Reçu d’un lecteur.
Ce qui figure ci-dessous est destiné à tous ceux qui commencent à comprendre que, dans le cadre de la confrontation post-conciliaire entre la priorisation de la fidélité à ce que comporte la Tradition et celle de l’ouverture sur ce qui découle du “renouveau”, nous en sommes arrivés au constat suivant : c’est la fidélité, bien comprise, qui est libératrice et sanctifiante, et c’est l’ouverture qui est, non libératrice, mais libératoire (à l’égard de la conception de la Tradition la plus orthodoxe et réaliste qui soit) et qui est libératoire au point de continuer à être de plus en plus asservissante. En d’autres termes, soixante ans après le début des années 1960, il apparaît assez clairement que la priorisation de la “fidélité” est, certes, de son côté, parfois synonyme de “confinement” ad intra, mais aussi que celle de “l’ouverture” est, pour sa part, souvent synonyme “d’alignement” ad extra.
I.
A. L’année 2020 est dès à présent marquée par une crise financière, et surtout par une crise sanitaire, l’une et l’autre étant de très grande ampleur. Mais l’année 2020 sera aussi celle du 70° anniversaire de la parution, le 12 août 1950, de la lettre encyclique Humani generis, de Pie XII et du 60° anniversaire de la parution, en 1960, du livre les Eléments de philosophie chrétienne, d’Etienne Gilson.
B. En d’autres termes, l’année 2020 sera l’occasion de revenir sur les origines proprement philosophiques, ou philosophico-théologiques, de la crise de l’Eglise, et sur une partie des moyens, en l’occurrence philosophiques, ou, eux-aussi, philosophico-théologiques, de remédier à cette crise.
C. Que ceux qui, parmi les lecteurs de Riposte catholique, ne connaissent pas ou ne comprennent pas ce dont il est question ici, lisent donc Humani generis, de Pie XII, ainsi que les Eléments de philosophie chrétienne, de Gilson, qui ont été réédités en 2018 : ils entreront ainsi en contact avec le vocabulaire, les argumentaires, les analyses, les appréciations et la problématique de la défense et de la promotion, face à la “philosophie moderne”, de la “philosophia perennis” dont on a commencé à ne plus vouloir, ou à vouloir le moins possible, dès le début de l’avant-Concile, sous Pie XII.
D. Or, ce n’est pas avant tout ni seulement, mais c’est notamment parce que l’on ne veut plus, ou parce que l’on veut le moins possible continuer ou recommencer à faire bon accueil au réalisme thomiste, dans l’Eglise catholique, que l’on en est là où l’on en est aujourd’hui, dans bien des esprits.
II.
E. Si l’on préfère, la modification d’une forme de “modus cogitandi”, d’un certain mode de mise en réflexion philosophique, et d’un type de “modus colligendi”, d’un certain mode de mise en relation philosophique, au préjudice du plus indispensable réalisme, a une grande part de responsabilité dans la préparation puis dans le déroulement de la crise de l’Eglise, cette part de responsabilité étant souvent moins connue et moins comprise que celle qui découle de la modification de la “lex credendi” et de la “lex orandi” à laquelle les catholiques ont eu droit, surtout à partir de la fin des années 1960, dans la liturgie et les sacrements de l’Eglise.
F. C’est notamment parce que, en gros depuis 1945, bien des clercs catholiques ne veulent plus recourir au “modus cogitandi” et au “modus colligendi” thomistes, que nous connaissons dans l’Eglise, depuis cette date, plusieurs entreprises ou tentatives de conciliation entre telle philosophie d’inspiration chrétienne et telle philosophie ouvertement agnostique, voire ouvertement athée, “plus ou moins à la mode au moment où l’on parle”.
G. Ainsi, l’idéalisme, l’évolutionnisme, l’existentialisme, le matérialisme, l’historicisme, l’herméneutisme, le phénoménologisme, l’intersubjectivisme, le postmodernisme (lequel fonctionne à la “déconstruction”, émancipatrice, des “stéréotypes”, et à la “destitution”, égalitariste, des “discriminations”) ont été, hier, ou sont, encore aujourd’hui, plus ou moins à la mode, dans le monde contemporain.
H. Eh bien, pour certains clercs catholiques, il n’y pas eu “le moindre problème”, et c’est ainsi que nous avons connu diverses “générations” de clercs catholiques qui ont “flirté”, successivement, tout d’abord avec l’idéalisme puis avec l’évolutionnisme, ensuite avec l’existentialisme puis avec le matérialisme, en outre avec l’historicisme puis avec l’herméneutisme, et enfin avec le phénoménologisme puis avec l’intersubjectivisme, avant de commencer à “flirter” davantage avec le postmodernisme…
(La philosophie de la libération et la théologie du peuple dont il est particulièrement question depuis l’année 2013 découlent notamment d’une inspiration postmoderne, c’est-à-dire d’une inspiration sous l’influence de laquelle on considère globalement que la vigilance et la résistance catholiques face à l’abrahamisme (cf. Abou Dhabi), au consensualisme, au confusionnisme, à l’égalitarisme diversitaire, à l’horizontalisme humanitaire, à l’herméneutisme, à l’historicisme, au panenthéisme (cf. l’Amazonie), au relativisme et au subjectivisme, dans le domaine de la religion, n’ont pas une grande légitimité ni une grande signification “évangéliques”, comme on dit aujourd’hui…)
III.
I. Ces diverses entreprises ou tentatives de conciliation entre un mode de raisonnement d’inspiration chrétienne et tel mode de raisonnement philosophique non chrétien, voire non croyant, n’ont évidemment pas donné que des résultats négatifs, mais ont amplement contribué, dans l’Eglise catholique, à un genre de désorientation des esprits, sur le plan philosophique et sur le plan théologique, et à une sorte de démotivation des esprits, au préjudice de la poursuite de la réception, de la prise en compte et de la transmission de la philosophie d’inspiration chrétienne la plus réaliste qui soit et de la théologie catholique la plus orthodoxe qui soit.
J. Alors que Karol Wojtyla / Jean-Paul II n’était pas “réaliste”, en philosophie, ni “orthodoxe” en théologie, dans l’acception thomiste de ces notions (ce qui ne veut bien sûr pas dire qu’il était foncièrement et formellement à la fois anti-réaliste, anti-orthodoxe, et anti-thomiste), même lui a fini par reconnaître quelle est la nature du problème, et par commencer à le faire connaître et à le faire comprendre, dans la lettre encyclique Fides et ratio.
K. Certes, nous sommes ici en présence de questions difficiles à connaître et à comprendre, dans un domaine dans lequel on peut facilement et rapidement se tromper, en “diabolisant” la philosophie moderne et/ou en “dogmatisant” la philosophie chrétienne, dans son acception “gilsonienne”.
L. Mais que les lecteurs de Riposte catholique partent donc à la découverte ou, pour certains d’entre eux, à la redécouverte des raisons pour lesquelles et des moyens par lesquels tant de docteurs et de pasteurs catholiques ne veulent pas, NE VEULENT PAS que les catholiques adhèrent, de tout leur esprit et de tout leur coeur, à une philosophie d’inspiration chrétienne réaliste et à une théologie catholique orthodoxe, dans l’acception thomiste de chacun de ces termes, notamment parce que, voyez-vous, une telle philosophie et une telle théologie, bien reçues et bien comprises, peuvent grandement contribuer à ce que les catholiques acquièrent des capacités d’analyse et d’appréciation, une compréhension et un discernement (dans l’acception non “inclusiviste” de cette notion), donc une intelligence chrétienne et critique (dans l’acception non kantienne de ce concept) sur les causes, le contenu et les effets de la crise de l’Eglise, alors qu’il est “bien entendu hors de question” que les catholiques acquièrent cette intelligence.
IV.
M. Que voulez-vous… Il ne faut pas, IL NE FAUT PAS que les catholiques connaissent et comprennent ce que sont la philosophie réaliste et la théologie catholique thomistes, et IL NE FAUT PAS davantage qu’ils connaissent et comprennent pour quelles raisons et par quels moyens la philosophie réaliste et la théologie catholique thomistes ont commencé puis continué à être marginalisées, à partir de l’année 1945, dans l’Eglise.
N. Il ne le faut pas, parce que si davantage de catholiques se mettaient à connaître et à comprendre les postulats, le contenu, le déploiement et les résultats de cette marginalisation, ils seraient plus nombreux à demander des comptes aux hommes d’Eglise d’aujourd’hui, qui sont, notamment pour des raisons chronologiques, mais aussi pour des raisons programmatiques, les continuateurs des “marginalisateurs du thomisme” qui ont agi hier.
O. Or, il est “évidemment hors de question” que les catholiques d’aujourd’hui disposent des ressources intellectuelles susceptibles de leur permettre de demander des comptes aux responsables religieux catholiques d’aujourd’hui, sur leur gestion palliative des conséquences de la marginalisation du thomisme, et sur leur répugnance, ou sur leur réticence, face à telle perspective ou tentative de réhabilitation du thomisme dans l’Eglise catholique.
P. Au terme de cette brève réflexion, il est d’ailleurs à noter que le problème qui est évoqué ici ne concerne pas que le mode de raisonnement thomiste, ou le modus cogitandi et le modus colligendi thomistes : la période qui a commencé avec l’année 1945 a également été placée sous le signe de la marginalisation du mode de raisonnement augustinien, le positionnement philosophique et théologique augustinien de Joseph Ratzinger / Benoît XVI ayant eu un caractère minoritaire, ce qui l’a pleinement empêché d’avoir l’influence qu’il aurait pourtant vraiment mérité d’avoir, en tant que pape.
Cela étant écrit, notamment à la suite de la récente canonisation du cardinal Newman, rien n’empêche les catholiques non “philo-postmodernes” ni “philo-pluralistes” de commencer, ou de continuer davantage, à réfléchir, que ce soit d’une manière plutôt “thomiste” ou plutôt “augustinienne” : non seulement cela fait énormément de bien, sur le plan philosophique et sur le plan théologique, mais en outre cela contribue à maintenir en vie tout ce qui peut contribuer à un minimum de solidarité doctrinale et spirituelle entre les générations de fidèles, dans le respect et le souci de la foi catholique…
Bah !
C’est toujours le même lecteur….toujours aussi prolixe.
Au fait, a-t-il adressé à son évêque une supplique pour demander la célébration de la Vigile pascale en public ? Y sera-t-il cérémoniaire, grand clerc ou enfant de choeur ? Il me semble que c’est que Jésus-Christ attend d’abord.
et qu’il relise tranquillement ce que vient d’écrire Mgr Vigano’ (sans le commenter ; le texte se suffit à lui-même) :
http://www.correspondanceeuropeenne.eu/2020/03/31/entretien-avec-s-e-mgr-carlo-maria-vigano/
Bonjour Henri, heureux d’être cette fois encore d’accord avec vous. L’auteur est prolixe. Le propos est souvent intéressant, mais trop long.
L’auteur a mis de l’eau dans son vin, et conçoit que la crise a commencé avant Vatican II. C’est un début. Je concède qu’il faut continuer à le questionner publiquement, avec respect et sans insulte.
Maintenant, soyons réalistes : l’histoire est finie. La messe en latin est en train de reprendre pied partout, et d’autant plus solidement qu’elle a été persécutée. Il faut continuer à soutenir les jeunes prêtres qui se mouillent pour la dire au sein de l’Eglise, mais il y a un consensus dans les forces vives de l’Eglise (les tradismatiques) : la messe en latin est belle, elle est spirituellement porteuse. Pas la peine d’en dire plus. Les attaques en cours démontrent une certaine panique des vieux hérétiques devant cette messe qui ne veut pas mourir, mais leur moment est passé.
D’où l’importance que les nouveaux vainqueurs ne reproduisent pas les ignobles contre-témoignages des modernistes des années 68, insultant, ostracisant, n’hésitant pas à faire usage d’intimidation, d’abus de pouvoir et d’autorité. Surtout, soyons des vainqueurs magnanimes, déterminés mais magnanimes. Et dans 20 ans, quand les derniers dinosaures seront morts, la réfutation de Vatican II apparaîtra comme une évidence sur laquelle on glissera rapidement pour ne pas entamer le crédit de l’institution. C’est souvent comme cela.
Néanmoins, la récente lettre ouverte des pseudo-théologiens nous rappelle le devoir d’opposition courtoise et ferme. Ils ont perdu. Il faut juste le leur rappeler gentiment et fermement.