Mardi 26 novembre 2019, Mgr Dominique Blanchet, Vice-Président de la Conférence des évêques de France et Mme Oranne de Mautort, directrice adjointe du Service national Famille et Société chargée du pôle Famille étaient invités par la Délégation aux Droits des femmes du Sénat, dans le cadre du « Grenelle des violences conjugales », à participer à une table ronde sur les violences conjugales associant la conférence des représentants des cultes et des représentants des courants philosophiques.
Voici leurs contributions:
Intervention Mgr Dominique Blanchet, évêque de Belfort-Montbéliard
Madame la Présidente,
Mesdames les sénatrices, Monsieur le sénateur,
C’est avec un grand intérêt que la Conférence des évêques de France a souhaité répondre à votre invitation pour cette audition. Comme vous nous l’indiquez, ce fléau concerne l’ensemble de la société et il est absolument nécessaire que chacun prenne sa part pour l’éradiquer. Cela a été l’occasion pour nous de nous interroger sur notre implication face aux violences conjugales.
Il y a vingt ans l’Action Catholique des Femmes avait fait un important recueil de la parole de plus de 1400 femmes, l’une d’entre elles témoignait :
« Ayant été battue pendant 8 ans, ce que je me reproche encore aujourd’hui c’est d’avoir accepté la première gifle. Cette violence a duré 8 ans et pendant ce temps personne ne m’a aidée »[1].
Notre propos s’énoncera en trois parties :
1- L’implication ancienne de l’Eglise catholique face à ce fléau.
2- La perception de la violence au sein de l’union conjugale.
3- Son engagement actuel et quelques lieux où nous pouvons et devons agir ensemble. Ce point sera détaillé par Mme Oranne de MAUTORT.
1. L’implication ancienne de l’Eglise Catholique face à ce fléau
Les congrégations religieuses sont l’expression la plus évidente de l’implication de l’Église catholique depuis plusieurs siècles. L’attention aux plus pauvres a été à l’origine de nombreuses vies consacrées à leurs côtés. Devant la radicale vulnérabilité des femmes violentées dans la rue, fuyant leur foyer en raison des violences conjugales, ou celles qui refusaient un mariage forcé, ou devant l’analphabétisation des jeunes filles, d’autres femmes se sont associées en raison de leur foi. Cela a donné naissance à des congrégations religieuses qui se sont largement développées dans le monde. Je peux citer pour exemple la congrégation Notre Dame de Charité du Bon Pasteur[2], fondée au 19ème siècle à Angers et qui se présente avec ces mots sur son site internet : « La mission poursuivie, depuis St Jean Eudes et Ste Marie-Euphrasie nos fondateurs, est d’aider les femmes bafouées dans leur dignité à se reconstruire dans tous les domaines et trouver leur place dans la société. En s’appuyant sur une spiritualité et des valeurs communes ». C’est une congrégation qui ouvre encore aujourd’hui, en partenariat avec les collectivités publiques, des places d’accueil pour des femmes soumises aux violences de toutes sortes.
Ces congrégations et des mouvements de femmes catholiques comme l’Action Catholique des Femmes, ont éveillé la sensibilité de l’Église catholique au fléau des violences envers les femmes. Plusieurs paroles officielles ont été prononcées. Parmi celles-ci, la Commission sociale des évêques de France, dans une publication de 2003 intitulée : « Les violences envers les femmes », interrogeait : « Jusqu’à quand notre société supportera-telle ces innombrables actes de violence ? Jusqu’à quand ces victimes seront-elles abandonnées à leur souffrance, réduites au silence, spoliées dans leur désir de vivre ? »[3]. Une interrogation malheureusement toujours d’actualité.
2. La perception de la violence au sein de l’union conjugale
Notre propos d’aujourd’hui évoque spécifiquement la violence faite aux femmes dans le cadre conjugal. Je dois ici mentionner comment est perçue la violence au sein du couple dans le contexte catholique. Elle a bien sûr toujours été bannie par l’Église mais sans doute a-t-elle été trop souvent tolérée et tue par des femmes qui ont désiré « sauver leur mariage ». Le mariage célébré dans l’Église catholique est indissoluble, sur la base d’un engagement libre et volontaire des conjoints. Cette perspective est une réelle force pour dépasser les inévitables conflits. Elle peut aussi être un piège lorsque la violence n’y est pas dénoncée.
Pour que la violence conjugale puisse être clairement dénoncée, et jamais couverte, les textes magistériels sont explicites. Le pape François a redonné en 2016 des paroles claires dans l’exhortation qui fait référence aujourd’hui sur la question du mariage et de la famille. Il réaffirme que la séparation en cas de violence envers le conjoint et/ou les enfants peut devenir une « nécessité morale »[4]. En parlant de nécessité morale de séparation, ce texte va plus loin que la « légitimité » de la séparation évoquée par le code de Droit canon de 1983 (CIC-1153).
Fort de ce cadre doctrinal sans équivoque, nous percevons bien qu’il nous faut continuer à nous engager résolument dans la lutte contre le fléau des violences conjugales. Nous pouvons le faire en partant d’abord des lieux où nous sommes présents.
Intervention de Madame Oranne de Mautort, directrice adjointe du Service national famille et société
3. Engagements actuels
Comme vient de le rappeler Mgr Dominique Blanchet, la violence envers les femmes est dénoncée sans ambiguïté par l’Eglise catholique.
La dénonciation si claire soit-elle ne suffit pas, nous le savons. Nous sommes invités collectivement et personnellement à l’action.
Pour ce qui nous concerne l’Église catholique, quatre points peuvent être soulignés.
a. Connaître les phénomènes
Nous devons continuer à repérer et nommer les différentes formes de violence – physique, psychologique, sexuelle, économique, administrative. Nos églises, nos aumôneries d’hôpitaux, nos mouvements et communautés sont des lieux où beaucoup de personnes viennent chercher une écoute. Aujourd’hui, il nous faut toujours davantage écouter les personnes victimes de violences conjugales pour mieux cerner leurs difficultés à parler, à porter plainte, à demander de l’aide à un tiers. Il nous faut également comprendre comment les notions d’emprise et d’abus de pouvoir jouent dans ces situations.
b. Éduquer et prévenir auprès d’un large public
Deux exemples pour cela :
- L’éducation aux questions de sexualité, de relations, d’affectivité, qui est une obligation scolaire.
L’association CLER Amour et famille, qui est un mouvement de l’Église catholique agréé par l’éducation nationale, forme des éducateurs et assure des interventions en milieu scolaire. Les animateurs interviennent à partir des questions des jeunes, et relèvent que ceux-ci ne parlent pas spontanément de violence en famille. La violence semble être un fait et non quelque chose à questionner. Ce silence est significatif, la parole n’est pas libérée sur le sujet, le tabou demeure. Ces mêmes animateurs soulignent plusieurs leviers de prévention : l’estime de soi, le respect de soi-même et des autres, la question du consentement, l’égalité entre filles et garçons, la mise en mot des émotions. Il faut du temps pour ce travail. - La formation des couples aux enjeux de la vie conjugale.
Les catholiques préparent chaque année de nombreux couples au mariage : 50 000 environ. L’objectif est de permettre aux couples de mieux se connaître pour mieux s’aimer, en soulignant le piège de l’idéalisation de la vie amoureuse. Les animateurs soulignent l’impératif de la communication, le refus absolu de la violence y compris sexuelle : pas de relations sexuelles sans consentement.
c. Former et mobiliser les personnes en responsabilité
Pour prévenir, accompagner, soutenir, il nous faut relayer encore plus largement le 3919, les lieux ressources, les obligations juridiques, les possibilités thérapeutiques. Les catholiques qui sont souvent en situation d’écoute sont sans doute comme tous les Français : un peu démunis devant les actions à mener en cas de violence.
Il nous faut former sérieusement les éducateurs, les prêtres, les conseillers conjugaux et familiaux qui interviennent dans le cadre ecclésial. Deux exemples : la formation des conseillers conjugaux et familiaux s’étale sur 3 ans, avec des modules théoriques et pratiques, dont des modules spécifiques sur la violence intra familiale ; une journée de sensibilisation est en projet dans le diocèse de Strasbourg.
d. Soutenir les personnes victimes
Il y a l’urgence : bien accueillir et écouter les victimes ; les sécuriser pour le logement ; prendre des mesures matérielles et financières ; organiser la responsabilité parentale ; les soigner. Autant d’aspects qui sont portés pour une petite part par l’Église, citons les résidences sociales des Apprentis d’Auteuil à Marseille et à Chartres.
Il s’agit aussi d’inscrire leur reconstruction dans la durée, des groupes de parole y contribuent, comme les groupes de personnes divorcées qui existent dans de nombreux diocèses.
Pour conclure, redonnons la parole à une femme victime. Écouter ses mots c’est souligner le courage de ces femmes et notre devoir d’agir : « Malgré tout, avec le temps, j’ai retrouvé ma dignité. Je me bats sans cesse. Je veux réussir ma vie. Mais j’ai toujours besoin d’être soutenue et écoutée »[5].
Je vous remercie.
[1] BEAUMONT et alii, Les violences faites aux femmes. Briser le silence, Paris, ACGF, 2000. p.48.
[2] https://www.bonpasteur.com/
[3] COMMISSION SOCIALE DES ÉVÊQUES DE FRANCE, Les violences envers les femmes, Paris, Bayard/Fleurus-Mame/Cerf, 2003, p.14.
[4] « Il y a des cas où la séparation est inévitable. Parfois, elle peut devenir moralement nécessaire, lorsque justement, il s’agit de soustraire le conjoint le plus faible, ou les enfants en bas âge, aux blessures les plus graves causées par l’abus et par la violence, par l’avilissement et par l’exploitation, par l’extranéité et par l’indifférence ». (Pape François – la joie de l’amour -N°241)
[5] BEAUMONT et alii, Les violences faites aux femmes. Briser le silence, Paris, ACGF, 2000, p. 124.