Côme de Prévigny revient, pour Renaissance catholique, sur la fin, le 7 février, de l’expérience du Centre pastoral Halles-Beaubourg :
Celle-ci avait été initiée quarante-six ans plus tôt par son prédécesseur, le cardinal François Marty, qui, au lendemain du Concile, avait installé ces instances innovantes dans l’église Saint-Merry, au cœur du Marais. Si la nouvelle n’a pas eu l’honneur des grands titres de la presse, elle a néanmoins été commentée par les revues survivantes du progressisme français qui regrettaient, par là, la disparition d’un véritable symbole, tout en reconnaissant le caractère inévitable de la nouvelle.
C’est officiel, à compter du dimanche 1er mars, plus aucune célébration ne sera organisée dans le cadre du centre pastoral qui avait jadis investi la nef de Saint-Merry. La communauté des laïcs progressistes a été dissipée par l’archevêché un mois auparavant. Comme les restaurants de la capitale vivotant depuis des années, l’institution n’aura donc pas survécu aux divers confinements et aura été sanctionnée pour sa mise sous oxygène prolongée. Mais plus qu’un acte autoritaire, il s’agit plutôt là d’un constat de disparition tant le mouvement peinait à se régénérer. Complètement contextualisé dans l’esprit libertaire des Seventies, il n’aura donc pas survécu à la décennie 2020 et il sera peut-être même comptabilisé dans les morts du Covid-19. Le vaccin pour perpétuer le progressisme n’aura finalement jamais été découvert par les laboratoires théologiques les plus spécialisés.
L’aventure conciliaire sans limites
Au mois de mai 1975, le cardinal Marty avait trouvé une occupation aux églises du cœur de Paris, marqué par une déchristianisation profonde. Il affecta Saint-Merry aux milieux progressistes, ceux qui avaient pris l’élan du Concile au pied de la lettre et qui avaient désiré se lancer dans une aventure de créativité sans limite, avant même que l’ère wojtilienne ne siffle la fin de la récréation libertaire. « Inventez l’église de demain » lançait l’archevêque utopiste de l’époque, sans s’assurer que le fruit des imaginations ne fourvoie une telle aventure dans l’hétérodoxie la plus complète. Pendant plusieurs décennies, la nef gothique de l’église a été le théâtre de liturgies totalement improvisées. Assistants accroupis, laïcs se lançant dans des commentaires bibliques déconcertants, chantres entonnant des vocalises de tradition soufie, tous les protagonistes du « Centre » n’avaient qu’un seul objectif : s’affranchir des canons de l’Église pour en changer de gré ou de force les normes par les faits. C’était bien le sens de « l’expérimentation ».
Dès les années 1980, le changement de paradigme de l’Église de France, contrainte à se recentrer, provoqua l’embarras des occupants du siège de Paris qui, sans avoir la force de condamner cet épineux fruit de Vatican II, toléraient du bout des lèvres l’expérience pour le moins déconcertante de Saint-Merry. Parallèlement, les pasteurs nommés multipliaient les innovations et cautionnaient les démonstrations de force des laïcs qui s’y rassemblaient. À l’heure où les prêtres de France se mobilisaient contre le mariage pour tous, le Centre pastoral encourageait les chrétiens à vivre sans entrave leurs relations intimes, clairement discordantes avec la Sainte Écriture.
Mais l’hétérodoxie de Saint-Merry ne se limitait pas au plan moral où homosexuels actifs et divorcés remariés étaient confortés dans leurs comportements. Des chemins aventureux étaient empruntés pour modifier la liturgie où les laïcs intervenaient autour d’une table ronde, à l’issue d’une célébration de la parole, particulièrement participative. Le dialogue interreligieux et l’art contemporain étaient également développés sous ces voûtes, sans aucune limite. L’idée était toujours de provoquer le catholique traditionnel, forcément bourgeois, toujours étriqué, et intentionnellement provoqué. Une forêt de chaises suspendue à la nef, une crèche formée par des réfugiés derrière les barbelés, des conférences altermondialistes constituaient le quotidien du centre qui abhorrait tout ce qui pouvait relever de la Tradition de l’Église. Il ne fallait plus qu’il se constituât en paroisse, par rejet de cette institution considérée comme arriérée. Le nom de Saint-Merry devenait lui-même obsolète car il était sans doute trop évocateur. Aussi, les laïcs adoptèrent-ils la formulation lourde et terriblement dépassée de « Centre pastoral Halles-Beaubourg » pour tenter d’attirer la jeunesse…
Des curés poussés à bout
Pendant des années, les autorités diocésaines auraient eu tout motif de condamner le centre pastoral tant il s’affranchissait de la doctrine de l’Église, mais elles préférèrent tempérer pour éviter une cristallisation autour d’un phénomène surmédiatisé. Elles ont néanmoins été acculées à constater la disparition de la communauté le jour où le centre pastoral fut complètement essoufflé et où plus aucun prêtre ne fut en mesure d’assumer la responsabilité de Saint-Merry. Dernièrement, les pères Daniel Duigou et Alexandre Denis furent envoyés administrer la paroisse. Ni l’un ni l’autre ne pouvaient être pourtant taxés de conservatisme. Le premier était journaliste à RMC et psychanalyste. Le second s’est singularisé par son passé de prestidigitateur. Pourtant les deux ont dû démissionner sous le coup des attaques des laïcs à l’œuvre et, ni l’un ni l’autre, n’ont pu faire de miracle. Ainsi, le concède René Poujol, proche du CPHB :
« Il n’était un secret pour personne que, depuis quelques années, la communauté traversait une période de fortes tensions. Coup sur coup, deux des prêtres nommés par le diocèse ont demandé à être relevés de leur charge : Daniel Duigou, ancien journaliste de télévision, prêtre et psychanalyste, proche de Mgr Jacques Gaillot, au bout de trois ans, qui confie volontiers avoir vécu là une « saison en enfer » et plus récemment, le père Alexandre Denis, un an après sa nomination. »/1/
Le père Duigou a été très explicite :
« Je ne voulais plus être complice d’un lynchage permanent, une véritable maltraitance morale. » Et il ajoute : « Le même processus s’est reproduit avec mon successeur comme il s’était produit avec mon prédécesseur, qui est parti, selon moi, “en morceaux” ! ». /2/
Sur place, on évoque un fonctionnement « ostracisant, refusant tout dialogue, à la limite de la dérive sectaire ». Et l’archevêché de continuer : « Cette communauté a vieilli ensemble, elle a formé un bloc avec ses codes, et quand on vient de l’extérieur, on ne peut pas entrer. Il y a un système »/3/. On connaît la difficulté des prêtres de France à recouvrer un minimum d’autorité sur les paroisses qui leur sont confiées, tant certains laïcs idéologisés ont été habitués à faire la pluie et le beau temps dans les sanctuaires, au détriment des pasteurs et, surtout, du reste des ouailles. Le problème était exacerbé à Saint-Merry. D’un côté, l’archevêché continuait à envoyer des prêtres et se rendait compte que même les plus libéraux étaient conspués, voire rendus malades. De l’autre, certains laïcs auraient souhaité continuer à dispenser une doctrine propre et à assurer des offices improvisés en s’affranchissant complètement du clergé. Même le protestantisme le plus échevelé n’avait pas imaginé une telle évolution ! Christine Pedotti l’a même reconnu dans La Croix : « La “ cogestion “ prêtres/laïcs, même profondément souhaitée par les deux parties, est impossible dans la structure actuelle du catholicisme, qui concentre entre les mains du clergé toutes les responsabilités : celle d’enseigner, celle de sanctifier et celle de gouverner. »/4/ Ce que voulaient, au fond, les progressistes actifs à Saint-Merry, c’était abolir l’essence même de l’Église, à savoir le sacerdoce catholique.
La mort naturelle d’un « catholicisme » sans transmission
Les protagonistes de la tragédie que nous vivons n’ont pas des prénoms qui respirent la prime jeunesse. L’un d’eux écrit : « On doit pouvoir l’écrire sans faux procès : le « noyau dur » de l’équipe d’animation du Centre pastoral est aujourd’hui composé de personnes qui font partie de la communauté de Saint-Merry depuis l’origine et s’estiment dépositaires de son intuition pastorale. À charge pour les prêtres nommés par le diocèse de se l’approprier… ou de se démettre ! »/5/ Le temps a passé. Les moquettes orangées ont pâli. Les aubes en nylon ont jauni. Et les combats qui ont été menés dans l’univers qu’elles décoraient ne sont plus vraiment compris par la jeunesse d’aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans le rêve sans entrave de l’Après-Guerre, particulièrement caricaturé en mai 68.
Dans Témoignage chrétien, Élise Bracque, assez honnête, s’interroge : « L’échec de Saint-Merry, qui peinait ces dernières années à régénérer ses rangs, préfigure-t-il l’échec du renouvellement catholique ? /6/». Et sa consœur de La Croix reconnaissait, désolée : « Au fond, si l’archevêque n’avait rien fait, ce Centre, dans peu d’années, serait peut-être mort de sa belle mort, faute de renouvellement générationnel, l’équipe en place, vieillissante, n’ayant pas su, ou pu, faire une place à des plus jeunes… »/7/
Car lequel de ces fidèles engagés a suscité des vocations religieuses à l’Église ? Lequel a su inculquer aux générations suivantes la nécessité de transmettre la foi ? En relativisant toute doctrine, en démystifiant tout mystère sacré, en moquant toute certitude, toute expérience éprouvée par le temps, ils ont gommé tout ce qui fonde la religion pour la réduire à un simple combat social et politique qu’il est aussi aisé de mener dans la société civile. Les faits montrent que c’est ainsi que leurs enfants l’ont compris. Il ne semble pas que les séminaires aient recueilli beaucoup de vocations ayant germé à Saint-Merry. Bien évidemment, ses adeptes, qui aspirent à une Église sans hiérarchie ni prêtre, rétorqueront que le modèle tridentin voire grégorien est dépassé et ne leur convient pas. Mais la réalité est plus forte. Il n’y a donc plus de pasteur pour animer ce genre de lieu et les forces vives de l’Église de demain se retrouvent bien ailleurs.
À l’heure où le cardinal Marty encourageait Saint-Merry, il condamnait dans le même temps les catholiques parisiens désireux de maintenir la messe et les sacrements selon la forme qui leur avait toujours été administrés et suivant la doctrine jadis enseignée. Saint-Nicolas du Chardonnet était à l’époque assiégé. Ses prêtres étaient conspués. Depuis, les sanctions portées à leur encontre ont été levées et la pastorale qui avait attiré les fidèles de toute l’Île-de-France a été reproduite au point que la messe traditionnelle y est célébrée dans plus de soixante lieux de messe. Or, ce n’est pas le haut clergé qui a encouragé cette tendance. On peut même affirmer qu’il a résisté de toutes ses forces à cet état de fait. Songeons, un instant, aux efforts déployés à Rome par le cardinal Lustiger pour freiner la reconnaissance du missel traditionnel. Mais ce milieu catholique traditionnel est prolifique en vocations pour l’Église et la transmission de la foi y est particulièrement maintenue. Si une impulsion progressiste avait été bénie de Dieu, des instances se seraient développées naturellement pour y faire avancer une jeunesse qui n’a, de toute façon, jamais émergé. Les faits ont montré que les nouvelles générations ont déserté certains lieux pour leur préférer des structures où une doctrine éprouvée et nourrissante était transmise. Au-delà de ce constat simple, il y a cependant une vraie tristesse dans cette fermeture du centre pastoral de Saint-Merry. C’est celle que ressentent, au soir de leur vie, des catholiques qui ont pu croire de façon irénique et peut-être même naïve à un renouveau fondé sur une Révolution dans l’Église. Ils pensaient vraiment, dans les années 1950, qu’il fallait abandonner les dogmes et s’adapter au monde pour lui ressembler, pour attirer les foules dans les églises. C’était oublier l’action de la grâce. C’était construire une tour de Babel sur la seule force des hommes. Isabelle de Gaulmyn a une formule simple pour exprimer cette désolation naturaliste : « La fermeture de ce lieu est grave, parce que c’est un constat d’échec. » /8/
Côme de Prévigny
1 René Poujol, « Il faut sauver l’esprit de Saint-Merry », cath’lib, 17 février 2021.
2 Christine Pedotti, « Saint-Merry, c’est fini ! », Témoignage chrétien, 4 mars 2021.
3 Cécile Chambraud, « Le diocèse de Paris met fin à l’expérience du centre pastoral Saint-Merry », Le Monde, 26 février 2021.
4 Christine Pedotti, op. cit.
5 René Poujol, « Il faut sauver l’esprit de Saint-Merry », cath’lib, 17 février 2021.
6 Élise Racque, « Au centre pastoral si atypique de Saint-Merry, la messe ne sera plus dite », Télérama, 1er mars 2021.
7 et 8 Isabelle de Gaulmyn, « Fermeture du Centre Saint-Merry, et après ? », La Croix, 19 février 2021.