Nouvelle lettre ouverte de Jean-Pierre Maugendre à l’archevêque de Paris :
Monseigneur
Me penchant sur l’histoire récente de notre pays il m’avait bien semblé discerner que malgré leurs incantations récurrentes au dialogue, trop de membres de l’épiscopat français refusaient, dans les faits, de répondre aux fidèles qui, respectueusement leur faisaient part de leur « opinion sur ce qui touche au bien de l’Eglise ». Me voici donc avec deux lettres sans réponse. Je me permets néanmoins de poursuivre mes interrogations.
J’ai écouté avec attention votre rubrique radiophonique sur Radio Notre-Dame avec «Marie-Ange » de ce vendredi 26 novembre. J’avoue en avoir été bouleversé.
Vous vous livrez à une attaque d’une extrême violence contre un « journaliste soi disant bien informé » dans lequel chacun aura reconnu Jean-Marie Guénois, chroniqueur religieux du Figaro, à propos d’un article paru le lundi précédent dans lequel, sous le titre : Du simple laïc au plus haut niveau de l’Eglise : des divergences sur le caractère sacré de la messe, il observait une « division profonde dans l’Eglise », conséquence, selon lui, de divergences théologiques majeures sur l’eucharistie.
Là-contre vous insistez sur l’unité de l’épiscopat français : « Ce qui nous unit est bien plus important que ce qui nous divise », traitant le travail de Jean-Marie Guénois de « minable », ni « honnête » ni sérieux et enfin accusant l’auteur lui-même d’être le diable : « Cela me rappelle le serpent de la Bible qui vient instiller le soupçon pour nous diviser»
Il est peu fréquent qu’un pasteur utilise des termes d’une telle violence pour parler d’un de ses fidèles.
Quelles que soient les appréciations que l’on porte sur les jugements de Jean-Marie Guénois, il n’est pas un « minable ». Présent pendant 10 années à Rome-de 1989 à 1998- il y a fondé l’agence de presse I.Media et collaboré à la revue 30Giorni. Chef du service religion au quotidien La croix pendant 10 ans, il a animé plusieurs émissions pour Le jour du Seigneur. Ancien correspondant au Vatican, il est actuellement rédacteur en chef adjoint chargé de l’information religieuse pour Le Figaro où il dirige une lettre hebdomadaire : Dieu seul le sait. Il est consultant pour RTL et journaliste à L’Esprit des lettres sur KTO. Au regard de ce cursus on ignore les titres de gloire de votre interlocutrice, Marie- Ange de Montesquieu, dont vous louez la « déontologie ».
Sur le fond il me semble que Jean-Marie Guénois se contente, d’abord, de relever une réalité que chacun peut observer. Face aux mesures d’interdiction ou de restriction de la liberté de culte les attitudes des évêques ont été très différentes. Certains ont déposé des référés libertés devant le Conseil d’Etat alors que d’autres appelaient à se soumettre aux injonctions gouvernementales et à poursuivre le dialogue avec les autorités civiles. Pour le dimanche 29 novembre certains engageaient leurs fidèles à assister à la messe et à ne rejeter personne, demandant même que les éventuelles amendes leur soient adressées, d’autres appelaient au respect strict de la loi et donc au respect de la limitation de trente personnes par office.
En journaliste honnête, Jean-Marie Guénois cherche à comprendre les raisons de ces positions différentes que l’on ne saurait réduire à des différences de tempéraments. Citant un évêque, anonyme, il évoque « Une foi catholique eucharistique théologiquement divergente ». Vous affirmez que cet évêque n’existe pas traitant ainsi, formellement, Jean-Marie Guénois de menteur. Je n’ai pas ces vingt dernières années toujours partagé les jugements et les analyses de Jean-Marie Guénois mais j’ai toujours été frappé par leur modération et leur honnêteté. Vous jetez le discrédit sur un journaliste catholique qui a passé trente ans de sa vie à défendre l’Eglise. C’est de votre part une attitude scandaleuse.
J’ignore qui est l’évêque qui a alerté Jean-Marie Guénois. Je n’ai pas de raison de douter de son existence car la réalité qu’il dénonce crève les yeux.
Pour faire simple disons que se confrontent, à propos de l’eucharistie, deux conceptions inconciliables. La conception traditionnelle ainsi formulée dans le catéchisme de Saint Pie X :
« On offre à Dieu le sacrifice de la sainte Messe pour quatre fins :
- pour lui rendre l’honneur qui lui est dû ;
- pour le remercier de ses bienfaits ;
- pour l’apaiser et lui donner une satisfaction convenable pour nos péchés;
- pour obtenir toutes les grâces qui nous sont nécessaires ».
La conception moderne, pour ne pas dire moderniste, ainsi formulée dans la version initiale de l’Institutio generalis présentant le nouveau missel romain, en 1969, en son article 7 :« La Cène dominicale est la synaxe sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi vaut éminemment pour l’assemblée locale de la sainte Eglise la promesse du Christ : Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (Matt XVIII, 20) » Présence réelle certes, mais non substantielle. Cette nouvelle définition de la messe, cependant rectifiée, a, à ce point imprégné les esprits que certains évêques ont, pendant le confinement, dû rappeler à leurs prêtres qu’ils devaient célébrer leur messe chaque jour, même sans assistance.
Ce qui fait la valeur irremplaçable de la messe ce n’est pas sa dimension de rassemblement communautaire c’est que Dieu y est avec son corps, son sang, son âme et sa divinité. Comment ne pas voir dans les termes choisis par certains évêques pour dénoncer les manifestations en faveur de la liberté de culte et inviter à remplacer l’assistance physique à la messe par la prière en famille ou des actes de charité leur adhésion à cette seconde définition, hétérodoxe, de la messe ?
Vous reprochez à Jean-Marie Guénois de chercher à diviser. Dans un entretien précédent vous vous présentiez comme « garant de l’unité ».L’évêque autrefois « garant de la foi », est devenu « garant de l’unité ».Il y a là plus qu’une nuance. Ce changement de paradigme a des conséquences vertigineuses. L’évêque garant de la foi est dépositaire du dépôt qu’il a reçu de l’Eglise. C’est d’ailleurs ce que rappelle la constitution conciliaire Lumen Gentium : « Parmi les fonctions principales des évêques la première est la prédication de l’Evangile. Les évêques, en effet sont les hérauts de la foi (…) qui prêchent au peuple qui leur est confié la foi qu’il doit croire et qu’il doit faire passer dans ses mœurs » (§25). Cette foi est l’adhésion à un donné révélé qui, par nature, ne peut évoluer. Être garant de l’unité c’est tout autre chose. C’est, à un instant particulier, assurer l’unité de la communauté ecclésiale autour de la vérité du moment, définie, ensemble, à la lumière des « signes des temps » (Gaudium et spes §4).
Cette position est objectivement fragile. L’unité dans l’erreur ou le péché n’est pas un bien. Notons que c’est l’ensemble de la pastorale sacramentelle qui est, alors, frappée par ce changement de perspective. Ainsi, dans la pastorale moderne du baptême il ne s’agit plus tant d’effacer le péché originel du baptisé- vérité de foi- que d’accueillir un nouveau membre dans la communauté chrétienne. On songe inéluctablement à l’hérésie moderniste dénoncée par Saint Pie X dans son encyclique Pascendi (8 septembre 1907). Les sacrements ne sont, alors, plus les signes « sensibles et efficaces de la grâce »(Catéchisme de Saint Pie X), ils deviennent, comme le dénonçait Saint Pie X « de purs signes ou symboles, bien que doués d’efficacité (qui n’auraient été) institués que pour nourrir la foi »(Pascendi). Une communauté « tournée vers le Seigneur » (Mgr Gamber) dans laquelle la fidélité au message reçu du Seigneur est la priorité laisse la place à une communauté centrée sur elle-même pour laquelle l’unité devient un objectif en soi. Ce n’est pas pour défendre cette unité que vous avez été ordonné et que vous jouissez de l’autorité que je me garderai bien de vous contester.
En vous souhaitant une sainte entrée dans l’Avent, je vous prie d’agréer, monseigneur, l’expression de mon fidèle et respectueux dévouement in Christo.
Jean-Pierre Maugendre