d’envoi d’un itinéraire de trois ans qui culminera avec l’assemblée en octobre 2023 à Rome, autour du thème “Pour une Église synodale: communion, participation et mission”.
C’est l’une des nouveautés accentuées par la constitution Episcopalis Communio promulguée en septembre 2018, et qui insiste sur l’enjeu d’une préparation très large pour écouter le peuple de Dieu. Donc la nouveauté est que ce processus va démarrer avec une première phase diocésaine, où tous les diocèses sont invités à déployer cette consultation synodale, à organiser une réunion pré-synodale au niveau du diocèse pour récolter tout ce qui aura été entendu. Puis les conférences épiscopales, à partir de toutes les synthèses diocésaines et des réponses qu’elles auront reçues, sont invitées à faire une démarche synodale, au niveau de la conférence épiscopale, pour rédiger une synthèse qui sera envoyée à Rome. Et là, le Secrétariat général du Synode, à partir de toutes ces synthèses, fera un premier Instrumentum Laboris, qui alimentera une phase nouvelle: une réunion pré-synodale au niveau continental. Il y aura sept réunions pré-synodales au niveau continental, et les sept documents finaux de ces rencontres alimenteront le 2e Instrumentum Laboris qui sera soumis aux pères synodaux pour in fine le Synode des évêques. Ce processus part donc de la base et se déploie à différents niveaux: diocèses, conférences épiscopales, niveau continental, puis tout ce processus d’écoute aboutit au Synode des évêques en octobre 2023.
Comment être sûr que les Pères synodaux intègrent bien dans leur discernement cette longue phase préparatoire? N’y a-t-il pas un risque que cela s’étiole dans la Salle du Synode?
Aujourd’hui, le Pape François insiste beaucoup sur cela, et les derniers synodes ont vraiment mis en lumière le fait que la synodalité est l’appel de Dieu pour l’Église d’aujourd’hui, et que le style missionnaire pour répondre aux défis actuels est d’être une Église synodale. Ce processus vise donc à permettre au plus grand nombre de vivre une expérience synodale. Une Église synodale est une Église de l’écoute; à travers ce processus, l’Esprit Saint va continuer de travailler l’Église, pour que tous soient acteurs et que les évêques renforcent le dialogue, l’écoute du Peuple de Dieu. L’enjeu de la synodalité est de marcher ensemble: pasteurs, laïcs, jeunes, personnes âgées, hommes, femmes… Que l’on soit dans cette dynamique de discernement en commun, et cela n’enlève rien au rôle très important des pasteurs. Mais la synodalité vise à construire, à renforcer ce Peuple de Dieu pour qu’il puisse servir l’humanité.
Peut-on lire dans ces changements une volonté de lutter contre le cléricalisme?
On peut dire d’une certaine manière qu’un des enjeux aujourd’hui est de sortir d’une vision et d’une pratique de l’Église cléricale, du cléricalisme, en entrant dans une manière d’être Église qui est synodale, où tous marchent ensemble. La synodalité doit en effet aider à sortir de ce cléricalisme, elle vise à construire une fraternité. Pour construire cette fraternité et l’amitié sociale dans le monde, comme Fratelli tutti y appelle, il faut aussi d’abord pouvoir le vivre en Église, et être dans cette dynamique de fraternité autour du Christ qui conduit son Église.
Vous parlez d’une dynamique de fraternité, mais quelles sont les racines de cette Église synodale?
L’Église synodale est vraiment enracinée et fondée dans le mystère trinitaire. La vision de la synodalité n’est rien d’autre que la vision d’une Église-communion, mais dans une vision dynamique et ancrée dans l’Histoire. La synodalité est une dimension constitutive de l’Église, et l’Église des premiers siècles avait un mode de gouvernance synodal et collégial. Aujourd’hui, on vit la synodalité comme un fruit de Vatican II, et d’ailleurs le synode des évêques a été institué à la fin du Concile Vatican II par Paul VI, en réponse aussi à des désirs exprimés par des Pères conciliaires. Mais on est peut-être aujourd’hui dans un processus de réapprentissage de cette synodalité, dans la réception de Vatican II.
Ces changements marquent donc une étape décisive dans la vie de l’Église?
On voit bien que depuis l’institution du synode des évêques, celui-ci évolue de synode en synode, car l’Église est aussi toujours ancrée dans l’Histoire, dans des contextes. Le Pape François a sans doute revalorisé cet instrument qu’est le synode des évêques, pour mettre l’accent sur la synodalité. Ce prochain synode s’inscrit à la fois dans la continuité – il hérite des étapes déjà franchies lors des synodes précédents -, et il ouvre une nouvelle étape, dans le sens où il invite l’Église à continuer ce chemin en se mettant vraiment à l’écoute de l’Esprit. Le but de la synodalité est de discerner ensemble quels sont les appels de l’Esprit Saint pour l’Église d’aujourd’hui.
Et ces changements interviennent justement à la veille de la Pentecôte…
Oui, la Pentecôte, avec cette émergence de l’Esprit Saint donné aux apôtres, est une belle image de ce qu’est la synodalité. D’ailleurs, durant le Synode des jeunes, l’image venue pour parler de cette expérience est celle d’une «nouvelle Pentecôte» – c’est aussi cette expression que Jean XXIII a utilisée pour le Concile Vatican II. On peut donc vraiment espérer que ce processus synodal qui s’ouvre permette, dans toutes les Églises locales, cette expérience de nouvelle Pentecôte, de renouvellement intérieur, d’élan missionnaire pour sortir à la rencontre des autres… […]
Ce processus de deux ans semble refléter les idées du cardinal jésuite Carlo Maria Martini, qui considérait la synodalité comme un moyen de remettre en question l’enseignement de l’Église. L’ancien cardinal-archevêque de Milan, décédé en 2012, avait envisagé une Église synodale permanente dans laquelle l’idée de gouvernance collégiale introduite au Concile Vatican II pourrait être mieux réalisée. Le cardinal Martini déclarait en 2004 qu’il voyait le Synode des évêques comme un élément important d’une forme moins centralisée de gouvernance de l’Église. Plutôt que de plaider pour un troisième Concile, il pensait que sa vision d’une Église synodale permanente serait non seulement plus conforme à l’appel du Concile Vatican II pour une gouvernance collégiale, mais un moyen efficace pour introduire des questions clés.
Compte tenu des tensions associées aux synodes récents, et en particulier au «Chemin synodal» national en cours en Allemagne, qui pourrait conduire l’Église du pays au schisme, l’appréhension grandit quant aux effets diviseurs de ce type de gouvernance et de sa tendance à être utilisé pour introduire l’hétérodoxie dans l’Église. Ces inquiétudes se sont également développées compte tenu du fait qu’un si grand nombre de fidèles, en particulier en Occident, ont été mal catéchisés au cours des 60 dernières années.