Dans sa lettre n°740 du 8 avril, Paix Liturgique fait paraître à nouveau un texte du Père Gabriel Díaz Patri sur « Le motu proprio Summorum Pontificum et l’apaisement dans l’Église », si intéressant qu’il a été reproduit et est demeuré dans la section Studi e commentari du site de la Commission Ecclesia Dei. Nous l’avons souligné à plusieurs reprises, il est nécessaire (encore aujourd’hui) que l’Eglise entière se réconcilie avec elle-même, avec son histoire, avec ce rite qui mené les âmes vers Dieu pendant des centaines d’années
Cependant la légitimité d’un rite liturgique n’est pas seulement donnée par son identification avec les principes en vigueur dans le passé, mais aussi avec ceux qui inspirent les autres rites actuellement existant, lesquels par ailleurs sont également utilisés par d’autres dénominations chrétiennes de longue tradition.
Il est donc nécessaire qu’il y ait dans la liturgie de l’Église non seulement une unité « diachronique » mais aussi une unité « synchronique ». De là un nouvel argument pour affirmer la permanence de la validité du rite romain traditionnel et la nécessité pour la forme célébrée ordinairement de ne pas diverger essentiellement de celui-ci : si la liturgie actuelle ne pouvait s’identifier de manière substantielle avec les autres formes liturgiques de l’Église, telles qu’elles sont célébrées dans les autres traditions légitimes –passées ou contemporaines–, elle perdrait par là-même la légitimité de son fondement. Vu depuis cette perspective et procédant à une analyse plus fine, nous pourrions dire que le Motu Proprio de Benoit XVI est paradoxalement plus une défense du nouveau rite que de l’ancien.
Il y a aussi un autre aspect, non moins important : le futur : « Que m’importe le passé en tant que passé –disait le « philosophe paysan » Gustave Thibon–, ne voyez-vous pas que, lorsque je pleure sur la rupture d’une tradition, c’est surtout à l’avenir que je pense ? Ne touchez pas aux racines ! (…) Quand je vois pourrir une racine, j’ai pitié des fleurs qui demain sécheront faute de sève ».
Dans un sens semblable, cette fameuse phrase que l’on aime attribuer tant au tribus de l’Afrique comme à Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».
Il est évident que le motif du Pape pour publier ce Motu Proprio réside dans l’existence du conflit, durant quelques décennies déjà, avec les groupes dits « traditionalistes ». Il s’agit sans doute d’un élément de grande importance qui a été l’occasion de la publication du document ; mais si l’on analyse avec attention la pensée de Joseph Ratzinger, la justification profonde du Motu Proprio ne se trouve pas dans le facteur « politique » mais bien dans le facteur théologique : combien même il n’existerait aucun « traditionaliste », il n’en subsisterait pas moins une situation anormale exigeant de soi une restauration de l’ordre.
Il y eut toujours et il y aura toujours des personnes qui s’adaptent difficilement aux changements, spécialement en ces temps de mutations accélérées. Le paradoxe de la situation actuelle tient au fait que bien souvent ceux qui montrent leur inquiétude face à ce qu’ils considèrent comme une menace pour la « réforme liturgique » font figure de « conservateurs » : en s’accrochant étroitement au « statu quo » et en manifestant leur difficulté pour s’adapter à la nouveauté de cette redécouverte proposée par le Pape, ils reproduisent les attitudes que étaient habituellement associes aux « traditionalistes ».
D’autre part, jusqu’alors les personnes adhérant à la soi-disant « Messe en latin » étaient identifiées comme les gens du « contre ». Mais il se produit que ceux qui, suivant l’appel de Benoît XVI, s’approchent de la liturgie héritée de nos anciens sont, chaque fois plus fréquemment, les gens du « pour » ; et ceux du « contre » sont ceux qui ne veulent pas même rien entendre de tout cela, attachés à leur « tradition » de cinquante ans.
Plus encore, avec une fréquence accrue, ceux qui accueillent à l’heure actuelle avec enthousiasme les enseignements « innovants » et les dispositions du Pape –dispositions exprimant une valorisation renouvelée de la tradition liturgique–, non seulement n’obéissent pas à cette mentalité négative mais, au contraire, manifestent leur joie de découvrir quelque chose de nouveau : la redécouverte de l’héritage, de retrouver ses racines, en un mot prendre conscience d’appartenir à une famille. Pas ce que notre société contemporaine entend par « famille » –simple association d’individus partageant une période donnée de leurs vies selon le faible lien d’un pacte facilement révocable, sans passé qui les unisse et au futur incertain–, mais bien une véritable et profonde communauté de vie, avec des ancêtres communs, avec une mémoire commune dont ils sont fiers : une famille qui n’est pas seulement composée de « frères » mais qui a aussi des parents et des ancêtres.