Mgr Dominique Rey a été interrogé dans Famille chrétienne, suite aux derniers propos du Souverain Pontife sur la reconnaissance juridique des unions contre-nature :
Il y a toujours un discernement à faire entre, d’une part, une parole qui engage l’autorité du Saint Père, voire son infaillibilité ; et d’autre part, ce qui relève d’opinions plus personnelles, qui n’engagent pas le magistère, et ne demandent donc pas la même réception et adhésion de la part des chrétiens.
Sur les questions qui touchent à des situations, des événements particuliers, la parole du pape doit être entendue, prise en compte, analysée. Et à chacun de nous, en fonction de sa conscience – une conscience éclairée – de voir comment cette parole nous interpelle. En toute liberté, on peut avoir des divergences sur ces points qui ne touchent pas le fond de la doctrine. Nous avons cette liberté de pouvoir nous exprimer, d’avoir de légitimes débats tant qu’ils n’engagent pas la foi de l’Église. Nous sommes là d’ailleurs dans la ligne de ce que le pape François a appelé la liberté de recherche des théologiens (discours du 21 juin 2019). Il me semble que le pape François fait appel à notre responsabilité, à notre intelligence, à notre discernement.
Quels sujets sont concernés par l’infaillibilité pontificale ?
Il faut peut-être commencer par rappeler ce qu’est le magistère, qui est l’un des trois moyens de connaître la Révélation (avec l’Écriture et la Tradition). Le magistère est le pouvoir ou la fonction officielle d’enseigner : il est exercé par le pape et les évêques, au nom du Seigneur, et jouit pour cela de son assistance. L’infaillibilité est le degré suprême du magistère qui garantit qu’aucune erreur n’est alors possible dans l’affirmation de la foi.
L’exercice de cette infaillibilité requiert un certain nombre de conditions formelles, qu’il serait long de développer ici. Mais pour répondre à votre question, elle nécessite aussi un certain nombre de conditions matérielles : l’infaillibilité ne peut pas s’exercer sur des sujets scientifiques ou politiques. Elle concerne la foi et la morale. Le dogme de l’Assomption, proclamé en 1950, est l’exemple le plus connu.
Si certaines doctrines doivent être tenues pour définitives en raison de leur constance dans la Tradition, de leur définition par le magistère (on peut penser à l’impossibilité d’ordonner des femmes, confirmée par Jean-Paul II dans Ordinatio sacerdotalis), d’autres opinions plus neuves ou plus personnelles n’impliquent pas l’Église avec la même certitude.
Sur les opinions particulières, on peut ne pas être d’accord, tout en recevant avec respect filial la vision que peut avoir le Saint Père. Mais ne confondons pas pour autant le Pape et Jésus, dans une tentation idolâtrique. La parole du Saint Père doit être re-située dans le cadre qui est le sien. De telle idée ou tel point de vue particulier, on peut dire : je ne m’y retrouve pas, ou au contraire, cela me semble très enrichissant. Donc avoir une capacité de recul, d’analyse, de critique et d’expression…
Sans pour autant lui manquer de respect…
Bien sûr. Sans être le Christ, le pape en est toutefois son vicaire. Cependant il faut sortir d’une espèce d’infantilisation qui serait mal ajustée dans le rapport avec l’autorité. Il y a d’un côté la doctrine et de l’autre il y a le jugement pastoral. Les prédécesseurs du pape François ont accompli un travail doctrinal salutaire, qui ne peut pas à être remis en cause. Si le premier rôle du pape est de garder la doctrine, sa fonction de pasteur est beaucoup plus vaste. Ses intuitions, ses exhortations, ses orientations pastorales doivent nous interpeler et nous stimuler, mais nous devons dans le même temps demeurer libres. Il y a deux écueils à éviter : le premier serait de déclarer qu’à partir du moment où il ne s’agit ni de doctrine ni de discipline, ces orientations ne nous concernent pas et que nous pouvons continuer à agir à notre guise ; le second consiste à suivre formellement ces orientations sans réfléchir, sans se les approprier et sans les adapter. Nous devons faire appel à notre intelligence, à notre conscience, à notre sagacité. C’est Dieu qui nous a donné cette intelligence.
Obéissance et liberté ne sont donc pas incompatibles.
Non, au contraire. La véritable autorité fait appel à la conscience et à la liberté. Sinon cela devient un pouvoir totalitaire. Le Saint Père nous appelle d’ailleurs souvent à cette liberté intérieure !
Les paroles du pape n’ont pas le même statut ?
Le catéchisme de l’Église catholique le rappelle (en §2033), le magistère s’exprime ordinairement dans la prédication et la catéchèse. Un entretien ou un documentaire ne sauraient avoir la même autorité que des jugements solennels !
La question est de savoir jusqu’où et comment est engagée l’autorité du Saint Père. Selon les cas, une déclaration peut demander un assentiment plein et irrévocable, ou encore une docilité de l’intelligence et une adhésion intérieure de la volonté, ou enfin une simple prise en compte respectueuse. Avec les interviews, on pense par exemple à la question des unions homosexuelles, la plupart des médias mettent toutes ces paroles sur le même rang, sans faire de hiérarchie, en prenant une phrase ici, une phrase là et en mélangeant le tout. Ils ne font pas de distinction. La prise de hauteur et de recul est plus que jamais requise, en faisant preuve de prudence.
Quelle est votre position sur l’union civile des personnes homosexuelles ?
Il faut relire le catéchisme de l’Église catholique : toute personne doit être respectée, en tant que telle, quels que soient ses choix de vie. Le Saint Père a raison de vouloir protéger les personnes homosexuelles de toute forme de discrimination injuste.
Mais face au désarroi de nombreux fidèles suite à la vidéo du pape, il est bon de rappeler la note écrite par le cardinal Ratzinger, en 2003, avec l’appui du pape Jean-Paul II, qui explique que selon l’anthropologie chrétienne, les unions entre personnes de même sexe ne sont pas légitimes. Cette note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi explique bien pourquoi l’Église ne peut ni approuver ni encourager une reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles.
Dans son entretien, le Saint Père a certainement voulu rappeler que toute personne devait recevoir une protection juridique, mais cette note doctrinale de 2003 souligne que cette protection juridique ne saurait être obtenue en fonction d’une orientation sexuelle. Le cardinal Ratzinger ajoute d’ailleurs que « l’argumentation selon laquelle la reconnaissance juridique des unions homosexuelles serait nécessaire […] n’est pas vraie ». Le droit commun doit suffire à protéger les citoyens et leurs intérêts réciproques.