Famille chrétienne consacre un article au retour de la soutane, au-delà des cercles traditionalistes, dans le clergé diocésain :
Elle n’est plus l’apanage des tradis, ni de la Communauté Saint-Martin. De plus en plus de jeunes prêtres diocésains la revêtent. Après des années de purgatoire, la soutane est de retour. « Aux sessions de formation continue de ma province ecclésiastique [Rouen, Ndlr], nous étions deux à la porter en 2014. Nous sommes aujourd’hui une dizaine, soit la moitié des participants », remarque l’abbé Laurent Gastineau, ordonné prêtre il y a quatre ans dans le diocèse de Séez. Un phénomène confirmé par l’entreprise Arte Houssard, fabricant de soutanes sur mesure, qui a vu ses ventes augmenter de 145 % entre 1999 et 2016. « Nous avons toujours eu des clients, essentiellement des tradis, auxquels s’ajoute aujourd’hui la nouvelle génération de prêtres qui veulent en avoir une, même s’ils ne la portent pas tous les jours », confie Stéphanie, la responsable du magasin parisien.
Lorsqu’on les interroge sur les raisons de ce choix vestimentaire, ces prêtres avancent d’abord l’obéissance aux normes ecclésiastiques. « Le Directoire pour le ministère et la vie des prêtres [Artège, 2013, Ndlr] nous demande de porter un habit clérical. S’il ne fait pas de la soutane le seul habit possible, il la cite très clairement en premier, lui donnant ainsi la primauté », estime le Père Stanislas Briard, vicaire de la paroisse Notre-Dame de Coutances (Manche), qui la revêt de manière habituelle depuis son ordination.
La primauté, non l’exclusivité… Alors, pourquoi pas le clergyman ? « La soutane est aujourd’hui encore l’habit traditionnel des clercs dans l’Église, considère Don Louis-Hervé Guiny, membre de la Communauté Saint-Martin. Qui reconnaîtrait le Saint-Père sans sa soutane blanche ? Même chez ceux qui se sont éloignés de l’Église, la soutane est bien souvent restée dans les mentalités et continue d’identifier “le curé”. » Une identification qui serait moins évidente avec le clergyman. Ceux qui l’ont porté en alternance avec la soutane l’ont tous constaté. « Le clergyman ne parle qu’aux cathos, remarque le Père Marc-Olivier de Vaugiraud, 38 ans, ancien vicaire dans les Yvelines. En outre, la soutane est plus visible. Si je mets deux écharpes, on continue de la voir. Je suis deux fois plus interpellé quand je la porte ! » Même constat pour l’abbé Gastineau qui assure être, en soutane, « certain de ne pas voyager seul dans le train », et se rappelle une traversée de Paris rendue épuisante par un déluge de sollicitations. « Je comprends que certains veuillent l’enlever pour être tranquilles ! », plaisante-t-il.
Certains passants n’hésitent pas en effet à demander des bénédictions, des prières, comment recevoir le baptême ou faire sa première communion. Plusieurs prêtres notent également que visibilité rime avec disponibilité. Vicaire de la basilique d’Argenteuil (Val-d’Oise), le Père David Lamballe rapporte qu’on lui a plusieurs fois demandé la confession dans la rue ou le métro. « Quand je dois me déplacer d’un endroit à un autre, j’ai intérêt à prévoir large car je sais que je serai sollicité. Pour les gens, la soutane signifie que je suis “en service”, à leur disposition. »
À entendre ses adeptes, la soutane est aussi un excellent outil d’évangélisation. « Dans une société de plus en plus sécularisée, la soutane joue son rôle de signe qu’il existe une autre réalité, indique Don Guiny. Elle incite à se poser des questions et à entrer en contact. » À Mantes-la-Jolie, le Père de Vaugiraud a régulièrement expérimenté la dimension missionnaire de sa longue robe noire. Entrant un jour dans un bar devant lequel il était passé quelques minutes auparavant, le patron lui a confié que sa soutane avait provoqué une discussion parmi les clients. « Le Bon Dieu s’est invité dans leur conversation. Nous avons longuement parlé de la charité, de l’amour du Christ. Ce bout de tissu, que les franciscains du Bronx appellent “l’homélie silencieuse”, m’a permis d’introduire dans un cœur le nom de Jésus. Je suis l’homme-sandwich du Bon Dieu ! », conclut-il. « La soutane est un moyen efficace pour aller aux périphéries, particulièrement vers les musulmans qui sont plus respectueux avec les personnes qui affichent leur foi », confirme l’abbé Raphaël Dubrule, missionnaire de la Miséricorde divine installé dans le cœur de Toulon. Parce que leur apostolat est entre autres dédié à l’évangélisation des personnes musulmanes, les membres de cette société de prêtres sont vêtus d’une soutane blanche évoquant l’habit des Pères Blancs. Dans un quartier composé à 75 % de musulmans, cette présence religieuse chrétienne manifeste a un impact considérable sur la population. « Les salafistes ne s’approchent pas trop. Ils se disent que c’est un espace chrétien, déjà occupé par les “hommes en blanc”. Et les Français de culture chrétienne, même s’ils sont éloignés de l’Église, apprécient que ceux qui sont en habit religieux soient catholiques. C’est pour eux une petite marque d’espérance », ajoute l’abbé Dubrule.
Si elle parle à ceux qui la croisent dans la rue, la soutane adresse aussi un message à celui qui la porte en lui rappelant sa consécration au Christ. Le Père Lamballe souligne que le prêtre l’embrasse le matin avant de l’enfiler et qu’elle lui permet de se souvenir « qui il est, pour qui il vit et au service de qui il se met ». Sur un plan plus spirituel, poursuit-il, « de même que le scapulaire nous met sous la protection de la Sainte Vierge, la soutane met le prêtre sous le manteau de Celui à qui il appartient en premier ». Elle l’oblige également à une certaine retenue. « Je sais que je suis regardé, explique l’abbé Gastineau, ça influence mon comportement, ça me fortifie dans les vertus. » Si l’habit ne fait pas le moine, il peut y contribuer…
Ce retour en grâce de la soutane est cependant loin de faire l’unanimité. Elle en agace certains qui lui reprochent son caractère ostentatoire ou dépassé, quand ce n’est pas sa connotation idéologique, traduisez « intégriste ». « C’est quitte ou double, concède le Père de Vaugiraud, mais je préfère prendre ce risque plutôt que de disparaître du champ social, d’autant que la crispation vient surtout du clergé, en particulier des supérieurs qui analysent cela comme une revanche sur le Concile, et aussi de quelques cathos, mais jamais de la part de ceux qui sont plus éloignés de l’Église. »
Ce débat serait-il générationnel ? Assurément, mais il est aussi et surtout philosophique, voire stratégique. L’abbé Gastineau se souvient que lorsqu’il était au séminaire, il était « impensable » pour les futurs prêtres d’y arborer un vêtement ecclésiastique (ils avaient l’obligation d’être en civil), mais que tous dissimulaient une soutane dans leur placard. « Nous la portions à l’extérieur après nous être changés en cachette. Même si ce n’est pas la raison principale, je pense que nous l’avons sans doute aussi adoptée en réaction à une génération de prêtres à laquelle nous ne parvenions pas à nous identifier », confesse-t-il.
« Choisir la soutane correspond à une certaine vision du monde et de l’Église », analyse le Père de Vaugiraud. À une époque, certains ont pensé qu’elle constituait un obstacle à leur apostolat. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes prêtres estiment qu’elle est leur meilleure alliée dans une société déchristianisée. Peu convaincus par l’expérience du levain dans la pâte, ils ont opté pour être la « lumière du monde ». « Mais attention, être en soutane ne signifie pas qu’on est plus saint. Et avant de savoir si on la portera ou non, ce qui compte est de savoir quel homme on va mettre dedans », conclut le Père de Vaugiraud.
Longue, ample, noire, fermée par trente-trois boutons, surmontée d’un col blanc et barrée d’une large ceinture, la soutane, comme l’habit des religieux, constitue pour celui qui la revêt une sorte de clôture. Elle est un signe de pénitence, d’abnégation, de renoncement au monde, on dit aussi de « mort au monde », que vient renforcer sa couleur noire. La soutane symbolise la pauvreté, le col l’obéissance et la ceinture la chasteté, les trois conseils évangéliques sur lesquels s’appuie une vie engagée dans la suite radicale du Christ, nous dit Benoît XVI. Elle est violette pour les évêques, rouge pour les cardinaux, défenseurs de l’Église jusqu’au martyre si nécessaire, blanche pour le pape, et pour les missionnaires (pour des raisons climatiques).