Un lecteur réagit à ce texte :
A. Premièrement, voici un texte intéressant, même si, évidemment, il n’est pas possible de souscrire à une partie des appréciations qu’il comporte :
B. Deuxièmement, voici quelques compléments et précisions, car il est certain que la notion de remplacement ou de transformation de la théologie catholique par l’herméneutique postmoderne n’est pas immédiatement compréhensible, pour qui ne connaît pas l’histoire de la philosophie européenne contemporaine, l’histoire de la théologie catholique fondamentale, l’histoire des relations entre l’une et l’autre, depuis la fin du XIX° siècle, mais aussi les fondements et le contenu de la production théologique actuelle, telle qu’elle se réalise chez des dominicains (cf. la RSPT) et des jésuites (cf. les RSR).
I.
C. Le mieux, pour faire comprendre le démantèlement d’une partie des fondements et la dénaturation d’une partie du contenu de la théologie catholique, telle qu’elle a été comprise, notamment du milieu du XVI° siècle au milieu du XX° siècle, est de raisonner en parlant de trois vagues successives :
– premièrement, la vague moderniste au sens strict du terme, vague qui s’est concrétisée dans les années 1890 et les années 1900, et face à laquelle la hiérarchie, l’institution, ont réagi à 100 %, avec parfois, sans doute, beaucoup plus de rudesse que de sagesse, mais aussi avec de très bonnes raisons ;
– deuxièmement, la vague néo-moderniste, vague qui s’est développée du début des années 1930 à la fin des années 1960, notamment avec Chenu, Congar, Rahner, Teilhard, Haring, Murray, mais aussi avec Balthasar, Daniélou, de Lubac, Bouillard, Bouyer ; c’est cette vague néo-moderniste qui l’a emporté, au moment du Concile et au moyen d’au moins une partie du Concile, et c’est au sein de la même vague néo-moderniste qu’une “bipolarisation” s’est produite, dès le milieu du Concile, entre les “réformateurs – rénovateurs” (de Lubac, etc.) et les “réformateurs – transformateurs” (Congar, Rahner) ;
– troisièmement, la vague postmoderne, vague qui se manifeste depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970, et qui ne s’est pas contentée d’aller plus loin que la composante “rénovatrice” de la vague néo-moderniste, mais qui a consenti à commencer, puis à continuer à aller plus loin que la composante “transformatrice” de la vague néo-moderniste ; en ce sens, il est possible de dire qu’Yves Congar a été “dépassé”, notamment par Claude Geffré, et que Karl Rahner a été “dépassé”, notamment par Joseph Moingt, sur la route de la postmodernisation de la théologie catholique.
D. Pourquoi est-il aussi important, pour ces auteurs, que la théologie catholique soit remplacée ou, en tout cas, transformée par l’herméneutique postmoderne, c’est-à-dire, pour aller vite, par un ensemble d’interprétations, à caractère notamment adogmatique et oecuméniste, à l’intérieur duquel
- la conception d’après laquelle la foi catholique, en tant que foi théologale, est l’expression de la vérité objective, dans le domaine de la religion,
- la conception selon laquelle la loi naturelle, en tant que loi fondamentale, est l’expression de la vérité objective, dans le domaine de la morale,
- la distinction ad intra entre ce qui est hérétique et ce qui est orthodoxe, ainsi que la distinction ad extra entre ce qui est erroné et ce qui est révélé,
- la résistance catholique, face au consensualisme, au confusionnisme, au périphérisme, au perspectivisme, au relativisme, au subjectivisme, etc.,
n’ont presque plus aucune signification normative ad intra et distinctive ad extra, sous l’angle doctrinal ou “informatif” et sur le plan pastoral ou “opératif” ?
E. Ici, il faut comprendre que, pour ces auteurs, l’Eglise catholique peut et doit se mettre non seulement à l’écoute, mais aussi à l’école de ce qu’ils considèrent comme étant “ce qu’il y a de meilleur” (c’est-à-dire de plus propice à la poursuite de “l’adaptation” ou de “l’évolution” du Magistère de l’Eglise, et de plus propice à l’utilisation ou à la valorisation, dans la pastorale de l’Eglise), et qui est présent et actif à l’intérieur de la production philosophique non chrétienne et à l’intérieur de la production théologique chrétienne non catholique. Pour les mêmes auteurs, cette attitude est authentiquement chrétienne.
F. C’est à cause de ce postulat, du rayonnement de ce postulat, de la soumission à ce postulat, que ce qu’il est convenu d’appeler “la crise de l’Eglise” ne risque pas de se terminer, ou risque fort de se poursuivre, puisque, pour ces théologiens catholiques, devenus avant tout des herméneutes postmodernes, et pour leurs continuateurs ou pour leurs imitateurs, la conciliation entre la conception catholique de l’Evangile du Ressuscité et telle conception dominante, même non chrétienne, de l’évolution des mentalités, voire la conformation du catholicisme à la postmodernité, est d’inspiration chrétienne.
G. Beaucoup de catholiques qualifiables de “conciliaires conservateurs” ont longtemps cru, hier, et certains d’entre eux croient, encore aujourd’hui, que Jean-Paul II a incarné et impulsé, ou amorcé puis accentué une certaine forme de recentrage et un certain type de consolidation, face à la dynamique de décatholicisation (de dédogmatisation, de dénormativation, de désobjectivation, au sein du catholicisme) et de postmodernisation (de relativisation et de subjectivisation, au sein du catholicisme) que nous subissons, en réalité, encore plus depuis les années 1980-1990 que depuis les années 1960-1970.
H. Or, s’il y a bien eu une tentative wojtylienne de recatholicisation du regard, du discours et des actes, dans les domaines de la foi, de la morale, de la liturgie et des sacrements, il n’y a pas eu de tentative wojtylienne de recatholicisation du regard, du discours et des actes vers les confessions non catholiques, et surtout vers les religions non chrétiennes, sauf contre quelques théologiens, dont Jacques Dupuis, et sauf dans quelques documents, dont Dominus Iesus.
I. Ici, il est absolument nécessaire de bien connaître et de bien comprendre les origines intellectuelles de la philosophie wojtylienne de la religion et de la théologie wojtylienne relative aux religions non chrétiennes, pour bien connaître et bien comprendre le caractère composite du positionnement “catholico-postmoderne” de Karol Wojtyla / Jean-Paul II, face aux religions monothéistes non chrétiennes et face aux traditions croyantes non chrétiennes.
J. Globalement, nous avons été en présence d’un pape qui a pris appui, selon ses dires et selon ceux des meilleurs spécialistes des origines de sa pensée, sur des idées proches de celles, sinon telles que celles de Blondel, Scheler, Buber, Marcel, Jaspers, Eliade, Gadamer, Levinas, pour pouvoir aller en direction de ses propres analyses, relatives aux religions non chrétiennes, et de ses propres appréciations, favorables aux religions non chrétiennes.
K. Or, comment des théologiens et des évêques philo-wojtyliens ou post-wojtyliens, même très intelligents et bien intentionnés, pourraient-ils, sauraient-ils et voudraient-ils dire NON et STOP à la poursuite de la décatholicisation ou de la postmodernisation du catholicisme, et à la poursuite du remplacement ou de la transformation de la théologie catholique par l’herméneutique postmoderne, alors que, précisément, ils sont philo-wojtyliens ou post-wojtyliens, donc plus partisans qu’opposés à la décatholicisation et à la postmodernisation du regard, du discours et des actes, dans au moins un domaine : le dialogue interreligieux ?
L. Joseph Ratzinger / Benoît XVI avait parfaitement conscience de ce problème, mais il n’a pas osé, ou pas voulu, y remédier avec énergie et fermeté, et surtout, il faut bien le dire, dans ce domaine comme dans d’autres, une fois que le dentifrice a été sorti du tube, il est des plus “difficile” de l’y faire rentrer…
Certes, il est tout à fait possible de rappeler que Benoît XVI a vraiment fait en sorte qu’Assise 2011 ne ressemble pas tout à fait à Assise 1986, à Assise 1993, et à Assise 2002, mais il est tout aussi possible de rappeler qu’Assise 2011 n’était pas, a priori, indispensable à la vie de l’Eglise…
I I.
M. Ainsi, après cent trente ans et trois vagues, nous en sommes arrivés aujourd’hui à un néo-catholicisme post-conciliaire dans lequel, il est important d’insister sur ce point, bien des fondements et bien des contenus de la théologie catholique, telle qu’elle a été comprise, notamment à partir du milieu du XVI° siècle, ont été remplacés ou transformés par bien des modes d’analyse et d’appréciation qui relèvent fréquemment, sinon constamment, de l’herméneutique postmoderne, celle-ci étant des plus propice à l’immanentisation de la religion chrétienne et à l’idéalisation des religions non chrétiennes.
N. Face à cela, certains montent sur leurs grands chevaux et parlent d’hommes d’Eglise qui se comportent comme des “hérétiques”, quand ils s’expriment vers l’intérieur de l’Eglise catholique, et qui se comportent comme des “apostats”, quand ils s’expriment en direction des religions non chrétiennes, mais nous ne sommes pas en présence de clercs formellement “hérétiques”, et nous ne sommes pas davantage en présence de clercs réellement “apostats”, d’autant plus que, quand il y a des hétérodoxies, celles-ci se manifestent avant tout par des accommodements, des assouplissements, des amputations, des déformations, des dissimulations, des minimisations, des évacuations, des évictions, des occultations et des omissions, “dialogales” ou “pastorales”.
O. Disons plutôt que nous sommes souvent en présence d’hommes d’Eglise
– qui sont devenus des clercs catholiques “post-orthodoxes”, à l’intérieur du registre de discours auquel ils recourent, quand ils s’expriment vers l’intérieur de l’Eglise catholique, en ce qu’ils ne distinguent presque plus jamais entre ce qui est hérétique et ce qui orthodoxe,
et
– qui sont devenus des clercs catholiques “post-véritistes”, à l’intérieur du registre de discours auquel ils souscrivent, quand ils s’expriment en direction des religions non chrétiennes, en ce qu’ils ne distinguent presque plus jamais entre ce qui est erroné et ce qui est révélé.
P. Par ailleurs, dans le monde dans lequel nous vivons, surtout depuis le début du XXI° siècle, il y a des responsables publics qui sont post-véritistes, dans le domaine de la politique, d’une manière controversiste et populiste, mais il y a aussi des responsables publics qui sont post-véritistes, dans le domaine de la religion, d’une manière consensualiste et iréniste ; or, ici, il faut dire quelques mots, non plus sur le volet intellectuel, mais sur le volet relationnel du néo-catholicisme post-conciliaire, puisque, encore plus depuis 1985 et, par exemple, le discours de Jean-Paul II à Casablanca, que depuis 1965 et le discours de Paul VI, à la fin du Concile, nous sommes en présence de clercs qui considèrent en substance qu’il n’est pas authentiquement chrétien, ou qu’il n’est pas d’inspiration chrétienne, de s’exposer au risque de déplaire aux croyants non chrétiens, ou de déranger les croyants non chrétiens, ou encore de froisser ou de gêner les croyants non chrétiens, dans le cadre d’une prise de position, notamment dans le domaine de la religion.
Q. Ce qui précède constitue une tentative de clarification en vue d’une compréhension de la notion de remplacement ou de transformation de la théologie catholique, philo-tridentine ou post-tridentine, par un ensemble de modes de raisonnement qui découlent aujourd’hui de l’herméneutique postmoderne.
R. Il n’y a, dans ce qui précède, pas la moindre idéalisation rétrospective de quoi que ce soit de passé, ni la moindre diabolisation réactionnaire de quoi que ce soit de présent, mais il y a uniquement une tentative d’explicitation de toute une évolution et d’une assez grande partie de la situation actuelle.
S. Ce qui précède
– ne veut pas dire que toute la production théologique francophone contemporaine est soumise à l’herméneutique postmoderne, les dominicains de Fribourg et de Nova et Vetera, ainsi que ceux de la Revue thomiste et de Toulouse étant, encore aujourd’hui, plus catholiques que postmodernes,
mais
– veut dire qu’une grande partie de la production théologique francophone contemporaine, notamment en Belgique et en France, chez les dominicains et chez les jésuites, est caractérisée par une très grande affiliation ou par une très grande proximité, globalement favorable à l’herméneutique postmoderne.
T. Ainsi, en théologie comme dans d’autres domaines, il y a des catholiques qui veulent que le catholicisme soit et reste lui-même, au point d’être et de rester, notamment, une contre-culture, face à l’esprit du monde et face à l’esprit du temps, et il y a des catholiques qui ne veulent pas que le catholicisme soit et reste lui-même, et qui veulent que le catholicisme continue à s’adapter, à évoluer, à innover, à s’orienter, afin de se concilier avec, voire de se conformer à l’esprit du monde et à l’esprit du temps…
U. La théologie catholique philo-tridentine, ou post-tridentine, n’avait pas que des mérites, ou pas que des qualités, aurait pu être améliorée ou consolidée, et par endroits l’a bien été, mais il a été jugé préférable, presque partout ailleurs, de la ringardiser ou de la stigmatiser, puis de l’éliminer ou de l’éradiquer.
V. Les catholiques ont commencé puis continué à en subir les conséquences, d’une part, et un peu, dès le début de l’avant-Concile, sous Pie XII, d’autre part, et surtout, après le début de l’après-Concile, sous Paul VI, et nous continuons à subir aujourd’hui les effets du reniement de la théologie tridentine.
W. A partir de là, on est en droit, mais aussi en mesure, de se poser la question suivante : en définitive, et fondamentalement, qu’est-il arrivé, d’une part au protestantisme libéral, entre la fin du XVIII° siècle et le début du XX° siècle, d’autre part au catholicisme, avant-hier libéral, hier conciliaire, aujourd’hui inclusif, voire, demain, synodal, entre la fin du XIX° siècle et le début du XXI° siècle ? N’est-il pas arrivé à l’un puis à l’autre à peu près la même chose ?
X. Qu’est-il arrivé, sinon, tout d’abord, la mise en retrait ou en sommeil d’une logique de confrontation à la modernité, puis, ensuite, la mise en avant et en valeur d’une logique de conciliation avec la modernité, et, enfin, la prise en compte et la mise en oeuvre d’une logique de conformation, plus que partielle, avec la modernité, ou, en l’occurrence, dans le cas du néo-catholicisme post-conciliaire, avec la post-modernité, après 1945 et surtout après 1965 ?
Y. Qui ne voit que si cela continue comme aujourd’hui, le catholicisme finira par devenir marginal, ou résiduel, au sein même de l’Eglise, mais qui ne voit aussi que ce catholicisme, souvent jugé “doctrinaire”, “légaliste”, “pélagien”, “pharisien”, “rigide”, “sectaire”, “identitaire”, “DONC” “illégitime”, a le mérite d’essayer d’être réceptif, en présence de la conception catholique, orthodoxe et réaliste, de l’Ecriture, de la Tradition, du Magistère, et d’essayer d’être transmetteur de la foi catholique, de la morale chrétienne, de la liturgie et des sacrements de l’Eglise, en direction des personnes, des familles, des communautés, des fraternités, des instituts, des séminaires, des presbytères, des diocèses qui veulent bien, non sans risques, lui faire bon accueil ?
Z. Qui ne voit, en d’autres termes,
– que nous sommes aujourd’hui en présence d’un risque ou d’une source de “sécession culturelle”, à l’intérieur de l’Eglise, entre une partie des élites qui exercent un pouvoir institutionnel et/ou intellectuel d’une manière “inclusive” ou “synodale”, et une partie des fidèles qui essaient d’être et de rester fidèles,
mais aussi
– que cette “sécession culturelle” comporte peut-être la seule possibilité de continuer à préserver et à propager tout ce qui peut et qui doit l’être, en vue de l’avenir de l’Eglise, et non en vue de telle conception dominante, philo-postmoderne, “post-orthodoxe” et “post-véritiste”, de “l’à-venir” de l’Eglise ?