Dans une note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur Les cultes religieux face à l’épidémie de Covid-19 en France, on peut lire :
L’Église catholique estime avoir été privée de près de 50 millions d’euros1 de recettes provenant de la quête et du casuel (offrandes versées à l’occasion des baptêmes, mariages et obsèques), soit 10 % de leurs recettes annuelles (d’un montant total de 550 millions d’euros). Chaque dimanche, l’Église collecte environ 3 millions d’euros, voire 5 millions d’euros lors des célébrations comme celle de Pâques, annulée cette année. Dix diocèses sur la centaine que compte l’Église catholique en France, dont ceux de Créteil et d’Avignon, seraient dans une situation très délicate s’ils ne bénéficiaient de la solidarité interdiocésaine.
Concernant l’arrêt du Conseil d’Etat autorisant la reprise des cérémonies publiques, la note souligne :
L’Église catholique s’est trouvée dans une position inconfortable : la décision, quoique conforme à la position qu’elle soutenait depuis le début du confinement, résulte d’un recours d’associations traditionalistes qui se sont frontalement opposées au décret pris par le Gouvernement, là où la Conférence des évêques de France avait choisi la voie de la négociation. Concrètement, les cérémonies ont toutefois repris plus rapidement que les autres cultes, bien que de façon progressive, avec le cas échéant la multiplication de « petites » messes avec inscription préalable. Selon les termes de Mgr Matthieu Rougé, « la joie de reprendre la vie liturgique (…) l’emporte sur les inconvénients des règles de sécurité sanitaire. Mais chacun a hâte de voir évoluer les normes de distanciation ainsi que l’obligation de porter un masque : la liturgie, comme l’existence elle-même, est faite pour être vécue à visage découvert » ;
Encore plus intéressant (et inquiétant) est l’analyse de l’Office sur la sécularisation :
Dans leur gestion de la crise sanitaire, les autorités religieuses ont eu pour première priorité de protéger la santé et la vie des fidèles, mettant en œuvre avec responsabilité les mesures prescrites par les pouvoirs publics, au détriment de la continuité de la vie cultuelle. Ce faisant, elles se sont comportées en acteurs pleinement sécularisés, ne se distinguant pas en cela des autres organisations « normales » de la société (entreprise, administration, association, etc.) pour leurs propres activités.
Aussi cette crise permet-elle de prendre la mesure d’une rupture historique majeure : la perte du rôle de premier plan tenu par la religion dans la réponse aux épidémies. Plus précisément, celle-ci apparaît aujourd’hui marginalisée dans deux de ses trois fonctions historiques :
- Expliquer : le discours technique et scientifique, ici plus précisément médical, a remplacé le discours théologique ;
- Combattre : les « mesures barrières » ont remplacé les prières, la « distanciation » a remplacé les invocations.
Et plus loin :
L’autre signe majeur de la sécularisation des autorités religieuses dans la gestion de la crise est l’adoption d’une lecture d’abord scientifique et technique des événements, au détriment de la lecture théologique.
En France comme dans le monde d’une manière générale, les autorités religieuses ont en effet repris le discours scientifique expliquant l’origine de la pandémie de Covid-19 : une maladie infectieuse respiratoire d’origine virale, vraisemblablement transmise par un animal, plutôt qu’un châtiment divin. Face à une calamité majeure affectant profondément les sociétés et les individus, la religion a perdu le monopole du sens. Pour paraphraser les Évangiles, elle a non seulement « rendu à César ce qui est à César », c’est-à-dire aux autorités civiles, mais elle a aussi « rendu à Hippocrate ce qui est à Hippocrate ».
Le plus frappant, toutefois, n’est pas tant l’acceptation du discours scientifique – le contraire eût été étonnant – que la quasi-absence d’un discours théologique simultané sur les causes de la maladie. En France du moins, aucun haut responsable religieux ne s’est risqué à présenter publiquement le Covid-19 comme la punition divine infligée aux hommes pour leurs péchés, alors même que les deux lectures sont susceptibles de coexister pour les croyants (la volonté de Dieu se manifestant alors par l’enchaînement des causes matérielles). Signe d’une profonde sécularisation de nos sociétés, tout se passe comme si les dépositaires de la parole religieuse avaient, tout simplement, eu peur du ridicule.
Corollaire d’une lecture scientifique des causes de la pandémie, la réponse a d’abord été technique. Bien sûr, la mise en place de mesures barrières (désinfection des objets rituels, distances de sécurité, etc.) n’est généralement pas incompatible avec la mobilisation spirituelle (prières, invocations et autres rites de conjuration), mais en cas de doute, les précautions médicales l’ont emporté sur les dévotions spirituelles.