Aumônier des parlementaires de 2012 à 2018, le père Laurent Stalla-Bourdillon est directeur du Service pour les professionnels de l’Information. Il publique une tribune dans Le Figaro à propos de la loi de bioéthique :
[…] Le pouvoir spirituel n’est pas un «pouvoir», c’est un conseil chargé d’éclairer les personnes, en vue d’un choix en conscience, libre et raisonnable. Le pouvoir temporel doit seulement administrer les choses. Il s’est produit depuis quelques décennies une inquiétante confusion: l’autorité temporelle se prend pour l’autorité spirituelle, «un sacré séculier». Ainsi ce qui devrait rester conseil devient une injonction et l’administration masque son impuissance en faisant la morale au peuple. Rien n’est plus dangereux que de vouloir sacraliser le pouvoir. Les discours politiques se teintent de prétentions moralisantes, se targuant d’agir dans la perspective de plus d’égalité, plus de justice et finalement, de faire le bonheur des gens.
Sous l’effet des vents du matérialisme, la sécularisation de la société a fait migrer l’autorité spirituelle sur les épaules du politique, quand la responsabilité de gouvernement migrait à son tour dans le giron de la finance, elle-même soumise à la technique. c’est qu’il est sain de dénoncer cette funeste confusion. «Penser c’est dire non». Le politique doit administrer et gouverner sans prétendre détenir la vérité du bien. Il voudrait tant aujourd’hui qu’on lui accorde enthousiasme et admiration. À l’aide des philosophes, des théologiens, des penseurs, le pouvoir spirituel des citoyens doit se réveiller pour éprouver la solidité des raisonnements par une critique rationnelle. «Les pouvoirs deviennent fous, si on ne leur résiste pas. On rendra donc service au pouvoir en lui résistant, et d’abord en s’en moquant. Résister n’est pas désobéir» remarquait la regrettée philosophe Florence Khodoss commentant l’enseignement d’Alain, dont elle fut l’élève. «Quand un malheur n’est pas arrivé, on dit qu’il était impossible. Quand il est arrivé, on dit qu’il était inévitable». Face à une telle rhétorique, il faut rappeler avec la sagesse chinoise «que tous les faux biens produisent de vrais maux». La solo-parentalité, c’est-à-dire le fait de devenir l’unique parent d’un enfant, sans aucune relation ni affective, ni sexuelle est un de ces faux biens.
À l’heure où des parlementaires voient leur permanence catalyser les protestations et ressentiments, il est précieux que les hémicycles de l’Assemblée et du Sénat méditent sur l’importante distinction des ordres: «ce qui est dû au pouvoir est de l’ordre de l’obéissance, et ce qui est dû à la raison est de l’ordre du respect. Vouloir que la puissance politique soit en même temps respectée, c’est vouloir confondre les ordres» disait Philippe Patrault commentant la phrase d’Alain, «obéir sans respecter». «C’est l’idée au fond que toute tyrannie s’imposera au nom de la justice, et que les discours politiques ont pour eux le monopole de la justice. La désobéissance s’impose alors comme un devoir moral, la question du respect ne se posant même pas. Le meilleur tyran est toujours celui qui invoque le caractère raisonnable de l’ordre qu’il donne.» Il se fait oublier lorsqu’il obtient une adhésion où s’aliène l’esprit libre.
Comme de trop nombreux états-majors guerriers l’ont montré, préparer la guerre précédente est inutile. La question n’est plus de stopper la dérive vers la marchandisation des corps qu’aggravent de sinistres aspects du projet de loi de bioéthique, mais de sauver ce qui peut l’être encore: la distinction entre les choses et les personnes, la clairvoyance et la logique du peuple en éveillant sa conscience par trop endormie dans l’individualisme. «À grands profits, grands risques» dit encore le proverbe, si bien qu’il faut sérieusement se demander où est ce grand profit pour qu’une société puisse se risquer à ce que des citoyens naissent privés de père?