Dans une note de Res Novae, publiée sur le blogue de L’Homme Nouveau, l’abbé Claude Barthe souligne que nos épiscopes ont été bien plus loin que ce que demandait le gouvernement, ce qui fait d’eux, selon un adage récurrent, les préfets de l’intérieur… :
[…] L’arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 15 mars 2020 portait encore :
« Les établissements de culte, relevant de la catégorie V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion de plus de 20 personnes en leur sein est interdit jusqu’au 15 avril 2020, à l’exception des cérémonies funéraires. »
Les évêques de France eussent pu, faute de mieux, organiser les assemblées liturgiques en fonction de ces contraintes légales passablement tyranniques, essentiellement en multipliant le nombre de messes pour des petits groupes. Bien au contraire, ils ont anticipé les mesures gouvernementales (les messes publiques étaient interdites à compter du 14 mars), et ils les ont même amplifiées. La Conférence des Évêques a traduit ainsi l’arrêté du 15 mars :
« Aucune messe avec une assemblée, de quelque taille qu’elle soit, ne doit être célébrée. Les obsèques peuvent, pour le moment, être célébrées dans les églises dans la plupart des diocèses. L’assemblée devrait être inférieure à 20 personnes » (Message de Mgr de Moulins-Beaufort, du 17 mars 2020).
Du coup, un arrêté du 24 mars interdisait les messes, sauf les « cérémonies » pour les obsèques.
Les évêques de France étaient d’abord en droit d’examiner si le bien commun de la Cité n’était pas malmené, dans la mesure où une loi civile digne de ce nom ne saurait entraver la diffusion des biens surnaturels. Elle devrait d’ailleurs, bien au contraire, la favoriser. Et même avant cela, depuis le début de cette crise s’est posée de manière récurrente la question de la proportionnalité des mesures prises : car si l’on doit confiner non seulement les malades ou leur proches, mais les malades et les bien-portants, pourquoi ne prend on pas des dispositions de confinement semblables, par exemple, lors de la grippe saisonnière qui peut faire jusqu’à 650 000 victimes par an dans le monde ? La réponse – dans un contexte où le scientifique idéologiquement survalorisé se heurte à ses limites – tient à la méconnaissance du virus actuel, pour lequel on ne dispose ni de vaccin, ni encore de médicament efficace, sans parler de l’impréparation sanitaire. Si bien que les médecins et épidémiologistes ont demandé l’application du « principe de précaution ». Sauf que celui-ci, sorti de la giberne des écologistes et intégré à la constitution en 2005, là où il suffisait d’invoquer le bien commun de la Cité recherché prudemment et intelligemment, se heurte ici au bien commun surnaturel dont l’Église est seule juge.
Certes, elle se doit de favoriser la santé corporelle, et donc tenir compte de l’avis des gouvernants – ou de ceux qui, de facto, tiennent lieu de gouvernants et dont, s’agissant de « santé publique », on doit tout de même se souvenir que leurs « lois » autorisent le meurtre de quelques 220 000 innocents par an en France (1) –, mais elle est, quant à elle, en charge de la santé spirituelle des hommes, de leur salut éternel.
Or, il n’est de bien plus précieux en cet ordre que le sacrifice eucharistique, réitéré tout au long de la vie de l’Église sur cette terre pour les vivants et pour les âmes du Purgatoire. Pour tous les vivants, car il faut se souvenir, avec saint Thomas, que si l’eucharistie, comme sacrement, profite à ceux qui le reçoivent, elle bénéficie, comme sacrifice, à tous ceux pour lesquels il est offert, c’est-à-dire pour tous les hommes auxquels est proposé le salut en Jésus-Christ (2).
Sans doute, la messe privée, célébrée devant un seul servant de messe, a-t-elle pour le salut des hommes la même valeur que la messe célébrée devant une foule immense. Mais il importe, précisément en raison de ses effets, qu’elle soit au cœur du culte publiquement rendu à Dieu. Car, aussi étrange que cette assertion puisse aujourd’hui paraître, non seulement le gouvernement de la Cité devrait favoriser le culte divin célébré par l’Église, mais il devrait aussi s’y associer en tant que tel. Pas plus que le père de famille, le gouvernant n’a à se réfugier dans la « neutralité ». Rendre à Dieu un culte public est un devoir « qui oblige en premier lieu les hommes pris en particulier, mais c’est aussi un devoir collectif de toute la communauté humaine basée sur des liens sociaux réciproques, parce qu’elle aussi dépend de l’autorité suprême de Dieu » (Pie XII, Mediator Dei).
Toutes choses étrangères à la réalité démocratique présente, mais que les pasteurs de l’Église devraient avoir bien présentes à l’esprit pour donner un enseignement et prendre des positions qui n’y contreviennent pas. Tolérant, parce qu’ils n’en peuvent mais, cette réalité d’institutions qui ignorent la loi divine, ils ont à réserver jalousement dans le principe les droits de Dieu. Or, c’est tout le contraire, puisque, depuis Vatican II, ils considèrent que c’est par exception qu’a été jadis accordée à l’Épouse du Christ une « reconnaissance spéciale », alors que la règle est désormais pour elle le droit commun associatif qui résulte de la liberté religieuse (Dignitatis humanæ n. 6).
1. Jérôme Salomon, directeur général de la santé : « Les centres pour réalisation d’IVG restent ouverts pendant la crise » (point de presse, vendredi 20 mars 2020).
2. Somme théologique, IIIa pars, q 79, a 7).