Renaissance Catholique fait un rapprochement, un peu réducteur comme indiqué dans le texte, entre la pandémie actuelle et Attila, déferlant avec ses hordes de Huns depuis les steppes orientales et ravageant tout sur leur passage, y compris la chrétienté naissante :
Quoiqu’il en soit, force est de constater les dégâts humains, mais également économiques, que le coronavirus a engendrés, paralysant tout ou partie de l’activité de certains pays. Dégâts humains, mais sans doute aussi spirituels. Dans certaines contrées, en effet, qui n’ont pas perdu tout sens surnaturel, la prière, les sacrifices, les processions font partie intégrante de l’arsenal à mettre en œuvre contre les malheurs des temps. A cet égard, l’Église a longtemps montré l’exemple, et le martyrologe romain recense bien des saints, prêtres et religieux, qui, préférant une « couronne éternelle » à une couronne qui se flétrit[3], ont payé de leur vie le soin des corps, mais surtout des âmes, qu’ils ont eu le souci de soulager, et surtout d’introduire au Ciel. Des temps où l’on y croyait. Mais aujourd’hui, on reste atterré de l’attitude face à l’adversité, de certains successeurs des apôtres. On cherche désespérément un Grégoire le Grand, un Charles Borromée, un Schuster, … Avant même que l’État ne prenne des mesures de « distanciation sociale », ou de confinement, certains évêques avaient déjà annulé les messes dominicales. Sans doute en raison du caractère « prophétique » de leur mission, ils étaient en avance sur leur époque… Nul ne doit nier la nécessaire prudence naturelle, mais elle est ordonnée à la prudence surnaturelle, celle qui « elle est la vertu la plus nécessaire à la vie totale de l’homme[4] ». Le Docteur angélique rappelle d’ailleurs, au même endroit que « bien vivre consiste à bien agir ». Dans ces conditions, il faut, de toute nécessité, suivre les préceptes de la prudence naturelle dès lors qu’ils n’empêchent pas la poursuite de la fin éternelle de l’Homme, sa Béatitude[5]. Qu’un païen, un anticlérical, un agnostique ignorent la subordination d’une fin naturelle à une fin surnaturelle dans l’existence de laquelle, très officiellement, ils ne croient pas, on peut bien le concevoir. Que le clergé en fasse fi, cela est plus inquiétant. Que le monde dans lequel nous vivons ait évacué le surnaturel, il faut être aveugle pour ne pas le constater. Que les ministres de l’Église lui emboîtent le pas, voilà qui scandalise, et surtout, dans l’ordre pratique, qui perd les âmes.
N’a‑t-on pas entendu des évêques, voire des conférences épiscopales, urger les décisions de confinement décrétées par les États en interdisant toute cérémonie de culte public, alors même que les autorités laïques ne le faisaient pas, mais demandaient simplement un nombre maximum d’assistants, suffisamment distants les uns des autres ? On a alors vu, selon les pays, mais aussi selon la théologie reçue et pratiquée, deux manières de voir : soit le clergé a simplement supprimé les offices, soit il les a multipliés afin que le culte public – entendre « en public », puisque même sans concours de peuple, les actes liturgiques de l’Église sont publics –, puisse perdurer tout en répondant aux normes sanitaires légitimement imposées par les États.
Croyons-nous tous la même chose ?
En fait, le clergé se divise en deux catégories : ceux qui croient en une destinée surnaturelle de l’homme, en la vie de la grâce, et à l’existence de moyens ordinaires de la communiquer que sont la prière et les sacrements ; et ceux qui n’y croient pas – plus – et qui sont devenus des « fonctionnaires de Dieu », selon l’expression du regrettable Drewermann[6]. Ils abdiquent tout dans les mains d’un État omnipotent, omniscient, d’un État-Providence, expression qui chez eux ne revêt pas le caractère d’une simple analogie, mais correspond bien à leur théologie.
La querelle relative à la consécration de la France par l’épiscopat, suggérée par des clercs et des laïcs, au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur Immaculée de Marie, en est un signe patent. Réponse du Président de la Conférence de Evêques de France (CEF) : « Il faut que cet acte suscite une unité plus grande de tous les fidèles et non qu’il suscite des incompréhensions et des agacements[7]. » Une fois de plus, on attend une forme d’unanimisme béat pour agir. Dieu merci, la multiplication de ce genre de réactions[8], caractérisées par leur recherche d’un consensus mou, a au moins quelques effets bénéfiques. Ainsi, la théologie de l’épiscopat français – collégialité, synodalité, prophétisme, communion, etc. – explicitée lors du récent concile, et dont on a pu voir les fruits printaniers – consensus mou, naturalisme pratique, « désacerdotalisation » de l’Église, chute du nombre des vocations, liturgie horizontale, etc. – se détricote lentement, mais sûrement. Les évêques qui ont encore la foi considèrent de plus en plus clairement qu’ils sont ministres de la communion de leurs diocésains avec Dieu, et non avec la Conférence des Evêques de France, et sans dénigrer l’existence de cette assemblée, considèrent leur ministère dans une perspective plus tridentine qu’il y a quelques années, gouvernant leurs diocèses sans trop se préoccuper des consignes du Secrétaire général du soviet. Et quelques consécrations de diocèses ont eu lieu, sans coup férir, comme si leurs évêques, avant d’être membres de la CEF, étaient d’abord pasteurs de leur troupeau ! Encore un effort, et l’Église fondée sur Pierre et les apôtres retrouvera ses couleurs naturelles, après le ravalement de mauvais goût subi dans les années 60.
Dans un autre registre, Mgr Rougé, évêque de Nanterre, publiait il y a peu une tribune dans le Figaro[9] dans laquelle il affirmait : « La vieille Église de France, qui semble souvent fatiguée et affaiblie, apparaît en ce temps d’épreuve collective comme une Église 2.0 débordante de ferveur et de créativité. » De fait, le confinement a provoqué une efflorescence d’initiatives, afin que le peuple de Dieu ne perde pas le lien avec son clergé… Amusant quand on pense au zèle mis ces cinquante dernières années pour expliquer à ce bon peuple que, devenu enfin adulte, par la vertu du dernier concile, il devait apprendre à se passer de clergé – ce qu’il est d’ailleurs, de plus en plus obligé de faire au regard de la raréfaction des ministres ordonnés.
La multiplication des initiatives relayées par internet est, sous certains aspects, encourageante. C’est aussi la preuve que l’Église vit, par le biais de ses fidèles et de ses prêtres, en phase avec son temps.
Néanmoins, quelques réflexions me viennent encore à l’esprit.
Quelles conséquences pour l’avenir ?
Tout d’abord, il est effectivement remarquable que l’on fasse preuve d’inventivité – fut une époque où c’était un critère essentiel pour accéder à l’épiscopat ! Mais, à côté de la transmission en direct ou différée des cérémonies de l’Église, spécialement durant les Jours Saints, de vidéos destinées à la formation intellectuelle ou spirituelle des fidèles, on a également pu voir une sorte de « course à l’échalote » des plus inquiétantes. C’est à celui qui aurait la trouvaille la plus originale : bénédiction de rameaux « virtuellement présents, mais matériellement absents » depuis le toit de l’église, aspersion depuis la voiture, etc. Au lieu d’un « traficotage » de la liturgie, on eut préféré qu’ils se déplaçassent jusques à leurs fidèles pour les confesser, leur porter la communion, et en profiter pour leur distribuer les rameaux bénis par leur soin dans des conditions respectueuses des normes liturgiques et de la dignité qui sied au culte catholique.
Pourtant les fidèles les réclamaient ces sacrements et sacramentaux. Mais on leur explique depuis le début du confinement que l’assistance physique à la messe dominicale est facultative, du fait de l’impossibilité matérielle d’y assister. C’est vrai, le précepte ecclésiastique d’assister à la messe dominicale peut, en raison des circonstances, connaître des tempéraments. Mais en l’espèce, le clergé ne fait pas beaucoup d’efforts pour permettre à ceux qui le peuvent d’assister aux offices autrement qu’à travers la lucarne de leur ordinateur. C’est le clergé qui rend cette assistance physique universellement impossible, alors qu’elle pourrait ne l’être que pour quelques-uns. Ils préfèrent célébrer en privé – quand ils célèbrent –, ne pas multiplier le nombre d’office – la fatigue…– et mettre ainsi tout le monde sur un pied d’égalité. A la fin du confinement, nous verrons si tout le monde a bien compris que ne pas assister physiquement à la messe ne valait que pour ce temps particulier.
Priver les fidèles de l’accès aux canaux ordinaires de la grâce, n’est-ce pas criminel ? On a même pu lire sous des plumes épiscopales qu’il convenait de repousser les baptêmes après le confinement, dont nul ne connaît la date de clôture …Outre le mépris du droit de l’Église sur la nécessité de baptiser « sine mora », « sans retard », on en vient à se demander ce qu’ils protègent par de telles décisions ou suggestions. La survie surnaturelle des enfants ? Visiblement pas. Non, ils semblent plus préoccupés de préserver le caractère hygiénique de la « sauterie » familiale qui fait suite à la cérémonie et qui, chez beaucoup de nos contemporains, c’est vrai, constitue l’essentiel du baptême. Ce ne sont plus des évêques que nous avons parfois, mais des hygiénistes professionnels. On se demande encore si, pour eux, l’appartenance à l’Église et au Christ par le baptême est nécessaire au salut, si le péché originel est un obstacle à la grâce sanctifiante et à l’amitié avec Dieu et que le seul moyen que l’Église connaît pour l’effacer est le baptême d’eau, ou, pour ceux qui ont atteint l’âge de raison et ne peuvent recevoir ce dernier, le baptême de désir. Si le seul argument pour éviter les cérémonies de baptême est leur caractère convivial, et donc facilitant la propagation du virus, n’eut-il pas été expédient alors de rappeler aux fidèles catholiques que le baptême étant nécessaire au salut, en l’absence de ministre ordinaire, il était plus que souhaitable que ce sacrement soit administré par quiconque, rapidement, hors de toute considération mondaine, le salut éternel semblant plus important que la question triviale des petits fours ?
A y bien réfléchir, on se demande si le virus est un nouvel Attila, ou si l’épiscopat n’a pas pris la relève…
De saints prêtres
Le nombre important de prêtres atteints par le virus, et même tués par lui, alors qu’ils se rendaient au chevet de leurs paroissiens, ou qu’ils les assistaient durant leurs derniers instants, en Italie particulièrement, nous montre que la corporation comporte des membres qui croient encore à la vertu des sacrements, et à l’efficacité de la Croix du Christ. Cela console de bien des déceptions.
Quoiqu’il en soit, soyons rassurés, les économes diocésains continuent de « faire passer le panier de quête », grâce à des applications électroniques[10]. Ainsi, même si le service cultuel n’est plus assuré, les choses vraiment essentielles à la religion demeurent !