Dans Marianne, Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences en science politique à l’université de Bordeaux, décrypte le décalage entre la hiérarchie épiscopale et la base des catholiques :
[…] Encore une fois, on retrouve un clivage assez classique. En général, la conférence des évêques de France privilégie l’éthique de responsabilité sur l’éthique de conviction. Elle cherche à avoir une relation de confiance avec le gouvernement en espérant bénéficier de certains privilèges en contrepartie. Ne serait-ce qu’un surcroît de reconnaissance par rapport aux représentants des autres religions.
Au mois de mai, pour le déconfinement, les évêques avaient proposé un protocole sanitaire ambitieux pour obtenir la réouverture rapide des églises. Ils ont ressenti un certain dédain de la part du gouvernement qui n’a pas retenu leur proposition. Ils ont essuyé un second revers lorsque des associations traditionalistes qui avaient saisi le Conseil d’État, ont obtenu la réouverture des lieux de culte. Après cet épisode, ils ont eu le sentiment d’être dépassés par leur base et méprisés par le gouvernement. Cette fois-ci, un référé a également été déposé par quelques évêques et associations de catholiques. Mais la conférence des évêques de France a suivi le mouvement et fait de même quelques jours plus tard.
Est-ce à dire que les instances officielles sont à la remorque de leurs fidèles ?
Il faut être nuancé parce que le catholicisme est clivé en de multiples sensibilités différentes. Et donc tous les catholiques ne vivent pas la suspension des messes de la même manière. Certains s’en accommodent au nom de la solidarité nationale ; d’autres en souffrent parce que la pandémie rend le besoin de communion spirituelle plus vif.
Quoi qu’il en soit, les évêques doivent composer avec les dynamiques internes au catholicisme. Or, le nombre de pratiquants ne cesse de chuter ! Seulement 1,8% de la population française [18 ans et plus ; N.D.L.R.] pratique hebdomadairement la religion catholique. Le profil des pratiquants se recompose sur ceux qui restent et tendanciellement, les plus conservateurs sont ceux qui transmettent le mieux la foi dans leur famille. Les évêques ne peuvent plus ignorer la jeunesse qui en est issue et qui est assez remuante et décomplexée.
À quand remonte ce phénomène ? Il est vrai qu’on voit une résurgence des catholiques conservateurs depuis une dizaine d’années.
Cette aile conservatrice a un recours ordinaire à la rue et on l’observe effectivement depuis une dizaine d’années entre les manifestations contre la christianophobie de 2012, la « manif pour tous » en 2013 ou encore les récentes manifestations sur la loi bioéthique.
Depuis 2013, tous les partis de droite ont bien vu qu’il y avait là une importante ressource militante et ont tenté de la séduire. Pendant la primaire de la droite et du centre, on a beaucoup parlé de Fillon mais tous les candidats ont essayé de leur tendre des perches, de Nathalie Kosciusko-Morizet à Jean-François Copé. Plus récemment, c’est le sens du choix de François-Xavier Bellamy comme tête de liste Les Républicains pour les Européennes. […]
La fin de non-recevoir de Castex entérine-t-elle définitivement la relation donnant donnant avec les évêques ?
Je ne crois pas à moyen terme. À plus long terme, ce qui conduira probablement les évêques à sortir d’une posture quasi-concordataire avec l’État c’est plutôt le renouvellement générationnel de ses cadres. Les jeunes prêtres sont bien plus conservateurs que leurs aînés.