Discours de clôture de l’Assemblée plénière de juin 2020, prononcé par Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, devant les évêques de France, réunis à la Maison des évêques et à distance. Aucune explication n’est donnée sur l’absence de l’épiscopat dans le recours au Conseil d’Etat, alors que 3 évêques avaient travaillé le sujet, avant de comprendre qu’ils étaient complètement isolés :
La lutte contre l’épidémie de la covid-19 et, de manière plus marquée encore, le processus de déconfinement ont fait ré-émerger un thème théologique ancien, un peu oublié mais essentiel pour notre compréhension de l’Église et de sa mission, celui de la libertas Ecclesiae, la « liberté de l’Église ». Peut-être y suis-je spécialement sensible parce que je suis évêque dans une région imprégnée de souvenirs des temps mérovingiens et carolingiens et des débuts du Moyen-Âge, mais il n’y a pas que cela : la libertas Ecclesiae fut, certes, le cheval de bataille de Léon IX et de Grégoire VII, de ce que l’on appelle encore « la réforme grégorienne », mais sa revendication est sous-jacente en réalité à l’attitude des martyrs de l’Antiquité qui ne se voulaient pas fidèles seulement à leur conscience individuelle ; elle est aussi, à mes yeux, le fondement théologique de l’enseignement du concile Vatican II sur le droit social à la liberté religieuse. Le Christ Jésus, parce qu’il est le Verbe fait chair, le Fils bien-aimé consubstantiel au Père et envoyé par le Père, par sa vie terrestre, sa mort offerte pour nos péchés et sa résurrection pour notre vie, fait monter du sein de l’humanité un peuple nouveau dont le principe d’unité n’est ni la race ni la culture ni la constitution d’un ensemble politique mais l’attitude que nous appelons la « foi » : la confiance sans réserve dans la promesse de Dieu qui nous appelle à la vie pour toujours, attitude ouverte à tout être humain, quels que soient son âge, son ethnie, son sexe, sa condition sociale. L’Église, fondée sur les Douze que Jésus s’est associés au long de sa vie publique, est envoyée à tous les humains, – à toute la création même, selon saint Marc -, pour ouvrir à tous la « porte de la foi ». Des nations émerge donc un ensemble humain d’un type tout à fait unique en qui est révélé et mis en œuvre le lien intérieur irréductible de chaque être humain avec Dieu et la responsabilité de chacun à l’égard de la destinée spirituelle de toute l’humanité.
La liberté de l’Église peut être ressentie comme la revendication d’une autonomie arrogante à l’égard des médiations humaines que sont les entités politiques et donc les États, et cela explique en partie les épreuves qu’ont pu connaître certains de ses tenants les plus déterminés. Elle s’appuie en réalité, en même temps qu’elle les dévoile, sur la liberté intime de chaque humain et sa vocation propre à tenir un rôle personnel dans l’histoire humaine. Elle n’est pas pour l’Église la revendication d’échapper aux lois des entités politiques, elle n’incite pas l’Église du Christ à réclamer pour elle des privilèges. Elle est avant tout la revendication de la liberté de vivre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, de servir tout être humain, quelle que soit sa condition sociale, de choisir la chasteté ou la fidélité conjugale, de préférer la pauvreté à la richesse, de s’efforcer de transmuer l’exercice de l’autorité en service de la vie des autres, et elle revendique de pouvoir annoncer à tout être humain qu’il est appelé à être, avant toute autre détermination, un fils ou une fille du Dieu vivant, et de l’insérer, autant qu’il ou elle y consent, dans une communauté qui est avant tout une communion.
Au long des siècles, la revendication de la liberté de l’Église a animé l’histoire de notre pays. Elle y a pris la forme qui peut paraître paradoxale de la séparation de l’Église et de l’État, étendue à tous les cultes, ce que nous appelons en France la laïcité. C’est une manière d’organiser la liberté de l’Église, non pas l’unique ni forcément la meilleure, mais certainement pas la pire. La liberté de l’Église se traduit alors dans le fait que l’État laisse l’Église du Christ, et donc, non seulement l’Église catholique mais les Églises protestantes et orthodoxes, et les autres cultes s’organiser à leur guise, du moment que l’ordre public est respecté. La liberté de l’Église, principe théologique, prend, dans l’ordre juridique et politique, la forme de la liberté de culte. Dans la préparation du déconfinement, cette liberté a pu paraître menacée par l’interdiction maintenue de toute réunion ou rassemblement dans les « établissements de culte », alors que les réunions de moins de dix personnes étaient autorisées dans l’espace public et qu’il n’était plus question d’encadrer les réunions dans les lieux privés. Sans doute n’est-il pas nécessaire de chercher à cela d’autre explication qu’une maladresse d’écriture dans un temps de précipitation. La liberté de l’Église n’est pas, en régime de séparation, le souci des responsables politiques et elle est facilement oubliée. Mais le principe demeure, cependant, et le Conseil d’État l’a rappelé : l’État est dans son droit lorsqu’il édicte des règles sanitaires ; il sort de son rôle lorsqu’il prétend déterminer comment les citoyens vont mettre en œuvre ces règles dans l’organisation de leur foi religieuse et du culte qui y est lié. L’Église catholique, en revendiquant sa liberté, n’a pas réclamé un privilège mais le respect de la dignité de chaque citoyen, personne libre, appelé à l’être pleinement en menant sa vie de manière à porter lumière et paix autour de lui, selon sa religion ou sa non-religion.
Mais il nous faut à nous, évêques catholiques, aller plus loin. Plus profondément, l’Église catholique a revendiqué de pouvoir mettre en œuvre les règles de précautions sanitaires pas seulement par peur de la contagion, mais pour servir le bien de tous dont nous sommes responsables devant Dieu, chacun pour sa part ; pas seulement pour obéir à l’État mais pour contribuer à la paix des cœurs et servir l’attention de chacun à l’égard de tous, chacun selon sa vocation propre. L’exemple de la réaction face à l’épidémie nous a d’ailleurs été donné par le pape François : très vite, il a manifesté que cette épidémie, qui paraissait une affaire chinoise puis italienne, concernait le monde entier, mettait en cause la totalité des nations, rappelait à tous que chacun est responsable des autres. Réunis en assemblée, nous nous sommes réjouis de la créativité qui a été déployée tant par les prêtres que par les fidèles pour permettre au plus grand nombre de s’associer aux messes célébrées : l’Eucharistie est d’une telle richesse, d’une telle intensité, qu’elle peut être vécue de bien des manières ; son mystère peut être participé à des degrés différents et selon des modes variés aussi. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont permis à d’autres de vivre l’Eucharistie au long de ces semaines par la diffusion vidéo, par la distribution de feuillets soutenant la communion spirituelle ou suggérant une liturgie domestique. La deuxième moitié du Carême, la Semaine Sainte et le Temps pascal ont pu être vécus avec intensité par beaucoup. Les mystères célébrés ont donné du sens au confinement, qu’il ait été confortable ou pénible, et le confinement a permis de vivre ou obligé à vivre ces périodes dans leur intensité spirituelle. Les efforts déployés ont permis de vivre le confinement non pas comme un enfermement en soi mais dans l’ouverture du cœur et de l’esprit vers les autres.
Pourtant, assez vite l’impatience à retrouver les célébrations avec assemblée et la communion sacramentelle s’est exprimée. Un travail théologique sera nécessaire pour la comprendre. Le lien entre le corps eucharistique et le corps ecclésial mérite d’être approfondi. Que cherchons-nous dans la communion sacramentelle, ou plutôt qu’y recevons-nous ? Peut-elle être dissociée du « sacrement du frère » ? Le respect des règles sanitaires strictes relevait et relève toujours de la charité : un chrétien peut risquer sa vie par amour du Seigneur ou de son prochain, mais non pas courir le risque de porter la maladie et la mort à d’autres. Le désir ardent de la communion sacramentelle ne trouve toute sa vérité qu’en nourrissant la charité qui édifie le Corps du Christ. Mais il est vrai que le mystère du Christ est avant tout un mystère de présence. La foi chrétienne n’est pas faite d’idées et d’intentions : elle est avant tout la disponibilité à rejoindre le Christ, là où il se tient et nous convoque, et à se laisser rejoindre par lui, et lui vient à nous toujours pour nous envoyer vers les autres ; c’est en lui et par lui que nous pouvons le mieux aller en vérité les uns vers les autres, car lui, par son Eucharistie, nous tournant vers le Père, nous ouvre aussi les uns aux autres plus que nous ne saurons jamais le sentir. Cette vérité ressentie fortement en ces semaines nous a renvoyés au souci lancinant où nous sommes de réorganiser nos diocèses pour que l’Eucharistie soit accessible au plus grand nombre dans la plénitude de son déploiement, malgré le nombre réduit des prêtres pour le moment, et pour que les prêtres puissent approcher du plus grand nombre de personnes possibles, selon des modalités à imaginer ou à recevoir, la présence et la venue à elles du Christ ressuscité. La réflexion proposée par le groupe de travail « Territoires et paroisses » nous pousse à un regard lucide et à des initiatives audacieuses.
La liberté de l’Église est précisément l’exigence de pouvoir donner au milieu de ce monde une forme visible à la venue du Seigneur et de déployer les fruits de cette venue dans l’histoire, pour le bien de l’humanité entière, en révélant aux hommes la dignité à laquelle ils sont tous appelés et à l’humanité qu’elle est une et peut être fraternelle pour toujours. C’est la liberté de l’Église, et non pas seulement le conformisme social ou la lâcheté –dont on ne peut par ailleurs jamais trop vite se juger indemne- qui la pousse à se mettre au service de ce que la société a de meilleur, et c’est la même liberté qui la pousse, en certains de ses membres qu’elle contemple alors avec admiration et gratitude, non à transgresser la loi ou les lois mais à outrepasser la loi en direction d’un don de soi ou d’un renoncement à soi qui porte davantage de vie.
C’est pourquoi nous nous sommes réjouis de reconnaître la liberté chrétienne en acte dans ce que Mgr Aveline nous a présenté de l’action de l’Église à Marseille mobilisant ses forces ou ses pauvretés pour soutenir les plus précaires pendant le temps du confinement strict. Nous aurions pu entendre un récit similaire à propos de bien d’autres diocèses, comme Paris. Nous rendons grâce à Dieu pour ceux qui se sont engagés dans ces actions. Des jeunes s’y sont mobilisés, les personnes d’un certain âge ayant la responsabilité de se tenir à distance des risques de contagion. Ce n’est pas que nous pensions que seuls les chrétiens aient été capables de générosité et de solidarité. Beaucoup de femmes et d’hommes se sont donnés avec dévouement dans ces semaines. Nous voulons ici les remercier. Beaucoup d’entre nous se sont joints au concert qui, chaque soir, a applaudi les soignants et ceux et celles dont le travail a maintenu la vie dans notre pays. Mentionnons, à titre d’exemple, outre les personnes exerçant des métiers que l’on dit « petits » mais qui sont indispensables, les enseignants et les chefs d’établissements scolaires qui ont su se rendre disponibles pour accueillir les enfants des soignants. Mgr Bertrand a dit son admiration pour ce qu’il a vu en Lozère. Dans le dévouement de tant de personnes, nous reconnaissons l’œuvre de l’Esprit-Saint inséré dans l’humanité par le Christ et qui travaille l’humanité pour l’élever au-dessus d’elle-même. Ceux qui se sont ainsi donnés recevront peut-être, espérons-le, des marques concrètes de reconnaissance sociale, que ce soit par une nouvelle organisation des hôpitaux ou par des revalorisations salariales. Nous pouvons leur dire, au nom du Christ, que ce qu’ils ont donné d’eux-mêmes ne sera jamais vraiment connu ni reconnu que dans la communion éternelle, mais que ce le sera justement et pleinement, et que ces actes, ces gestes, cet engagement au-delà de ce qui est strictement dû, construisent la destinée de l’humanité beaucoup plus que bien des actions qui apportent à leurs auteurs une gloire terrestre éphémère.
Au sortir de ce temps d’épreuve, en espérant que les signes qui semblent en indiquer la fin soient confirmés, chacun peut se demander s’il a bien fait. Avons-nous été, ai-je été, à la hauteur de cet événement ? Une telle interrogation est inévitable et juste. Elle est la marque de notre humanité. L’Esprit-Saint, le Paraclet, Défenseur et Consolateur, nous est donné pour cela. Beaucoup, croyons-nous, peuvent rendre grâce à Dieu d’avoir pu trouver en eux les ressources nécessaires pour vivre ce temps en rejoignant le meilleur d’eux-mêmes et en se laissant entraîner par la grâce un peu au-delà de ce qu’ils auraient prévu. D’autres, -mais ce peut être aussi les premiers sur certains plans de leur vie- sont déçus d’eux-mêmes. Nous croyons qu’il est toujours temps de demander pardon et que le Seigneur est venu précisément pour que notre repentir soit déjà un pas vers la vie plus pleine. L’Église sait que sa nature est sacramentelle : elle donne à voir dans l’humanité le Dieu vivant à l’œuvre pour tirer les hommes vers l’union avec lui et la communion entre eux, mais elle sait l’œuvre de Dieu heureusement plus grande qu’elle ne peut l’être et elle est consciente aussi d’avoir à se reprendre toujours, en chaque âme et en ses structures, pour correspondre toujours mieux à ce que Dieu lui donne d’être. Nous voulons donc ressaisir ce qui a été vécu en ces semaines et essayer d’y recevoir ce que Dieu nous y a donné et ce qu’il nous y a indiqué. Nous le ferons dans nos diocèses et nos paroisses. En priant un certain temps devant le Saint-Sacrement exposé dans la basilique du Sacré-Cœur lundi soir, les membres du Conseil permanent et les évêques qui les ont rejoints soit physiquement soit par les ondes ont porté devant le Seigneur ce travail. Car c’est dans l’histoire et à travers l’histoire que Dieu façonne son Église, l’Épouse qu’il veut donner à son Fils.
La liberté de l’Église l’engage à vivre à partir d’elle-même pour accomplir sa mission. Nous avons pris un temps conséquent pour faire le point sur la situation économique de nos diocèses. Il était prévu depuis longtemps, la crise sanitaire et la crise économique qui l’accompagne l’ont rendu plus nécessaire encore. Il est de notre responsabilité de veiller à ce que chaque diocèse ait les moyens de mener à bien sa mission au long des années, pour le service des fidèles et le bien de l’humanité entière. La solidarité interdiocésaine s’exerce déjà par un certain nombre de mécanismes. Elle devra s’intensifier. Tous les baptisés sont responsables que la bonne nouvelle du salut puisse être annoncée ailleurs et partagée et qu’elle puisse susciter des œuvres et des actions concrètes. La prochaine béatification de Pauline Jaricot et la canonisation de Charles de Foucauld, augmentée de celle de César de Bus, nous donneront de belles occasions de nous en souvenir.
La liberté de l’Église nous engage à poursuivre notre travail de reconnaissance des abus sexuels commis par des prêtres et de la souffrance de leurs victimes. Le moteur du processus dans lequel nous sommes engagés n’est ni la pression médiatique ni la crainte d’éventuels jugements de la justice de notre pays ; notre processus, s’il peut être stimulé par ces facteurs externes, trouve sa source surtout dans le Christ notre Seigneur, la mission qu’il nous a confiée comme successeurs des Apôtres, chargés de prendre soin du peuple de Dieu en marche, et son jugement le jour venu. La lumière noire qu’apporte le dévoilement de ces méfaits nous permet, à nous évêques mais avec tous les baptisés, de nous libérer de certaines illusions, d’être plus lucides sur les perversions toujours possibles du pouvoir et surtout d’un pouvoir reconnu comme « sacré », d’être plus exigeants avec nous-mêmes pour que nos comportements personnels et nos fonctionnements institutionnels soient vraiment habités et renouvelés par la charité du Christ et non pas la transposition pieuse de faits trop humains.
Nous savons que la vérité sur ce qui s’est passé nous aide et nous aidera à mieux vivre dans le Christ, car, selon la formule de l’un d’entre nous, « l’Église n’est jamais si sainte que lorsqu’elle se repend de tout son cœur des péchés de ses membres ». Nous remercions les personnes victimes qui nous aident à ce travail en puisant en elles le courage de parler et nous remercions doublement celles et ceux d’entre elles qui acceptent de nous accompagner dans notre processus de renouvellement. Nous voulons réfléchir théologiquement et spirituellement ce que signifie être un corps qui porte ses membres souffrants et coupables, et nous demandons au groupe consacré à la mémoire où Monseigneur Batut me remplacera d’intégrer cette réflexion avec plus de précision ; nous avons décidé de travailler théologiquement et spirituellement le mystère d’iniquité qui fait qu’un arbre qui porte de bons fruits apparents puisse avoir une racine perverse et produire des fruits mauvais plus cachés. Je remercie la commission doctrinale de préparer un premier schéma sur ce sujet. Les mois de confinement nous ont permis de comprendre qu’il nous fallait approfondir ces sujets tout en accentuant notre travail quant à la prévention et au suivi des prêtres coupables. Nous avons senti que le processus, tel que nous l’avons conçu, n’est pas bien compris par les prêtres, les fidèles, la société civile. Nous devons donc en préciser les contours. Notre assemblée de novembre nous permettra d’entendre le rapport des quatre groupes de travail, en particulier de ceux consacrés à la prévention et au suivi des coupables et nous déciderons de l’opportunité de tenir une assemblée extraordinaire en janvier. Celle-ci nous permettrait de récapituler les réflexions entamées.
Par ailleurs, la CIASE, commission que nous avons voulue et qui est indépendante comme nous l’avons voulu, poursuit son travail en élargissant son champ de recherche : elle renouvelle son appel à témoins, elle envoie des équipes effectuer des sondages dans les archives de quelques diocèses et de quelques congrégations ; l’un de nous qui a pu recevoir leur visite avant le confinement a rendu hommage à la justesse de leur attitude ; elle souhaite entendre aussi des prêtres coupables non pour les juger mais pour tâcher de mieux comprendre le phénomène et elle souhaite aussi entendre quelques évêques pour mieux sentir comment nous avons réagi naguère et nous réagissons et agissons aujourd’hui. Nous renouvelons à M. Sauvé et aux membres de la CIASE l’expression de notre gratitude pour leur travail dont nous comprenons bien que le résultat ait été reporté de quelques mois. Nous voulons aussi exprimer notre gratitude à M. Christnacht et à la commission avec laquelle il aide les évêques qui le demandent dans le juste accompagnement des prêtres condamnés.
Dans divers secteurs de la société, des abus sexuels ont été mis à jour, et l’opinion sent bien que cela n’est pas fini. Nous puisons dans ces faits un encouragement à poursuivre notre propre travail dans nos diocèses pour promouvoir une culture de l’attention et du respect de tous et de toutes, quelle que soit l’orientation sexuelle de chacun. La liberté de l’Église, en effet, nous permet de croire et d’espérer que la sexualité puisse être pour chacun non pas seulement une force anarchique et irrépressible mais une force humanisante. Le parcours d’intégration de la sexualité de chacun s’est considérablement transformé, certains diront qu’il s’est compliqué, d’autres qu’il s’est enrichi. Pour nous, nous osons croire que l’intégration de la sexualité et les relations qu’elle rend possibles peuvent aboutir à des relations interhumaines apaisées et fécondes, par l’engendrement des nouveaux êtres humains et non moins par la variété des collaborations possibles, dans l’attraction mutuelle maîtrisée, transformée par les liens conjugaux ou par l’amitié.
La violence est pourtant partout dans nos sociétés. Sans doute était-elle cachée. Sans doute la violence est-elle inhérente à la vie sociale : le groupe dominant a toujours du mal à laisser une place réelle aux groupes minoritaires ; les groupes minoritaires ont du mal parfois à supporter leur condition avec patience, et parfois ils ont des raisons d’exploser ; la capacité d’un groupe d’accepter qu’un de ses membres ait un comportement différent de celui de la grande majorité est forcément variable ; la force intérieure nécessaire à ceux qui habitent ensemble de se supporter l’un l’autre sans céder au raccourci de la violence est inégalement distribuée. Le Christ nous appelle pourtant à vivre en communion. Il le fait en nous révélant notre péché, notre refus d’être vraiment hospitaliers les uns aux autres, mais aussi en nous donnant l’espérance que sa grâce nous rend possible une autre manière d’être et de vivre. Les jours où nous parlons sont marqués par la dénonciation des violences policières ; il y a peu notre société découvrait que les pompiers, les gendarmes, les policiers avaient intégré le fait qu’ils ne pouvaient intervenir dans notre pays sans se faire injurier ou agresser. Cela ne saurait justifier des pratiques inspirées par le racisme. Ce constat contrasté nous oblige à reconnaître que nos comportements à tous risquent toujours d’être marqués par des préjugés et que nous avons toujours à nous convertir. La violence, selon le livre de la Genèse, est tapie à notre porte à tous. Personne ne peut trop vite se dire innocent de ce genre d’attitudes, quoi qu’il en soit de ses intentions. Nous savons que la différence des cultures et des histoires est éprouvante. Nous le constatons dans nos assemblées, nos paroisses, nos rassemblements diocésains, encore qu’elles soient souvent des signes, modestes mais certains, de cette espérance. Au milieu du monde, les chrétiens portent et ont toujours à porter l’espérance que les humains sont appelés à constituer une communauté et même une communion, où tous portent chacun et chacun porte tous, communion qui est une annonce de la vie éternelle. Nous ne le devons pas à nos qualités particulières, mais au seul Christ, notre Seigneur. C’est lui que nous voulons servir en étant hospitaliers les uns aux autres, en veillant à ceux et celles qui seront atteints encore davantage par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire et de son traitement. Puisse notre foi dans le Christ présent en son Eucharistie et y venant à nous nous rendre toujours vigilants les uns sur les autres. Puisse-t-elle fortifier notre désir que tous se découvrent appelés à l’immense dignité des fils et des filles de Dieu, faits pour la liberté de l’Esprit-Saint.
C’est pourquoi, pour achever notre assemblée, nous confions à celles et ceux qui le voudront bien la prière que nous avons adressée au Sacré-Cœur. Nous la confions spécialement aux communautés religieuses, aux monastères, aux personnes consacrés et consacrées : vivant dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance en en ayant fait le vœu, ils et elles sont le signe de la libertas Ecclesiae, la liberté de vivre autrement que le monde, non pour condamner le monde mais plutôt pour aider les hommes et les femmes à s’ouvrir à l’espérance d’une vie plus humaine qui soit divinisante.