Paix Liturgique a réalisé une belle enquête (9 lettres publiées ces dernières semaines) sur le catholicisme américain en général, et la forme extraordinaire du rite romain en particulier. Notre regretté confrère, Daniel Hamache, fin connaisseur de l’Eglise américaine avait finement analysé le développement de la forme extraordianire outre Atlantique. Pour cet ultime volet, Paix Liturgique (lettre n°796, 10 mai 2021)a interreogé le cardinal Raymond Burke.
Paix Liturgique – Pensez-vous qu’il existe un charisme particulier propre au Catholicisme américain ?
Cardinal Raymond Leo Burke – Les américains ont un vrai sens pratique et un talent pour l’organisation. Ces caractères se retrouvent chez les catholiques américains en général et chez ceux attachés à la forme extraordinaire en particulier. J’en ai pour preuve leur talent à faire avancer les choses alors que d’autres attendraient que les choses s’imposent d’elles-mêmes. Combien de fois ai-je vu des fidèles dont les pasteurs étaient réservés ou hostiles à leur demande s’ingénier à trouver des solutions parfois à des centaines de kilomètres de chez eux.
Le cardinal Caffarra m’a dit un jour sur la situation en Europe : « les catholiques américains sont encore prêts à se battre pour leur foi et leur Église, et pour la défense de la vie. Vous devez continuer à être comme cela pour nous donner des forces et du courage, et nous montrer que nous pourrions en faire autant ! ».Paix Liturgique – Le sondage que nous avons commandité nous indique que le nombre de catholiques américains pratiquants qui connaissent le motu proprio est supérieur à 72 % ce qui est très important
Cardinal Raymond Leo Burke – Je dirais qu’aux USA la conscience qu’il existe désormais deux formes du rite de la messe est assez élevée. Cela s’explique par le fait que lors de la publication du motu proprio Summorum Pontificum en 2007 ce document a été très largement présenté et commenté dans la presse. De plus, il existe aux États-Unis de nombreux blogs catholiques à l’audience très importante. Je pense à Rorate Cœli, au Father Z, ou à OnePeterFive. Ces blogs très actifs sont très favorables à la liturgie traditionnelle ce qui a eu une grande importance dans la popularisation de la liturgie ancienne même en dehors des cercles « traditionnalistes ». Dès lors je ne suis pas surpris que 72% des pratiquants connaissent l’existence du motu proprio Summorum Pontificum.Paix Liturgique – Le sondage indique également que parmi les catholiques américains, nombreux sont ceux qui apprécient l’usus antiquior puisque plus de 41 % des catholiques pratiquants y assisteraient volontiers chaque semaine s’il était célébré dans leurs paroisses ?
Cardinal Raymond Leo Burke – Selon mon expérience, il y a aux USA une grande ouverture en faveur de la messe classique. Un jour, un cardinal italien m’a dit à propos de la forme extraordinaire : « Laissez cette chose aux Français et aux Américains, car les Italiens sont peu intéressés ». Mais je suis bien obligé de constater que les Américains eux sont vraiment curieux et intéressés par la liturgie traditionnelle. Les Français ont été les plus fort pour s’opposer aux réformes malvenues, les Américains se contentent – mais avec talent – de faire avancer les choses sur le terrain et les résultats sont là.Paix Liturgique -Quel a été le rôle de l’épiscopat dans le développement de la liturgie classique ?
Cardinal Raymond Leo Burke – Il y a bien sur des prélats qui ne sont pas favorables à l’usus antiquior, mais il se trouve aux USA des évêques qui ont joué un rôle majeur dans la promotion et la bonne connaissance de la liturgie classique. Je pense aujourd’hui à Mgr. Sample ou à Mgr. Cordileone. Et il y a aussi de nombreux évêques qui célèbrent l’usus antiquior quand on leur demande car, dans l’ensemble, la plupart des pasteurs ont voulu répondre favorablement aux demandes des fidèles qui souhaitaient assister à la liturgie traditionnelle.Paix Liturgique – Est-ce par ce que les évêques américains sont pragmatiques que « dogmatiques » ?
Cardinal Raymond Leo Burke – Il est évident que les prélats américains sont moins « dogmatiques » et plus pragmatiques que leurs confrères européens sans doute parce que la réalité et la diversité de la population américaine les y invite. Chaque évêque, ou presque, a au sein de son troupeau des communautés venues de nombreuses contrées : des Italiens, des Polonais mais aussi des Ukrainiens et maintenant beaucoup d’hispanophones. Chacune de ces communautés a ses pratiques et ses usages ; aussi lorsqu’un évêque est confronté à une demande d’usus antiquior cela ne lui semble pas plus étrange que la demande que lui feraient des Ukrainiens, des Orientaux ou de Tchèques… Ajoutons que cette diversité de la population américaine interdirait à un évêque de vouloir établir l’unité de son diocèse sur une unité culturelle ou liturgique… Cela a permis de grandes ouvertures pour l’usus antiquior alors qu’en Europe les pasteurs se sont souvent crispés sur une apparente unité d’un peuple qui serait homogène, ce qui d’ailleurs n’est plus possible même en Europe aujourd’hui où se trouvent de nombreuses communautés d’origine étrangère ; je pense aux nombreux Philippins qui vivent en Italie, mais aussi aux nombreux Portugais qui vivent partout en France et en Europe. En cela l’Église d’Amérique est prophétique par rapport à ce que seront les Églises diocésaines d’Europe demain.