Mgr Olivier de Germay, nouvel archevêque de Lyon, a été longuement interrogé dans Famille chrétienne. Extraits :
[…] les catholiques doivent articuler une forme de fierté et une forme d’humilité. Humilité car un chrétien ne peut se situer en surplomb ou en donneur de leçons. Mais fierté également car nous avons un trésor à transmettre. Le service que nous avons à rendre au monde ne se limite pas à une œuvre humanitaire, sans l’exclure bien entendu, il s’agit d’annoncer Celui qui peut répondre aux attentes les plus profondes de tout être humain ! Dans ce monde qui est, pour une part, déboussolé, nous pouvons être fiers d’être chrétien, si du moins, à la suite de saint Paul, nous mettons notre fierté dans la Croix du Christ.
Mais comment parler du Christ à nos contemporains ?
Pour annoncer le Christ, nous devons les rejoindre au niveau de leur désir profond. La foi chrétienne nous révèle que toute personne humaine, au fond d’elle-même, a soif de Dieu. Nous pouvons nous inspirer de la pédagogie du Christ. Dans sa rencontre avec la Samaritaine, par exemple, on voit comment il l’aide à descendre dans son puits intérieur (qui est profond, dit le texte) pour passer d’un désir d’eau – tout à fait légitime – à un désir beaucoup profond : la soif d’eau vive, c’est-à-dire la soif de Dieu. Le risque, si on est pris par la spirale de la consommation, c’est de vivre au niveau de nos désirs superficiels. Nous devons aider nos contemporains à intérioriser, à faire silence, à descendre en eux-mêmes pour y découvrir leur soif de plénitude, leur soif de Dieu. À ce moment-là, l’annonce du Christ Sauveur n’est plus quelque chose de plaqué, il rejoint leur attente. A la suite du Christ, les chrétiens doivent être des pédagogues !
N’est-ce pas le chemin suivi par ceux qui veulent pratiquer une écologie intégrale comme par exemple dans le éco-hameau de La Bénisson-Dieu ?
L’écologie est importante en elle-même, le Pape nous le rappelle souvent. Elle est aussi un point de rencontre avec des personnes qui aspirent à un monde meilleur mais qui ne partagent pas forcément notre foi. C’est un lieu d’évangélisation, et il est important que des chrétiens s’engagent dans ce domaine. Ils doivent évidemment pour cela se former car tout ne se vaut pas dans l’univers écologique…
Quelle est votre crainte au juste ?
Ce n’est pas tant une crainte qu’un point d’attention. Il existe certaines conceptions de l’écologie qui ne sont pas compatibles avec l’anthropologie chrétienne. Celle-ci est souvent remise en cause aujourd’hui, et il faut nous former pour entrer en dialogue avec nos contemporains à ce sujet. Un autre point d’attention, en tant qu’évêque, c’est de veiller à l’équilibre de nos engagements. La vie chrétienne comporte plusieurs dimensions à tenir ensemble. Il est bien sûr tout à fait normal que l’on soit plus à l’aise dans tel ou tel domaine, mais il ne faut pas tomber dans une forme d’exclusivité, et encore moins dans la critique vis-à-vis de ceux qui mettent l’accent sur d’autres dimensions de la vie chrétienne. Vous le savez, le grand défi dans l’Eglise est celui de l’unité ; sans cesse le Malin cherche à nous diviser. Il le fait parfois en laissant croire à chacun que sa manière de vivre sa foi est la seule valable. Certains chrétiens sont plus sensibles à l’engagement en faveur des pauvres, d’autres à la liturgie, d’autres à l’éducation, d’autres à la formation, etc. La diversité est légitime tant qu’elle est au service d’une édification mutuelle. Celui qui vit sa foi différemment de moi peut être un signe : il me rappelle que je pourrais honorer davantage telle ou telle dimension de ma vie chrétienne. Dans tout cela, il faut avoir le souci de l’équilibre. Je crois que cela fait partie de la mission de l’évêque.
Cette division, nous l’avons vue à l’oeuvre lors de l’interdiction des messes au début de ce deuxième confinement ?
C’est dommage de se diviser sur ces questions. Là encore, une diversité d’approche est légitime. Faut-il aller manifester devant les églises ou pas ? Cela ne touche pas aux fondements de notre foi. A titre personnel, je me suis réjouis de voir des jeunes exprimer leur soif de l’eucharistie. Tant de personnes aujourd’hui négligent la pratique dominicale ! Ma première réaction est donc positive. Cela dit, il peut y avoir plusieurs façons de défendre la liberté de culte. Il ne faut pas opposer les choses. En échangeant avec des personnes très « remontées » contre les mesures gouvernementales, je les ai invitées à être attentives aux dérives possibles de telles manifestations. La prière publique est en soi légitime, mais il faut veiller à ne pas l’instrumentaliser pour en faire un message politique. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans la situation des premiers chrétiens persécutés. Il ne s’agit pas tant d’une persécution religieuse que d’une méconnaissance de la religion et de la place du culte dans la foi catholique.
Les catholiques peuvent-ils vivre leur foi sans l’eucharistie dont ils ont été privés pendant plusieurs dimanches ?
Lorsqu’on est empêché de participer à l’eucharistie, on peut lire la Parole de Dieu, prier, seul ou à plusieurs, on peut également faire des œuvres de miséricorde. Il est vrai que l’eucharistie est pour nous vitale. On ne peut la comparer à une activité culturelle ou de loisir. Mais il faut aussi comprendre que, contrairement à d’autres religions, le christianisme n’est pas d’abord une pratique. Il est plus fondamentalement une mystique. Les chrétiens qui sont persécutés et emprisonnés ne participent pas à l’eucharistie, mais ils ne sont pas coupés de la grâce ! Celui qui a soif de l’eucharistie et qui en est empêché indépendamment de sa volonté peut toujours réaliser ce à quoi nous conduit l’eucharistie : faire de sa vie un « sacrifice saint » comme dit saint Paul. Et cela, personne ne peut nous l’interdire ! […]