De l’abbé Berger, curé d’Orange :
En réponse au cri des fidèles qui demandent à leurs pasteurs : rendez-nous la messe !
Depuis quelques jours, je me demande comment nous pourrions faire pour reprendre la célébration de la messe et celle des autres sacrements dans nos églises.
J’ai pensé que je pourrais afficher à la porte de l’église : « ici on dispense des biens de première nécessité et cet établissement est autorisé par le gouvernement à rester ouvert. » Il vous suffirait alors de cocher la deuxième case de l’attestation de déplacement dérogatoire… en tenant compte de la note n°3 à condition de voir la messe comme « l’acquisition à titre gratuit d’une denrée alimentaire » ou « un déplacement lié à la perception de prestations sociales », en l’occurrence celles du salut de Dieu ! J’en conviens : c’est difficile à expliquer !!!
Mais, oui vraiment, après 7 dimanches et 6 semaines pleines sans messe publique, nous pouvons tous témoigner que la célébration de la messe et des autres sacrements nous manque. Nos célébrations sont donc un bien de première nécessité. Il ne s’agit pas d’un loisir, il ne s’agit pas d’une activité culturelle, il s’agit d’une nécessité spirituelle de la première importance. La messe nous est tout aussi nécessaire que l’alimentation. Avec vous, je voudrais le crier haut et fort à notre monde et l’antienne de notre supplication est déjà connue : “l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.” (Dt 8, 3 et Mt 4, 4)
On nous dira : « si telle est votre croyance, restez chez vous et lisez la Bible ! » Nous le faisons ! Mais la messe est bien plus qu’un rassemblement, quel que soit d’ailleurs le nombre de personnes présentes. Il semble que l’exercice des cultes ne soit considéré aujourd’hui que sous l’angle du rassemblement… Il faut voir plus loin que l’étymologie : de même que le mot synagogue signifie maison de l’assemblée car c’est en ce lieu qu’ont convergé les fils d’Israël… de même l’Eglise tient son nom du mot grec ecclesia signifie bien assemblée, groupe des personnes rassemblées en un même lieu parce qu’elles professent un seul Seigneur dans une même foi et qu’elles ont reçu un seul et même baptême. Cf. Eph 4, 5
Toute la question est de savoir pourquoi et dans quel but les fidèles s’assemblent. Pour nous catholiques, il s’agit bien plus que de vivre des retrouvailles fraternelles le Jour du Seigneur !
Il s’agit de faire corps avec Jésus. A la lumière de la Parole de Dieu proclamée, écoutée, expliquée, méditée, nous présentons à Dieu l’offrande de nos vies mais surtout l’offrande de la vie de Jésus qui est mort pour nous. La messe est plus qu’un repas où nous nous souvenons de cette offrande. La messe est l’offrande même de Jésus. Elle est son sacrifice rendu présent sur l’autel. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique le souligne au n° 1362 :
« L’Eucharistie est le mémorial de la Pâque du Christ, l’actualisation et l’offrande sacramentelle de son unique sacrifice, dans la liturgie de l’Église qui est son Corps. »
- L’Eucharistie est action de grâce, un grand et long merci, la reconnaissance qu’il n’y a pas un couvercle au dessus de nos têtes mais un Ciel parsemé d’étoiles avec un Père qui nous a créés et qui nous aime au point d’envoyer son Fils pour nous sauver
- mémorial de la Pâque, l’Eucharistie rappelle la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, sa Mort, sa Résurrection et sa glorieuse Ascension dans le ciel… ce passage de ce monde à son Père, ce passage de la mort à la vie qu’il emprunte pour Lui afin d’entrer dans la gloire mais aussi pour que nous Le suivions
- actualisation de l’unique sacrifice du Christ, la messe le rend présent, non seulement dans la mémoire qui se souvient, mais le rend actuel, l’actualise quand le prêtre prend dans ses mains le pain et dit : « Ceci est mon Corps » puis le calice empli de vin et dit : « Ceci est mon sang. » Cette double consécration actualise – de manière non sanglante et non cruelle – le sacrifice du Christ, accompli une fois pour toutes le vendredi saint – de manière sanglante et cruelle. Jésus ne meurt pas une nouvelle fois, mais, toujours vivant pour intercéder en notre faveur, Il se donne entre nos mains dans cet état d’oblation qui sauve le monde. La messe actualise le Sacrifice du Christ pour que nous puissions l’offrir aujourd’hui, de nos mains. Il s’agit des mains des prêtres qui, par le sacrement spécifique, ont été ordonnés à cet état et à cette fonction… mais il s’agit aussi de la main des fidèles qui offrent – dans la grâce de leur baptême – à Dieu le Père le sacrifice du Christ par la main des prêtres. Dans quelques mois, nous retrouverons la réponse traditionnelle aux paroles du prêtre à la fin de l’offertoire : « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant » et nous dirons :
« Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église. »
- l’offrande sacramentelle d’un unique sacrifice : ce n’est pas un mime, ce n’est pas une pièce de théâtre répétée autant de fois qu’elle trouvera son public, c’est l’unique sacrifice qui sauve le monde qui est remis entre nos mains. Par ce sacrifice, nous pouvons nous offrir à Dieu en toute vérité : nous Lui offrons nos joies, nos peines, nos angoisses, nos espérances, nos combats, nos doutes, nos réussites, le développement de nos talents. Certes, nous commençons chez nous quand nous faisons cette offrande par l’intention, mentalement… en reprenant par exemple les paroles du chapelet de la Miséricorde : « Père Éternel, je vous offre le corps et le sang, l’âme et la divinité de votre Fils bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ, en réparation de tous nos péchés et de ceux du monde entier. »
Mais si nous pouvons l’offrir, c’est que cela nous a été donné. Et la messe est précisément le moment présent de la vie de l’Eglise où l’offrande et le sacrifice du Christ sont posés sur l’autel par la consécration et où ils nous sont remis pour que nous puissions les prendre et les offrir : “Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi Dieu le Père tout puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles.”- Le corps, c’est notre chair et notre humanité qu’il a assumées…
- Le sang, c’est sa vie, la vie, notre vie humaine rachetée au prix de son sang…
- L’âme, c’est ce principe de vie par laquelle nous pensons, aimons, voulons, cette âme par laquelle Jésus a pensé, aimé, voulu… cette âme qui est descendue aux enfers pour libérer les justes de l’ancien Testament,
- Sa divinité, sa personne divine toute puissante et toute aimante qui a daigné se faire l’un de nous pour être notre Sauveur, Lui que nous proclamons Seigneur sur nos vies. Par son Incarnation, Jésus s’est uni à nous. Par le grâce du baptême, nous lui sommes unis par la foi… mais cela ne reste pas virtuel. Nous formons avec Lui un seul Corps : en effet, il y a un seul Corps et un seul Esprit. (Eph 4, 4)
dans la liturgie de l’Église qui est le Corps du Christ comme l’a rappelé le pape François dans son homélie du matin du vendredi 17 avril dernier :
La familiarité des chrétiens avec le Seigneur est toujours communautaire. Oui, elle est intime, elle est personnelle mais en communauté. Une familiarité sans communauté, une familiarité sans le Pain, une familiarité sans l’Eglise, sans le peuple, sans les sacrements, est dangereuse. Elle peut devenir une familiarité – disons-le – gnostique, une familiarité seulement pour moi, détachée du peuple de Dieu. La familiarité des apôtres avec le Seigneur était toujours communautaire, signe de la communauté. Elle allait toujours avec le sacrement, avec le Pain.
Je dis cela parce que quelqu’un m’a fait réfléchir sur le danger de ce que nous sommes en train de vivre en ce moment, de cette pandémie qui nous a conduits à tous communiquer même religieusement à travers les médias, à travers les moyens de communication ; même cette Messe, nous sommes tous en communication, mais pas ensemble, spirituellement ensemble… Il y a un grand peuple : nous sommes ensemble, mais pas ensemble. Le sacrement aussi : aujourd’hui vous avez l’Eucharistie, mais les personnes qui sont connectées avec nous n’ont que la communion spirituelle. Et ce n’est pas l’Eglise : c’est l’Eglise d’une situation difficile, que le Seigneur permet, mais l’idéal de l’Eglise est toujours avec le peuple et avec les sacrements. Toujours. (…
Attention à ne pas virtualiser l’Eglise, à ne pas virtualiser les sacrements, à ne pas virtualiser le peuple de Dieu. L’Eglise, les sacrements, le peuple de Dieu sont concrets. C’est vrai qu’en ce moment nous devons faire cette familiarité avec le Seigneur de cette façon, mais pour sortir du tunnel, pas pour y rester.
La communion spirituelle ne nous suffit pas ! Elle n’a son sens que parce qu’un jour nous avons communié physiquement, tactilement, corporellement au sacrement. Elle n’a son sens que parce qu’un jour – bientôt nous l’espérons de tout notre cœur – nous pourrons de nouveau manger le Corps du Christ et L’accueillir, Lui, vivant, régnant dans nos cœurs et dans nos vies. « Zachée, aujourd’hui, il faut que je vienne demeurer chez toi ! » Lc 19, 5
Père Michel BERGER, curé d’Orange