Dans sa lettre aux Amis et Bienfaiteurs à l’occasion de la Semaine Sainte, Mgr Gilles Wach, prieur général de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, nous interroge sur les signes du Ciel à voir dans cette épidémie pour nous aider à revenir à l’essentiel, mais aussi de manière circonstanciel sur les décisions des évêques d’interdire les messes et offices liturgiques en ce temps si important du Carême et de la Semaine Sainte.
Il me semble qu’une épidémie d’une telle envergure peut être interprétée comme un signe permis du Ciel, ayant pour fin de nous ramener à l’essentiel, ainsi que le soulignent nombre de commentateurs. Mais quel est cet essentiel ? N’est-ce pas Dieu lui-même ? Dans les Saintes Écritures, Dieu donne des avertissements semblables pour stimuler à la conversion. « Un Jésus qui est d’accord avec tout et tous, écrivait Benoît XVI, un Jésus sans sa sainte colère, sans la dureté de la vérité et du véritable amour, n’est pas le vrai Jésus comme le montre l’Écriture, mais sa misérable caricature. Une conception de l’évangile où le sérieux de la colère de Dieu n’existe plus n’a rien à voir avec l’évangile biblique » (J. Ratzinger, Regarder le Christ).
De nos jours, on entend si peu parler des péchés, des fautes, des offenses que l’homme aurait pu commettre contre son Dieu et que la société contemporaine aurait pu promouvoir à son échelle. À peine reconnaît-on le Créateur comme le Maître absolu, et de la vie, et de la mort. L’expérience de la maladie et de la peur nous offre un double enseignement : la richesse et la grandeur de notre monde ne sont que vanité, puisque la petitesse d’un virus suffit à le mettre à genoux ; par ailleurs, nous devons redécouvrir le sens de notre humaine condition, l’amour du plus petit, du plus fragile, du plus vulnérable, et le sens rédempteur de la souffrance. Nous fêtons ces jours-ci le quinzième anniversaire du rappel à Dieu de saint Jean-Paul II, et, début mai, nous célébrerons le centenaire de sa naissance. Ce que le serviteur de Dieu nous a légué comme ultime témoignage, c’est une souffrance transfigurée par l’amour du Rédempteur, les impératifs de sa mission apostolique et la divine charité. Dans sa lettre encyclique Salvifici Doloris, dédiée au sens de la souffrance, il écrivait : « La souffrance est quelque chose d’encore plus ample que la maladie, de plus complexe et en même temps plus profondément enraciné dans l’humanité elle-même. L’ampleur de la souffrance morale et la multiplicité de ses formes ne sont pas moindres que celles de la souffrance physique… Pour découvrir le sens profond de la souffrance, il faut surtout accueillir la lumière de la Révélation, non seulement parce qu’elle exprime l’ordre transcendant de la justice mais parce qu’elle éclaire cet ordre par l’amour, source définitive de tout ce qui existe. L’amour est aussi la source la plus complète de la réponse à la question sur le sens de la souffrance. Cette réponse a été donnée par Dieu à l’homme dans la Croix de Jésus-Christ. »
Vendredi Saint, l’Église revivra les grandes heures de la Passion et de la Mort du Sauveur ; puissions-nous unir aux souffrances de la divine Victime nos propres croix, les maladies, la solitude, l’angoisse, les privations matérielles et spirituelles que nous impose cette longue quarantaine. Soyons bien convaincus que Dieu, si bon, si aimant, si miséricordieux, « ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. » (Ézéchiel, XXXI, 11)
Il me semble que certaines autorités ecclésiastiques ont trop rapidement et facilement décidé la fermeture des églises et la limitation – voire la suppression – de l’accès aux sacrements. Comment envisager de telles mesures quand les supermarchés et les banques restent ouverts ? La vie surnaturelle aurait-elle une valeur de moindre importance ? Serait-elle accessoire ? L’âme n’a-t-elle pas besoin d’être régulièrement nourrie, purifiée et soutenue, plus spécialement quand des épreuves sans nombre fondent sur elle ? Si l’on peut consulter notre médecin, toutes précautions prises, pourquoi ne peut-on pas, restant sauves ces précautions, rencontrer le prêtre, véritable médecin de l’âme ? Les dispositions prises dans les supermarchés et autres espaces de première nécessité, ne pouvaient-elles pas être mises en œuvre dans nos églises ? Les moyens actuels permettent de mettre en place des systèmes de précaution, même rigoureux, dans nos églises. Les évangélistes nous ont montré quel amour de prédilection le Christ portait aux infortunés de la vie et plus spécialement aux malades, leur accordant la rémission physique, comme simple gage de la guérison spirituelle : « Va, ta foi t’a sauvé ! »
Je remercie chaleureusement nos chanoines qui font ce qu’ils peuvent pour vous aider et, à travers vous, servir Notre-Seigneur, par leurs visites ou la retransmission des offices liturgiques. Dès à présent se profile une crise économique et humaine de grande envergure : nous devrons courageusement faire face à des pénuries de toute espèce. Je sais que, dans certaines maisons de l’Institut et couvents de nos sœurs, nous avons d’ores et déjà commencé à distribuer des vivres et à aider les familles qui font face à des difficultés alimentaires. Nous continuerons à développer et à organiser cette charité bien nécessaire. Mais convaincus que « l’homme ne se nourrit pas seulement de pains, mais de toute parole qui vient de la bouche du Très-Haut », nous pourvoirons également aux nécessités spirituelles, assurant, sans enfreindre les restrictions, la continuité de la vie sacramentelle. Car nous savons bien que le plus grand danger qui menace aujourd’hui notre société est d’ordre spirituel, plus encore que social ou économique.
Je me demande quelle théologie peut avoir un clerc qui se permet d’interdire l’accès aux sacrements, et qui, en même temps, préconise une meilleure coopération dans le domaine des réalités naturelles. Que l’une et l’autre des deux subsistances – matérielle et spirituelle – s’adaptent au contexte et respectent scrupuleusement les précautions d’usage, nul n’en disconviendra. Pour autant, la suppression des canaux ordinaires de la grâce n’est jamais une bonne solution. Si l’accès aux sacrements n’est pas un droit absolu des fidèles, le prêtre n’a-t-il pas quant à lui pour devoir d’en faciliter l’administration et de porter Dieu aux plus fragiles, aux plus esseulés, aux plus malheureux ? Que signifierait le sacrifice, la consécration pleine et constante de sa vie, sans cette perspective ?