Analyse lue dans Le Bulletin d’André Noël :
Le 9 novembre la Conférence des évêques de France, réunie à Lourdes, a décidé le versement par l’Eglise d’une indemnisation des victimes d’abus sexuels commis par des prêtres. Il s’agirait d’une somme forfaitaire identique pour toutes les victimes. Que faut-il en penser ? C’est pour le moins une décision ambiguë et financièrement téméraire. Pour ce qui est des cas, minoritaires, dont la justice est saisie, c’est évidemment aux tribunaux civils de décider des dommages et intérêts ou du pretium doloris.
Dans ces cas-là, c’est à l’auteur des faits d’en assumer les conséquences financières et non pas à l’Eglise tout entière qui n’est pas responsable des crimes des prêtres, quels qu’ils soient, pas plus d’ailleurs que des fidèles. Néanmoins, les victimes de ces prêtres-là pourront également bénéficier de cette indemnité, en plus de ce que les tribunaux civils leur auront accordé. C’est pour cela que la mesure décidée risque de coûter cher. Or, aucun chiffrage n’est annoncé pas plus que le mode précis de financement. Le montant alloué sera proposé aux évêques lors de leur prochaine rencontre à Lourdes en avril prochain, tout comme le fonds de dotation spécifique, qui permettra de verser le forfait. Le versement interviendra donc à la suite de cette rencontre. Ce devrait être de l’ordre de plusieurs milliers d’euros pour chaque personne concernée, murmurait-on à Lourdes.
Qui va payer ? Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort a déclaré que le fonds de dotation sera alimenté par un financement « auprès des évêques, des prêtres coupables quand ils sont vivants (on ne fera pas payer les morts ! NDLR) et des fidèles qui voudront bien venir nous aider. » Remarquons que les prêtres coupables, ceux dont les crimes ne sont pas prescrits, devront payer deux fois : les dommages et intérêts décidés par la justice civile et les fonds accordés par les évêques de France. Quant aux fidèles, ils sont sollicités en permanence, pour le Denier du culte, qui est une obligation canonique, mais aussi par les Chantiers du cardinal, le Denier de Saint-Pierre, le Secours catholique, les conférences saint Vincent de Paul, etc. Cela finit par faire beaucoup d’autant que ce sont presque toujours les mêmes qui donnent leur obole. Les catholiques qui versent leur denier du culte le font pour pourvoir à l’entretien des prêtres et des séminaristes qui veulent se consacrer au bien de leurs fidèles et il faudrait, en plus, qu’ils passent à la caisse pour pallier les conséquences des crimes de prêtres ayant abusé sexuellement de jeunes ! Les chrétiens doivent être solidaires de leurs prêtres dans la sainteté et non dans le péché.
Et pourquoi cette indemnisation ? Ce n’est « ni une indemnisation qui dépend de la justice de notre pays ou de la justice canonique, ni une réparation », a expliqué Mgr Eric de Moulins-Beaufort. Qu’est-ce alors ? Il s’agirait de manifester une « reconnaissance de la souffrance » mais aussi d’expier le « silence, la négligence, l’indifférence, l’absence de réaction, de mauvaises décisions ou des dysfonctionnements au sein de l’Eglise. » On semble négliger le fait que les principaux responsables de cette souffrance, ce sont les ecclésiastiques qui ont commis ces abus et non pas l’Eglise dans son ensemble ; la responsabilité de cette dernière n’est que seconde si elle a fait preuve de négligence, dans la mesure toutefois où elle avait connaissance de faits soigneusement dissimulés, bien sûr, par ceux qui en étaient à l’origine.
Pourquoi cela doit-il se manifester par une somme d’argent ? Le flot de mea culpa de l’Eglise à Rome, en France, aux USA et ailleurs ne suffisent-ils pas à montrer aux victimes que l’on tient compte de ce qu’elles ont subi ? Au demeurant, dans la plupart des cas prescrits, ces abus remontent à quelques dizaines d’années, parfois cinquante ! Certes, le temps n’y fait rien, un crime reste un crime, mais on peut supposer que la plupart des victimes ont surmonté l’épreuve, même si rien ne peut s’effacer totalement. Une indemnité, intervenant si tardivement, ne servira pas à grand-chose, à notre avis. Elle sera identique pour chacun sans distinguer ceux qui ont été victimes d’attouchements –évidemment condamnables – et ceux qui ont été violés, ce qui est infiniment plus grave.
Les évêques envisagent, sur un autre plan, un « geste liturgique ». Cela pourrait être une prière à l’attention des victimes, par exemple lors du Vendredi Saint, ou la possibilité de déposer des « récits de vie » (?) dans un « lieu mémoriel » (?), selon Mgr Eric de Moulins-Beaufort. Comme pour se rattraper de n’en avoir pas fait assez, les évêques français, là, n’en font-ils pas un peu trop ?
En outre, il est pour le moins étonnant que l’épiscopat n’ait pas attendu la conclusion de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) crée par ce même épiscopat et présidée par un haut magistrat, Jean-Marc Sauvé. Il doit, après enquête et réflexions, donner ses préconisations en 2021.
Les évêques n’ont pas attendu pour appliquer les leurs. A quoi bon alors cette commission ?