Homélie de Mgr Laurent Camiade évêque de Cahors, prononcée lors de la messe de l’Assomption :
Mes frères,
Corps et âme, Marie monte au ciel où s’accomplit l’unité totale de sa personne. Pour elle, se réalise la parole du livre de l’Apocalypse « le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit » (Ap 11,19). Toutefois, cette vision de l’Apocalypse, cette ouverture du sanctuaire céleste, ne se présente pas comme un long fleuve tranquille. C’est plutôt l’image d’un enfantement dans la douleur ! Nous voyons une « Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles ». Et cette femme n’est pas arrivée au bout de ses peines. « Elle est enceinte, elle crie, dans le travail et les douleurs d’un enfantement » (Ap 12,2).
Cette vision très incarnée, mais positive puisqu’un accouchement apporte joie et fierté à la maman, est dramatisée par la présence menaçante d’un « grand dragon rouge-feu », qui « vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance ». L’arrivée au ciel de l’arche d’alliance figurée par le signe de cette femme qui accouche n’a donc rien de paisible !
Cette femme est une image du Peuple de Dieu avant d’être celle de la Vierge Marie. Et les douze étoiles de sa couronne figurent les Apôtres. L’Église, depuis ses origines, connaît douleurs et angoisses. Elle endure la persécution, tout au long de son histoire ; elle éprouve par ailleurs la honte des péchés de ses membres et la compassion pour leurs victimes ; elle expérimente très souvent sa fragilité et sa pauvreté. Ainsi, l’Église peut trouver dans cette image apocalyptique une évocation tout à fait appropriée de ce qu’elle vit. Le Peuple de Dieu a pour mission de faire s’incarner sans cesse la Parole de Dieu, mais le risque qu’il échoue est réel. Il connaît l’épreuve de voir les paroles de vie qu’il annonce être dévorées par le grand dragon et refusées par les hommes.
Aujourd’hui, la société s’organise en refusant toute référence à Dieu et semble trouver normal de manipuler l’embryon humain comme un matériau de laboratoire. Aujourd’hui, nos technocrates élaborent des lois ne protégeant plus la filiation mais seulement la liberté de faire du business avec la procréation. Ainsi, aujourd’hui, cette image du dragon menaçant de dévorer un enfant dès sa naissance devient terrible et plus concrète encore.
L’enfant de la vision est certainement le Christ, Verbe fait chair, la Parole éternelle prenant le risque de l’Incarnation. Il « sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer » (Ap 12,5). C’est à travers le drame de la croix qu’il va manifester sa puissance. Et dans ce Christ crucifié à cause de la méchanceté des nations, figurée ici par le dragon à sept têtes, nous pouvons reconnaître tous les enfants martyrs de toute l’histoire, tous les embryons privés de naissance, tous les innocents condamnés, tous les pauvres sacrifiés et tous les migrants refoulés. « Ce que vous avez fait à ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (cf. Mt 25,40.45), dira Jésus à ceux qui frapperont à la porte du ciel. Alors, oui, il y aura des pleurs et des grincements de dents (cf. Mt 13,50). L’ouverture du sanctuaire de Dieu qui est dans le ciel ne sera pas indolore.
De nouvelles lois bioéthiques réellement catastrophiques risquent maintenant d’être acceptées en France, après le vote de notre assemblée nationale de fin juillet. Face à ces lois qui ne méritent plus beaucoup leur titre d’éthiques, comment les chrétiens vont-ils pouvoir éduquer leurs enfants à vivre dans une société qui, non contente de promouvoir l’avortement comme acquis social, favorisera la sélection eugéniste des enfants à naître, les expérimentations sur l’embryon humain, facilitera la décision de mettre fin à ses jours, et place de plus en plus le profit et la rentabilité au-dessus du bien des patients que le système de santé considère comme des « clients » ? Comment discerner le bien et le mal quand la loi est pervertie ?
La première chose, sera d’avoir assez de trempe pour valoriser et soutenir les personnes qui font et feront des choix courageux parce que contraires à ceux qui leur seront dictés : ces malades incurables qui ne voudront pas qu’on les tue pour abréger leurs souffrances ; ces parents héroïques qui accueilleront un enfant avec un handicap et sauront l’aimer quel que soit le regard qu’on porte sur eux ; ces personnes stériles qui ne s’arrogeront pas le droit de couper de sa filiation biologique l’enfant qu’ils ou elles désireraient. Tous ceux-là et bien d’autres, seront les héros —et peut-être même les saints— de demain. Si nous ne les soutenons pas, qui le fera ?
Il faudra de plus en plus apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes, à étudier les enseignements de l’Église sur ces sujets complexes et à s’appuyer sur de bons principes, sans intransigeance ni laxisme. Par exemple, devant l’augmentation du nombre de personnes âgées, nous pourrons développer une culture de la solidarité et du bonheur de passer du temps avec nos aînés fragilisés. Ou encore, travailler à une médecine plus humaine dans laquelle la vocation des soignants est reconnue comme un cadeau pour tous. Enfin, il faudra, de plus en plus, que les chrétiens s’exercent à renoncer à cette folle volonté de tout maîtriser par les techniques biomédicales. Il faudra qu’ils apprennent à leurs enfants à accueillir l’imprévu, l’imparfait, le différent et même le deuil, comme une chance pour aimer davantage et grandir en humanité. Apprenons à supporter les gens pénibles (la 6° des œuvres de miséricorde spirituelles), développons la vertu de patience et, plus que tout, exerçons-nous à recevoir de Dieu la force de l’amour fraternel en toute situation.
Tout programmer, tout maîtriser, tout aseptiser et croire tout posséder, c’est s’enfermer dans une tentation monstrueuse de notre époque. Il faut avertir les enfants de ces dangers. Recevoir avec joie le cadeau que l’on n’a pas prévu : voilà un bon exercice spirituel ! Se réjouir non pas d’avoir reçu ce que je désirais ou que j’ai commandé sur internet, mais ce qu’un autre (une personne qui m’aime – pas un algorithme) a choisi pour mon bien. Voilà une piste pour apprendre à se libérer de la tyrannie technologique.
Il ne s’agit pas de tomber dans l’excès inverse qui serait de renier à la science tout le bien qu’elle est capable de faire. Il s’agit plutôt de discerner. Il s’agit d’identifier clairement les limites et les dangers que la loi civile est de moins en moins capable de prévenir. Car le législateur qui néglige la loi de Dieu, soumet son autorité à la loi du plus fort, du plus riche, du plus influent.
Mes frères, la Vierge Marie, dans son magnificat, annonce que l’ordre des choses doit changer : Dieu « renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ». Le magnificat n’a jamais été politiquement correct. Mais celle qui l’a inventé, la Vierge Marie, a toute légitimité pour chanter ce cantique. Car Dieu lui a donné de vaincre toutes les tentations, de sorte que désormais toutes les générations la disent bienheureuse (cf. Lc 1,48). La bienheureuse Vierge Marie est une femme simple qui a mené une vie ordinaire. Lorsqu’elle accourt auprès de sa cousine Élisabeth, vieille et enceinte, c’est pour l’aider dans son ménage, pour porter les courses, cuisiner, tenir sa maison. Ces petites choses expriment la sainteté de Marie. Avec elle, rendons grâces à Dieu qui offre sa miséricorde à tous les hommes.
Comme la bienheureuse Vierge Marie, nous avons été créés pour infiniment plus que des applaudissements ou des succès ici-bas. Nous avons été créés pour la béatitude éternelle qui se trouve dans la vision de Dieu. Dieu nous ouvre le ciel et purifie nos cœurs pour qu’à travers nos vies ordinaires de service et d’attention aux plus petits, nous goûtions la joie infinie de partager sa gloire.
Qu’Il soit béni et glorifié, à jamais.
Amen.
+ Monseigneur Laurent Camiade,
évêque de Cahors