Je vous partage deux articles intéressants concernant l’affaire Saint-Jean de Passy, car ils révèlent le fonctionnement de l’enseignement catholique diocésain.
Le premier a été écrit par Pierre de Laubier, grand connaisseur du système :
Il se peut que M. Clément ait commis les fautes qu’on lui reproche. L’organisation de l’enseignement sous contrat rendait même inévitable qu’il les commît. Mais il est connu que bien d’autres les commettent. Il en résulte que, fondées ou non, les accusations contre M. Clément ne sont qu’un prétexte. Le but véritable d’une opération menée dans le secret, à la faveur du confinement, n’était pas de porter remède à des souffrances, mais de faire en sorte que la seule issue possible fût son éviction. En invoquant au besoin ce fameux « apaisement » si utile pour éviter les questions qui fâchent.
Cinquième épisode
Le caractère de M. Clément était bien connu, ce qui ressort notamment de la lettre du supérieur des Chartreux de Lyon à l’archevêque de Paris. M. Canteneur l’a donc nommé en toute connaissance de cause (ou aveuglément, ce qui serait pire).
Dans le cas d’établissements comme Saint-Jean de Passy, cette nomination se fait au terme d’une négociation avec le conseil d’administration. Où siège le directeur diocésain, selon une organisation « en boucle » que j’ai longuement mise au jour. Et où siègent deux représentants de l’Apel, qui est partie prenante des décisions de la direction diocésaine par le biais du C.O.D.I.E.C. (voir notamment ici http://chroniquedelecolepriveedeliberte.hautetfort.com/archive/2016/02/04/le-pluralisme-tautologique-5755265.html#more). En l’espèce, ce conseil a agi explicitement « en concertation » avec M. Canteneur.
Pour recruter les professeurs, M. Clément disposait de son propre jugement et d’un directeur des ressources humaines. Dans les établissements plus modestes, cette liberté est nulle : la direction diocésaine trie les candidats au moyen du préaccord, et en propose un seul par poste, tout refus devant être justifié par écrit. Par la suite, la carrière des professeurs dépend, toujours, de la direction diocésaine. Situation inconfortable pour le directeur comme pour ses collaborateurs, répartis au gré des « mutations » orchestrées par la direction diocésaine, et qui n’adhèrent pas nécessairement au style ni au projet de l’établissement. Surtout si ce projet est catholique, la plupart des professeurs ne l’étant pas. Dans ces conditions, la notion d’« équipe pédagogique » n’est qu’un mot.
Un directeur ne peut pas non plus choisir les élèves, les établissements devant être « ouverts à tous ». Selon la loi Debré de 1959, pas selon le droit canon, qui n’interdit pas cette « ouverture » mais n’y oblige pas non plus. En Angleterre, certaines écoles catholiques, y compris subventionnées, n’acceptent que les élèves baptisés (et parfois vérifient que les parents fréquentent la paroisse). Dans ces conditions, la notion de « communauté éducative » n’est qu’un mot.
On pourrait admettre que les établissements soient soumis à certains contrôles. Existe-t-il une procédure régulière d’audit ? Ou bien celui-ci a-t-il été décidé arbitrairement, selon l’adage de Dostoïevski : « Là où il y a la loi, on peut toujours trouver le crime », dont la version populaire est : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » ? Pourquoi pas plutôt au groupe scolaire Saint-Vincent de Paul, qualifié par M. Tercinier d’« établissement à problèmes » il y a dix ans, mais dont la directrice incompétente et acariâtre est toujours en place ?
La liberté que M. Clément prenait dans le recrutement ou le renvoi des professeurs était le seul moyen de constituer une « équipe pédagogique » et une « communauté éducative » dignes de ce nom. Mais c’était échapper à la mainmise de M. Canteneur, et c’est la seule « souffrance » que la direction diocésaine ne tolère pas.
Et il y avait pire : le partenariat établi avec l’école professorale de Paris, fondée en 2016 et dirigée par M. Nemo. Or, l’existence de cette école – et son succès – ébranlent les fondations du système, qui reposent sur deux croyances.
La première est que le caractère catholique est compatible avec des programmes officiels gorgés, toutes matières confondues, de présupposés idéologiques et moraux contraires à l’anthropologie chrétienne et à la doctrine catholique.
La seconde est que les écoles catholiques ne peuvent se passer ni des subsides, ni des services de l’éducation nationale, notamment en matière de formation. Or, l’existence de l’école libre du professorat prouve qu’on peut faire sans. Et qu’un établissement comme Saint-Jean de Passy serait en mesure de résilier son contrat.
C’est là une idée que le secrétariat général et ses filiales diocésaines veulent empêcher de germer dans les esprits. Pas pour défendre un principe. Pour se défendre eux-mêmes.
Le second a été écrit sur un blog de droite hébergé par Mediapart :
Les apprentis sorciers de la rue Raynouard ont-ils ouvert la boîte de Pandore ? Le licenciement de l’ancien directeur de Saint-Jean de Passy a provoqué une réaction en chaine inattendue. Car au-delà des parents d’élèves et des équipes éducatives choqués de la brutalité de la procédure, c’est désormais tout le diocèse de Paris qui tangue dangereusement.
Un vent de panique commence à souffler dans les arcanes du diocèse de la capitale. La manière avec laquelle a été gérée la crise à Saint-Jean de Passy aurait écœuré de nombreux catholiques parisiens, laïcs comme prélats, qui témoigneraient de plus en plus de leur déception.
Une affaire qui a connu un nouveau rebondissement le 12 mai dernier, avec l’officialisation du licenciement de François-Xavier Clément et de Jean Ducret (le directeur de Saint-Jean de Passy et son préfet des Terminales) par le conseil d’administration de l’établissement. La rapidité avec laquelle a été traitée l’affaire — exactement quatre semaines après la mise à pied des deux responsables — et le flou qui continue d’entourer ce dossier ont suscité une colère qui est allée bien au-delà des murs de la prestigieuse école.
Et au sein de l’archevêché, les « remontées du terrain » sont pour le moins inquiétantes : l’affaire a fait grand bruit dans les milieux catholiques et de nombreux évêques de la région parisienne ne mâchent pas leurs mots en privé pour décrire une situation qui a provoqué l’indignation et la colère de leurs ouailles.
Pour l’archevêque de Paris Monseigneur Aupetit, c’est une triple crise : d’abord une crise d’image, pour celui qui faisait alors consensus depuis sa nomination à son poste en 2013 chez les catholiques parisiens, des paroisses les plus progressistes au plus traditionalistes. C’est aussi une crise de confiance pour bon nombre de catholiques, qui attendaient justement de l’Église une forme de justice et de compassion dans un dossier, qui, pour certains observateurs, s’apparente à une brutale liquidation.
Enfin, c’est aussi une crise financière : « l’affaire Saint-Jean de Passy » a secoué tout l’ouest parisien catholique. Un milieu cossu, où sont concentrés une grande partie des donateurs, privés et professionnels, du diocèse. Or, de nombreuses familles et entreprises ont déjà fait savoir qu’elles suspendaient leurs virements mensuels. Dans les arrondissements bourgeois du 7e et du 8e arrondissement, certaines paroisses voient leurs prévisions budgétaires basculer dans le rouge et en off, plusieurs responsables de la Fondation Notre-Dame (l’organisme privé qui regroupe les principales fondations caritatives catholiques de Paris) expriment leur profonde inquiétude. Une crainte d’autant plus justifiée que les comptes paroissiaux ont déjà été durement impactés par les mesures de confinement dues au Covid-19, avec la suspension des messes et des cérémonies religieuses et la privation d’offrandes et de quêtes.
Une crise d’image, une crise de confiance et une crise budgétaire. Si l’on juge le capitaine dans la tempête, celle qui attend Monseigneur Aupetit s’annonce particulièrement périlleuse et décisive. Mais comment une simple affaire de licenciement au sein d’un établissement scolaire a-t-elle pu prendre de telles proportions ?
Un licenciement qui passe mal auprès de nombreux catholiques
Sous la direction de François-Xavier Clément, Saint-Jean de Passy avait acquis une solide réputation auprès des catholiques parisiens et franciliens, tant sur la qualité des conditions d’enseignement que sur l’attention particulière accordée au développement de la « vie spirituelle » des élèves.
Une renommée et une reconnaissance pour son travail, qui tranchent avec les motifs invoqués pour justifier son licenciement : d’anciens salariés auraient critiqué le management « musclé » et abrupt de l’ancien chef d’établissement. Mais pour bon nombre de parents d’élèves et de catholiques parisiens, ces vagues considérations de management ne justifiaient pas une mise à pied aussi rapide, en pleine année scolaire, au cœur d’une crise sanitaire et à quelques semaines du baccalauréat, qui plus est pour un chef d’établissement si apprécié de la communauté.
Une décision qui passe mal, d’autant plus que la cabale orchestrée contre François-Xavier Clément semble en réalité l’avoir été pour de basses inimitiés personnelles. Le directeur diocésain de l’enseignement catholique, Jean-François Canteneur, et la présidente de l’Apel (association de parents d’élèves) Emmanuelle Sarrebourse de la Guillonière, figures de proue de la fronde et membres du conseil d’administration de l’établissement, entretenaient de longue date de mauvaises relations avec le directeur de l’établissement.
Un directeur diocésain qui s’est montré particulièrement sévère à l’égard de François-Xavier Clément dans la presse alors qu’en parallèle, ce dernier est de plus en plus critiqué en coulisse pour sa gestion de l’enseignement catholique dans la capitale. On lui reprocherait notamment la nomination à la tête de certains établissements de responsables aux modes de vie peu compatibles avec les recommandations de l’Église (dont notamment un directeur d’école qui vivrait en concubinage avec un autre homme), voire même d’avoir couvert un directeur d’établissement accusé de harcèlement sexuel, en le mutant discrètement dans une autre école. Ce « deux poids, deux mesures » entre des autorités diocésaines particulièrement laxistes, voire opaques sur certaines affaires, et la célérité avec laquelle a été traité le cas « Saint-Jean de Passy » laissent un gout amer a beaucoup de catholiques parisiens.
C’est probablement ce qui explique pourquoi le cas de François-Xavier Clément et de Saint-Jean de Passy a fait parler bien au-delà des parents d’élèves ou du personnel de l’établissement. Avec cette affaire, ce sont toutes les turpitudes et les incohérences accumulées pendant des années dans le diocèse de Paris qui remontent à la surface.
Enfin, symboliquement, c’est aussi un profond camouflet adressé aux établissements scolaires catholiques de toute la France. Cette affaire marque la toute-puissance des structures diocésaines, y compris à l’encontre des écoles qui seraient tentées de mettre en place de manière autonome une pédagogie résolument catholique, à l’instar de ce qui avait été tenté à Saint-Jean de Passy.
Le licenciement de François-Xavier Clément a donc produit une onde de choc qui a amplement dépassé le seizième arrondissement. Bon gré mal gré, de nombreux catholiques parisiens avaient jusque-là toléré les égarements, les erreurs et les faiblesses du diocèse, car certaines initiatives locales, comme celles mises sur pied à Saint-Jean de Passy, redonnaient à l’Église ses lettres de noblesse. En laissant saborder ce qui était l’un des points forts du catholicisme parisien, l’archevêché s’est-il livré à la colère sourde des fidèles ?