Homélie du cardinal Parolin, prononcée à Ars le 4 août :
Cher Mgr Pascal Roland, évêque de Belley-Ars,
chers frères dans l’épiscopat et dans le presbytérat,
chers diacres, chers consacrés,
distinguées autorités civiles et militaires,
chers frères et soeurs dans le Seigneur,
Je suis particulièrement heureux d’être avec vous ici dans ce beau sanctuaire, et de présider la sainte eucharistie en ce jour de la fête de saint Jean-Marie Vianney, le Curé d’Ars, une figure qui m’a toujours été spécialement chère, depuis que, encore enfant de coeur, je lus avec avidité sa biographie que j’avais providentiellement trouvée dans la petite bibliothèque paroissiale de mon village. Je me demande parfois si cela n’a pas été un des moments fondamentaux de la découverte de ma vocation sacerdotale qui poussa et fleurit très vite dans mon âme d’enfant. C’est avec beaucoup d’émotion que je rends grâce au Seigneur, qui, en cette année la 40e de mon ordination presbytérale, me donne aujourd’hui la grâce de faire cette visite, et de célébrer en ce lieu de vie et d’activité pastorale de celui que le pape Benoît XVI a défini en 2010, comme modèle du ministère sacerdotal dans notre monde.
Je voudrais avant tout vous transmettre les sincères et cordiales salutations du Saint Père. A travers ma personne, il vous assure de sa proximité paternelle et de sa prière, et vous envoie sa bénédiction. Il y a un an, jour pour jour, le pape François adressait une lettre tous les prêtres du monde entier, à l’occasion des 160 ans de la mort de saint Jean-Marie Vianney. Dès l’introduction, le pape dépeint la situation des prêtres aujourd’hui en ces termes : “A vous qui, comme le Curé d’Ars, travaillez dans la “tranchée”, portez sur vos épaules le poids du jour et de la chaleur (cf. Mt 20, 12) et, exposés à d’innombrables situations, “y prenez des risques” quotidiennement et sans vous donner trop d’importance, afin de prendre soin du Peuple de Dieu et de l’accompagner. Je m’adresse à chacun de vous qui, si souvent, de manière inaperçue et sacrifiée, dans la lassitude ou la fatigue, la maladie ou la solitude, assumez la mission au service de Dieu et de son peuple et, même avec toutes les difficultés du chemin, écrivez les pages les plus belles de la vie sacerdotale.”
Illuminés par ces paroles, nous voulons nous aussi avoir comme première intention de prière les prêtres et les vocations sacerdotales que tous nous confions à l’intercession particulière du saint Curé d’Ars. A la lumière de sa figure de prêtre admirable, passionnément dévoué à son ministère, comme nous l’avons dit dans la prière d’ouverture, quel est le message principal des lectures proposées pour notre célébration ? Arrêtons-nous un instant sur ce message.
Dans la première lecture, le prophète Ezéchiel affirme que l’exil a servi à forger au sein du peuple d’Israël la conscience de la responsabilité individuelle de chacun. Cette expérience dramatique fut l’instrument dont le Seigneur s’est servi pour rappeler la valeur de chaque personne en elle-même de se devoir à l’égard des autres sur la base d’une liberté responsable envers elle-même, envers les autres et envers Dieu. Tout comme Osée, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel se présente comme une sentinelle chargée par Dieu de mettre en garde de loin contre des dangers menaçant lourdement son peuple qui n’en est pas pleinement conscient. Ce qui caractérise Ezéchiel, comme nous l’avons entendu dans la lecture d’aujourd’hui, c’est la formulation presque juridique de la fonction de vigilance, décrite en quatre dimensions qui ne sauraient se limiter à un simple jeu de mots.
En premier lieu, si le prophète-sentinelle ne transmet pas le message au pécheur, celui-ci se perdra dans ce désordre et celui-là sera coupable de ne l’avoir pas averti à temps. En deuxième lieu, si le prophète-sentinelle lance un cri d’alarme, et le pécheur refuse de l’écouter, celui-ci se perdra, mais celui-là sera libre de toute responsabilité. En troisième lieu, si le pécheur écoute la voix du prophète-sentinelle, mais avec le temps quitte le droit chemin de la vie, il reste le seul coupable. Et enfin, si le pécheur écoute le prophète-sentinelle et ne pèche plus, tous deux, pécheur et prophète, seront traités avec bienveillance. La fonction du prophète-sentinelle, chers frères et soeurs, est loin d’être seulement un charisme du passé. C’est un charisme pour aujourd’hui et pour toujours. Ce fut la vocation du saint Curé d’Ars : il vécut et travailla dans cette paroisse comme un authentique prophète de coeur, sans chercher son propre intérêt ou d’autre intérêt qui ne fussent la conversion et le salut des pécheurs. C’est sous cet angle que ses contemporains le virent, malgré les rejets du déut, les nombreuses incompréhensions et la lutte sans répit contre le Malin, qu’il dut affronter. Il fut le haut-parleur, la voix retentissante de Dieu-même, en menant une vie consummée dans la fidélité et la cohérence totale, jusqu’à la fin de son pèlerinage sur cette terre, quand il put s’exclamer, comme nous l’avons répété dans le psaume responsorial : “Bénis le Seigneur ô mon âme !”
En relisant la vie et le ministère de saint Jean-Marie Vianney, on comprend mieux le récit de l’Evangile selon saint Matthieu qui vient d’être proclamé : “Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la bonne nouvelle du Royaume, guérissant toute maladie et toute infirmité. Les foules le suivaient car elles étaient désorientées, errantes comme des brebis sans berger. L’un et l’autre, notre Seigneur Jésus-Christ, et à sa suite saint Jean-Marie Vianney, se rendirent compte que “la moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux”, et surent prier afin que le Maître de la moisson, le Père bon, envoie de nouveau de saints ouvriers à sa moisson. C’est pour cela que Jésus choisit les douze, et leur donna pouvoir “d’expulser les démons et de guérir toute maladie”. Saint Jean-Marie Vianney, non seulement participa au pouvoir thaumatologique du Seigneur, en soignant et guérissant complètement les personnes, mais grâce à son exemple dans la vie et par son intercession aujourd’hui sont nées et naissent de nouvelles vocations au ministère sacerdotal. Remercions le Seigneur pour cela.
Au début de l’homélie, j’ai cité la lettre du Pape François aux prêtres. Je la reprends brièvement. Sans volonté aucune de nier les dommages causés par le comportement dévoyé de certains prêtres, le pape a voulu mettre en lumière surtout le bon exemple du plus grand nombre de prêtres, qui de manière constante et transparente, se consacrent entièrement au bien des autres. Les moments de purification ecclésiale que nous vivons nous rendront plus heureux, plus simples, plus généreux et plus féconds. Ne nous laissons pas prendre par le découragement, chers frères évêques et prêtres, et n’oublions jamais que notre vocation est un don gratuit du Seigneur, un don totalement immérité. Un don qu’il faut savoir accueillir chaque matin, avec humilité et dans la prière, un don pour lequel nous devons rendre grâce à l’infini. Comment ne pas rappeler à ce sujet les paroles mêmes du saint Curé d’Ars qui manifesta toujours une haute considération du don reçu ? Il affirmait : “Oh, quelle grande chose que le sacerdoce ! On ne le comprendra bien qu’une fois au Ciel. Si on le comprenait sur la Terre, on mourrait, non d’effroi mais d’amour !”
Le Saint-Père François nous invite à revenir toujours au moment lumineux de notre marche à la suite du Seigneur, afin de consacrer toute notre vie à son service et au service de nos frères et soeurs, avec nos dons et nos talents, avec nos faiblesses et notre pauvreté. A l’occasion du 150e anniversaire de la mort du Saint Curé d’Ars, le pape Benoît XVI exhortait à ne pas réduire la figure de saint Jean-Marie Vianney à un exemple, même admirable, de la spiritualité dévotionnelle du XIXe siècle, mais plutôt à saisir la force prophétique qui distingue sa personnalité humaine et sacerdotale encore très actuelle. C’est une figure de grande actualité car, en ce moment difficile, elle nous enseigne à transmettre la joie et l’espérance par le témoignage de notre vie personnelle, et à être constant et persévérant dans notre ministère. Dans notre engagement quotidien et jusqu’à la fin, nous serons soutenus, comme le Curé d’Ars, par la méditation de la Parole de Dieu et la célébration de l’Eucharistie qui était au centre de toute sa vie, et qu’il célébrait et adorait avec dévotion et respect, par le recours fréquent au sacrement de la réconciliation, qui constituait une autre caractéristique fondamentale de cette extraordinaire figure sacerdotale, c’est-à-dire le ministère assidu de confession, la prière personnelle et liturgique, la charge pastorale exercée avec miséricorde et amour vrai. Que de bien produit l’exemple d’un prêtre qui comme saint Jean-Marie Vianney se fait proche de tous avec tendresse et ne rejette pas ceux qui sont blessés dans leur existence de pécheurs, dans leur vie spirituelle. Le coeur d’un pasteur, affirme avec force le pape François, est le coeur de celui qui a pris la saveur spirituelle de se sentir un avec son peuple, qui n’oublie pas qu’il vient de ce peuple et que ce n’est qu’à son service qu’il trouvera et pourra déployer sa plus authentique et pleine identité, qui lui fait adopter un style de vie austère et simple, sans accepter de privilège qui n’ont pas la saveur de l’Evangile. Suivant l’exemple de saint Jean-Marie Vianney, ne nous laissons pas séduire par les pièges et les stratagèmes du démon, en particulier par cette attitude subtile et dangereuse que Bernanos définit comme le plus apprécié de elixirs du démon qu’est l’acédie, cette douce tristesse qui paralyse l’esprit et l’empêche de persévérer dans la prière et dans la mission. Et disons-le en un mot, qui rend stérile toute tentative de transformation et de conversion en propageant ressentiment et animosité.
Chers frères et soeurs, la figure du Curé d’Ars reste exemplaire pour tous. Si nous voulons être des chrétiens authentiques, des saints, apprenons de lui la simplicité, le désintéressement, la pureté dans les intentions et dans l’action, l’ascèse, la fidélité à Dieu et à l’Evangile, la fidélite aux sacrements célébrés, participés et vécus. La figure de Jean-Marie Vianney nous invite à nous laisser façonner par le sens profond, la beauté incommensurable et la dignité prodigieuse des sacrements de l’eucharistie et de la pénitence, et à nous en remettre à leur force transformatrice. Face aux réponses inadaptées à notre soif de vérité, de sens et d’accomplissement, face au système incapable de satisfaire nos besoins les plus authentiques, le Curé d’Ars nous enseigne que l’union personnelle intime avec le Christ aide à conformer nos désirs à la volonté de Dieu, nous comble de joie et de bonheur, nous aide à être sel et lumière du monde. C’est de la sainteté du baptisé que dépend la crédibilité de son témoignage. C’est de sa sainteté que dépend sa capacité à former une famille authentiquement chrétienne, à vivre la communion fraternelle, à construire la société selon la grammaire des valeurs immuables inscrites dans les profondeurs mêmes de l’être humain et de la Création. La sainteté est possible pour tous. La sainteté est accessible à tous. Soyons saints comme notre Père céleste est saint.
Demandons à l’Esprit Saint qui, une fois encore, transformera sacramentellement le pain et le vin en Corps et en Sang de Jésus Christ, de venir nous transformer en hommes et femmes nouveaux, pour l’Eglise et pour le monde de ce XXIe siècle. Et par l’intercession de saint Jean-Marie Vianney, qu’il aide tous les membres du Peuple de Dieu à êre, par leur vie, des témoins de l’amour du Seigneur.
Amen.
Cardinal Parolin
Ars, le 4 août 2020