Après une première lettre pastorale en 2017 sur la jeunesse et celle de l’an dernier qui évoquait la question des abus sexuels dans l’église, la lettre pastorale de cette année est consacrée à l’un des grands temps forts de l’année 2020 du diocèse de Strasbourg : Le Grand Jubilé de sainte Odile. La lettre est en ligne ici.
En voici un extrait :
Percevoir l’actualité de sainte Odile est essentiel pour vivre pleinement notre Grand Jubilé.
Or, en rapportant ces deux faits, j’ai conscience que la vie de sainte Odile nous semble tissée par beaucoup de merveilleux. Trop, peut-être. Loin de nous aider à croire, cette abondance nous rend plutôt sceptiques.
Tout cela ne relève-t-il pas d’un autre temps, celui où le mythe et la magie se mêlaient au mystère ? Le décalage d’époque ne nous interdit-il pas de revenir à sainte Odile autrement qu’en historien critique ?
Si cette double mort nous déconcerte, si cette double naissance nous indiffère, c’est que nous avons été conduits à douter de tout sauf, bien entendu, des mythes modernes.
Celui du Progrès, par exemple. Nous pourrions penser aussi au mythe, assurément très répandu, de l’homme délivré du Mystère, livré à lui-même, ayant laissé les dieux dans une oubliette de l’histoire.
Le pire est que cet homme-là est content de lui-même malgré les évidences d’un échec radical. Ces « avancées » censées être un progrès ont conduit nos jeunes générations au milieu d’un monde engorgé de terreurs, d’une nature dévastée de pollutions, d’un avenir obscurci des dérives technologiques.
Ajoutons à cela une vie spirituelle anémiée, une ouverture aux autres confinée à des réseaux sociaux (risqués comme des coupe-gorges avec leurs brigands), de nouvelles formes d’épidémies (psychiques, entre autres), des menaces de fractures sociales, voire nationales, et, pour finir, le sentiment de vertige devant des perspectives démographiques inédites (10 milliards d’hommes sur terre en 2050).
Nous sommes donc en droit de poser une question qui retourne la précédente sur l’actualité de sainte Odile : sommes-nous tellement plus intelligents qu’à l’époque d’Odile qu’on puisse se passer de Dieu et de ses dons ?
L’analyse partagée ici est volontairement exagérée. Elle se veut sombre par souci de justice : je voulais regarder notre monde actuel à la façon de ceux qui évoquent les ténèbres de ce Haut Moyen-âge dans lequel vécut sainte Odile, monde prétendument mélangé de brutalité, d’obscurantisme et de dévotions douteuses.
Il n’est guère difficile de plaquer cette grille de lecture sur le monde contemporain et de le voir aussi anxiogène et aussi inexplicable que celui de sainte Odile. Et il n’est pas moins traversé de dévotions religieuses.
Les dieux ont changé de nom et de temple mais ils offrent les mêmes assurances que ceux du paganisme antique : à notre taille et à notre image, ils nous consolent de nos limites humaines en les outrepassant eux-mêmes.
Ils nous réconfortent de vivre dans un monde au futur incertain. Mais ils ne nous donnent pas de vivre « autrement », d’une vie plus mûre parce que plus ouverte à l’infini, plus humaine parce que plus spirituelle.
Ils n’offrent pas à l’homme une vie nouvelle, fruit d’un saut d’humanité réalisé par un don qui la glorifie tout entière, « la grâce ».
Si nous sommes sages, nous rejetterons les prophètes de malheur qui nous accablent, à chaque génération, par des annonces de la fin du monde.
L’homme survivra encore longtemps. Il est même probable que nous ne sommes qu’à l’aube de l’humanité plutôt qu’à son crépuscule.
Mais, inversement, ne soyons pas crédules au point d’exalter notre époque actuelle parce que c’est la nôtre et parce que nous sommes grisés sous l’emprise de l’ivresse technologique. La tournure d’esprit et la joie du cœur ne dépendent pas d’une technologie.
Elles proviennent d’un humanisme centré sur l’amour vécu avec le Cosmos, avec nous-mêmes, avec Dieu et avec l’autre.
Tout autant qu’Odile et ses contemporains, nous avons besoin d’une grandeur et d’une plénitude venues d’ailleurs.