Le Père Gilles Annequin, dernier curé de Saint-Germain L’Auxerrois, déplore dans une tribune publiée sur Valeurs Actuelles la délocalisation des activités de la cathédrale de Paris qui entraîne la suppression de sa paroisse :
A l’heure où il faut quitter ce qui nous a été confié, on ne peut que le remettre entre les mains de la Providence. Nécessité faisant loi, il était nécessaire d’envisager un déplacement des activités de la cathédrale dans une église voisine, et le choix a été fait de Saint-Germain l’Auxerrois. Quelle que soit la paroisse choisie, cela représentait, hélas, de grands bouleversements, dont certains difficiles à vivre pour les communautés présentes et qui s’y étaient épanouies. Saint-Germain l’Auxerrois était une vraie paroisse, paroisse territoriale pour ceux qui habitent le quartier – même si les bureaux prennent le pas sur les logements -, mais aussi paroisse d’élection.
Si la liturgie a été l’occasion d’une véritable guerre de religion dans l’Eglise de France, qui perdure dans maints endroits, à Saint-Germain l’Auxerrois, les différentes sensibilités avaient trouvé leur place et chacun pouvait célébrer sa foi et prier selon son cœur : en latin selon la forme extraordinaire, en français selon la forme ordinaire, en grégorien, en espagnol avec la dynamique et joyeuse communauté latino-américaine. Les prêtres se croisaient, certains en soutane, d’autres sans le moindre signe distinctif, des Français, des étrangers, nombreux, des visiteurs aussi, touchés par la beauté des lieux, et chacun respectait l’autre, parce qu’une vraie liberté, une vraie harmonie régnaient. Le Centre Saint-Paul, la Fraternité Saint-Pierre… se sentaient accueillis.
L’expérience spirituelle tentée attirait les jeunes, dont de nombreux couples, qui ne venaient pas seulement à la messe mais découvraient ou redécouvraient le sacrement de pénitence : combien de fois m’a-t-on fait la demande d’une confession avant ou après la célébration ! Dans la fréquence de ce sacrement est le cœur battant d’une paroisse et l’engagement profond, l’engagement intérieur de chrétiens fiers de la vie nouvelle qui bat à un rythme plus intense dans leur existence fortifiée. L’enthousiasme et l’éclat des chorales faisaient vraiment plaisir à entendre.
Saint-Germain l’Auxerrois, c’est aussi la “paroisse royale du Louvre”. Depuis plus de cent ans on y célèbre chaque année un office à la mémoire du roi Louis XVI et des martyrs de la Révolution, en lien avec L’Œillet blanc et la famille d’Orléans. C’est un honneur de pouvoir célébrer cette messe tout à fait particulière qui rattache cette église à l’histoire de France et à ses vicissitudes.
Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns.
Ainsi, cette très ancienne église, fondée en 542, la première à Paris après Notre-Dame, qui fut la paroisse des rois de France, celle des “artistes des beaux-arts”, était-elle devenue la figure de cette Eglise plurielle, née des réformes de Vatican II… « Il faut savoir se laisser enrichir par toutes les formes liturgiques latines ou orientales qui privilégient le silence. Sans cet esprit contemplatif, la liturgie demeurera une occasion de déchirements haineux et d’affrontements idéologiques au lieu d’être le lieu de notre unité et de notre communion dans le Seigneur. Il est grand temps d’entrer dans ce silence liturgique, tourné vers le Seigneur, que le concile a voulu restaurer. » (Cardinal Sarah, la Force du silence, octobre 2016.)
Mon rôle de pasteur en tant que curé cesse et j’ai été très heureux de pouvoir permettre ce lien communautaire et paroissial, d’établir une vraie fraternité dans le sens de l’Eglise. Les fruits de ce ministère sont la joie d’avoir pu accompagner ceux qui m’ont été confiés, d’avoir reçu autant que possible les nombreuses demandes et ouvert largement la paroisse à la vie diocésaine et au monde extérieur. Depuis mon ordination, la phrase de saint Paul a été le fil conducteur de mon ministère : « Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. » (Omnibus omnia factus sum, ut omnes facerem salvos – 1Co 9, 22.)
C’est une consolation de savoir que notre archevêque va pouvoir trouver un lieu, même temporaire, dans l’attente du moment où la cathédrale reprendra vie. Mais comment cacher que les paroissiens sont profondément blessés par la nouvelle installation, qui leur a été imposée ? Ils ont été traités en quantité négligeable, les communautés ont été dispersées, la vie paroissiale et l’harmonie ecclésiale réduites à néant. Cette épreuve diocésaine que représente l’incendie de la cathédrale devrait nous rendre plus humbles et être source d’une remise en cause de nos attitudes, de notre rapport aux autres, de l’exercice de la charité entre les prêtres, de la solidarité qui donne sens à notre humanité.
A notre époque où la pratique religieuse est en baisse, où les vocations se raréfient, il est plus que temps d’accueillir largement, de se laisser enrichir par la diversité d’expression de la foi et de pratiquer le sens réel de la charité qu’est la tolérance.
Dans mon ministère précédent, j’ai été vicaire épiscopal pour la pastorale de la santé et aumônier d’hôpital pendant plus de quinze ans. Le contact avec la souffrance physique et morale, au cœur des hôpitaux et dans la vie pastorale, m’a montré combien souvent au cœur de l’épreuve renaît l’espérance et combien l’homme revient à l’essentiel.
Bien avant ce funeste incendie, un projet en cohérence avec la paroisse avait été décidé : celui d’installer à Saint-Germain l’Auxerrois un lieu de visibilité pour le séminaire de Paris et l’Œuvre des vocations grâce à la présence manifeste au centre de la capitale de ces jeunes qui se préparent au sacerdoce.
A notre époque où la pratique religieuse est en baisse, où les vocations se raréfient, il est plus que temps d’accueillir largement, de se laisser enrichir par la diversité d’expression de la foi et de pratiquer le sens réel de la charité qu’est la tolérance.