De Côme de Prévigny sur Renaissance catholique :
En 1979, Mgr André Fauchet, alors évêque de Troyes, s’exprimait gravement sur le thème de l’avortement dans la revue de l’archidiocèse de Paris, Présence et Dialogue :
« Nous n’avons pas à condamner chaque personne en lui assénant des termes comme faute grave ou péché mortel alors que ce n’est pas forcément un pécheur ».
Non content de disculper les praticiens de l’IVG, le prélat s’en prenait à leurs détracteurs :
« Beaucoup de ceux qui refusent la loi de 1975 sont bien en peine de dire ce qu’ils ont à proposer à la place ».
Finalement, il incitait, en pratique, les parlementaires à voter en faveur du projet Veil :
« Si les parlementaires ne peuvent faire une meilleure loi, il faut souhaiter qu’ils ne laissent pas saccager ce que celle-ci contient de moins mauvais »
Sans doute, les rares interventions pour défendre la vie à l’époque n’ont pas suffi à étouffer de telles paroles médiatisées et utilisées, qui participèrent, de fait, à l’adoption de la nouvelle législation. Des propos si scandaleux dans la parole d’un clerc, confondu dans le relativisme le plus coupable, n’auraient probablement plus cours aujourd’hui alors que la pratique de l’avortement a été élargie au fil des ans. Néanmoins, à l’heure où la France est plongée dans un nouveau débat de bioéthique majeur, il semble que le langage des hommes d’Église paraisse parfois marqué par le souci de s’affranchir de toute agressivité. Bon nombre de clercs ont parlé avec fermeté, tranchant avec leurs prédécesseurs. Néanmoins, la crainte de froisser les consciences, le primat du dialogue sur les exhortations n’ont-ils pas freiné l’émergence d’un verbe épiscopal au ton prophétique ?
Les évêques se lèvent
Nombreux furent les politiques qui s’étaient jadis indignés qu’on envisageât d’adopter la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes lesbiennes et célibataires. Leur émoi visait surtout à mieux se rallier à l’idée du « mariage pour tous ». Depuis, les convictions se sont émoussées et le quinquennat d’Emmanuel Macron fut inauguré par la promesse d’abattre un nouveau pan de morale naturelle. Aussi, les catholiques de France s’engagèrent-ils à descendre à nouveau dans la rue le 6 octobre 2019 pour manifester leur vive opposition à ce projet. Malheureusement, les évêques de France, tout en exprimant leurs grandes inquiétudes, n’ont pas osé donner leur approbation à cette initiative. Toutefois, tout au long de l’année qui a été émaillée par les navettes du projet de loi entre les deux chambres parlementaires, ces derniers ont exprimé leurs sentiments circonspects, parfois épouvantés, à l’égard de la nouvelle législation. Famille Chrétienne a d’ailleurs relevé la nouveauté :
« Rarement les évêques de France auront été aussi unis pour dire non ! […] Les prélats ne mâchent pas leurs mots pour dénoncer le mal et alerter les Français. Venant des autorités de l’Église de France toujours soucieuse du dialogue, c’est le signe que l’heure est vraiment très grave. »
Et pour cause ! Désormais, des enfants auront juridiquement deux mères et seront privés de père.
« L’homme se fait démiurge, prévient l’évêque de Nevers, dans un projet que l’on peut qualifier de démoniaque ».
Pour l’ordinaire de Vendée,
« La dérive transhumaniste est devenue réalité. Comment ne pas être effrayé devant une telle manipulation de l’être humain, réduit à un matériau disponible ? »
Leur confrère de Versailles ne s’y trompe d’ailleurs pas en affirmant que le projet sur la PMA implique inévitablement celui de la gestation pour autrui (GPA)
« pour accéder demain au désir tout aussi sincère de couples d’hommes d’accéder à la parentalité. »
Les relents de l’optimisme conciliaire
Néanmoins, les changements ne se font pas en un jour. Beaucoup de commentaires épiscopaux demeurent profondément marqués par le défaut originel du dernier concile qui invitait à opposer trop simplement la miséricorde aux condamnations. Ainsi le pape Jean XXIII invitait-il à s’affranchir de toute rigueur en exposant les vérités de foi :
« Pour ce qui regarde l’heure présente, l’Épouse du Christ aime à employer le remède de la miséricorde plutôt que d’user des armes de la sévérité ; elle croit que, au lieu de condamner, c’est en montrant mieux la valeur de la doctrine qu’il faut parer aux besoins actuels. »
Nous connaissons les conséquences de cette pastorale dépourvue de système immunitaire, qui a toujours peiné à commenter l’image du Christ chassant les marchands du temple et évité de trop ressusciter l’éclairant magistère qui visait avant tout à définir les vérités.
Face au projet de loi, des évêques se sont donc limités à questionner, peut-être par crainte de devoir trancher, comme si l’enjeu présent n’appelait pas à faire sonner le tocsin. « Devrait-on se dispenser de questions sur le projet de loi mis au vote au parlement ? » s’interrogeait un prélat qui invitait par ailleurs les fidèles à se former, sans vraiment donner de réponse. Une bonne partie de ses confrères titraient ou commençaient également leurs interventions en demandant quel monde nous souhaitions. Imaginons-nous, un instant, pareille approche sémantique devant les massacres qui ont ensanglanté le siècle passé ? Pourtant les enjeux de manipulation embryonnaire et d’avortement relèvent moralement d’une gravité semblable. Au sein de la littérature épiscopale, particulièrement foisonnante à cette occasion, l’évêque de Cahors, Mgr Norbert Turini, s’est montré assez explicite sur cette conception actuelle des clercs à ne pas condamner :
« Dans l’Église, nous ne sommes pas des juges, plutôt des « lanceurs d’alerte », […]. Nous nous exprimons, non pas pour donner des leçons, mais pour engager le dialogue entre personnes de toutes opinions dans le but de construire ensemble non pas « le meilleur des mondes », mais un monde meilleur. »
Cet été, l’actualité a bouleversé tout cet équilibre prudent, parfois gêné. Le législateur a passé la vitesse supérieure. En catimini, à la faveur de la torpeur covidienne, à l’occasion de la deuxième relecture du projet à l’Assemblée, un amendement a été voté afin de permettre l’interruption médicale de grossesse (IMG) jusqu’au 9e mois lorsque la mère souffrait de « détresse psychosociale ». L’expérience a montré la largesse d’application de tels dispositifs utilisant toujours les exceptions pour mieux les généraliser. Immanquablement, le massacre des innocents va s’intensifier. Les évêques devaient-ils à nouveau parler, après s’être tous exprimés ? Quelques-uns ont bravé le silence estival pour manifester l’horreur que suscitait à leurs yeux un tel projet : « Nous voyons avec sidération et effroi l’eugénisme et le meurtre en passe d’être légalisés » disait l’évêque d’Angoulême. De son côté, l’évêque de Sées n’hésitait pas à souligner en cette fin d’été la disproportion entre les sujets traités :
« Il est sidérant de voir combien la crise sanitaire continue de préoccuper jusqu’à l’obsession, alors même que ce projet de loi poursuit son chemin dans une indifférence généralisée. »
Cependant, il est intéressant de relever le fait que ce dernier tenait à préciser qu’il « serait injuste de dire que l’Église n’a rien fait dans le débat national ». Un même souci animait Mgr Aillet, dans sa grande tribune du 15 août :
« Au moins, on ne pourra pas leur reprocher demain leur silence, lorsque la conscience collective se réveillera de ce mauvais rêve ».
Dans le même temps, l’évêque de Bayonne tirait les conclusions des méthodes jusque-là expérimentées et s’interrogeait sur l’obsolescence de la simple bonne volonté de dialoguer.
« L’Église, en cherchant à être audible, n’a-t-elle pas tendance à sacrifier trop facilement à la sacrosainte loi de la communication, au risque d’affadir son message et de manquer de fermeté sous prétexte qu’elle craindrait de choquer ? Dans ces conditions, comment s’étonner que notre discours trouve si peu d’écho dans les grands médias et l’opinion publique ? Le moment n’est-il pas venu pour nous de nous ressaisir davantage de notre « mission prophétique » qui ne saurait être limitée, ni par les injonctions du pouvoir politique, ni par les lois de la communication imposées par le monde médiatique ? »
En quelques mots, tout le drame du verbe épiscopal depuis soixante ans semblait résumé.
Sans aucun doute, il serait injuste d’affirmer que les évêques et les prêtres de France n’ont rien fait pour alerter leurs contemporains du danger que représentait la prochaine loi meurtrière dite de bioéthique. Très certainement, faut-il se réjouir de voir des prélats rompre avec le silence coupable qui avait présidé aux pires lois il y a quarante ans. Néanmoins, en bien des occasions, les messages paraissent, pourtant de très bonne volonté, souvent inadaptés dans le ton. Face aux assauts de ceux qui s’ingénient à détruire la loi naturelle, un ton prophétique est de mise. Il appelle non plus à interroger ou à dialoguer, mais impérativement à proclamer et à exhorter. C’est là une question de survie.