Dans son homélie d’ordination de nouveaux prêtres à Bayonne, Mgr Marc Aillet a dénoncé :
[…] Mais je veux parler de cette conception erronée du « cléricalisme » qui est distillée sournoisement au sein du peuple chrétien et qui consiste à faire croire que si le prêtre adopte une posture de consacré, de « mis à part », de configuré au Christ pour tenir sa place au sein de l’Eglise, il commettrait un grave abus de pouvoir. Et à force de communiquer en ce sens, se répand dans le peuple chrétien un affaiblissement grave du sens de l’identité sacerdotale. Nul doute que la crise des vocations sacerdotales que nous connaissons aujourd’hui trouve en partie sa source dans cette crise de l’identité du prêtre qui secoue notre Eglise depuis des décennies. D’où ces questions qui se posent de manière récurrente et qui n’étonnent plus personne : pourquoi n’y a-t-il pas de femmes prêtres ? Pourquoi tant souligner la différence entre les prêtres et les laïcs ? Pourquoi insister sur le pouvoir sacré des prêtres ? Pourquoi le prêtre ne pourrait-il pas se marier comme tout le monde ? Autant de questions qui remettent en cause, souvent par ignorance et sans malice, l’identité du prêtre que le Christ a assumée et que l’Eglise n’a jamais cessé d’affirmer. Nos communautés chrétiennes ont en ce sens un besoin urgent d’assainissement et de purification, tant les mentalités sont contaminées.
Parmi les idéologies qui nous colonisent aujourd’hui, on aurait tort de sous-estimer l’influence de la théorie dite du gender qui impose à tous, de manière sournoise, une confusion grave sur l’identité de l’homme et de la femme, devenus interchangeables et soumis au critère totalement subjectif du libre- choix de l’individu. Au risque d’être simpliste, avec cette idéologie, on affirmera même qu’il n’y a pas plus de différence entre les prêtres et les laïcs, qu’il n’y a de différence entre l’homme et la femme !
Au fondement de cette crise d’identité du prêtre, il y a l’effacement de la Métaphysique de l’être. La théologie semble avoir bradé la métaphysique pour se tourner vers l’histoire et finalement vers l’opérationnel. Sans doute l’importance donnée à la métaphysique, pour accueillir l’intemporel de l’éternelle Révélation, avait pu faire oublier que le Logos s’est incarné dans une histoire et qu’il en est résulté une transformation de l’homme et du monde. Mais de là à dénier à la métaphysique son rôle de fondement nécessaire et permanent, pour réduire la foi à une histoire en évolution permanente ou à un engagement pratique dans le monde, il n’y a qu’un pas.
Il est très important de rappeler toutefois, avec le Concile Vatican II, qu’on ne peut pas comprendre l’identité du prêtre, en dehors de cette ligne ontologique-sacramentelle que l’Eglise reçoit de la Révélation et transmet depuis 2000 ans de manière fidèle. C’est ainsi que dans le décret conciliairePresbyterorum Ordinis, sur la vie et le ministère des prêtres, on peut lire : « Le Sacerdoce des prêtres, est conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère spécial, et les configure ainsi au Christ Prêtre pour les rendre capables d’agir in persona Christi Capitis – dans la personne même du Christ Tête » (PO 2). On ne peut pas mieux dire l’identité du prêtre : configuré au Christ prêtre ! C’est le fondement de la différence entre les prêtres et les fidèles laïcs, qui « sont distincts non seulement de degré mais d’essence » (n. 10), selon la formule devenue célèbre de la Constitution dogmatique Lumen Gentium sur le Mystère de l’Eglise.
On comprend aussi pourquoi le prêtre est doté d’un « pouvoir sacré », pouvoir ontologique qui fait de lui un consacré, et l’habilite de l’intérieur à poser des actes qui excèdent sa propre nature et ses limites humaines, comme ceux, inouïs, de consacrer le pain et le vin pour qu’ils deviennent réellement, par l’efficacité même des paroles de Jésus, le Corps et le Sang du Seigneur – et nous ne saurions jamais nous y habituer, nous qui célébrons la messe quotidiennement – ou bien de pardonner les péchés au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. D’où l’onction du Saint-Esprit qui vous sera abondamment communiquée par le sacrement de l’ordre et qui vous atteindra jusqu’à la racine même de votre être, l’élevant au-dessus de lui-même. C’est bien ce que dit la formule de la prière d’ordination qui constitue, avec l’imposition des mains, la forme même du sacrement : « Répands une nouvelle fois au plus profond d’eux-mêmes l’Esprit de sainteté ». Quand vous assumerez votre responsabilité propre d’enseigner avec l’autorité même du Christ, de sanctifier le peuple chrétien par les sacrements et de gouverner la portion du peuple de Dieu qui vous sera confiée, vous serez dans votre rôle : il n’y a aucun abus de pouvoir en cela ! Pourvu que vous viviez ce pouvoir sacré dans la Communion hiérarchique et dans une posture de service. C’est ce à quoi vous serez ordonnés de l’intérieur, par l’onction du Saint- Esprit. Et si vous aurez à appeler des fidèles laïcs à collaborer à votre charge, vous serez premièrement soucieux de les encourager à être avec vous co-responsables de la mission d’annoncer l’Evangile, à travers le caractère spécifique de leur identité chrétienne de baptisés-confirmés insérés dans les réalités du siècle.
On comprend encore pourquoi le prêtre ne peut être qu’un « homme masculin » : configuré au Christ, il devient le signe sacramentel et efficace du Christ Epoux de l’Eglise, qui donne sa vie pour son Epouse. L’Eglise n’a pas le pouvoir de revenir là-dessus, comme l’a rappelé solennellement en son temps le Pape Saint Jean Paul II, au risque de renier le dessein créateur et rédempteur de Dieu lui-même. Dieu qui a créé l’homme à son image, c’est-à-dire homme et femme, s’est fait homme-masculin pour le sauver. Ceci est fondé dans l’être et non dans une contingence purement historique et sujette à évolution.
On aurait tort en ce sens de considérer le « célibat des prêtres » comme un appendice facultatif du Sacerdoce. C’est la forme de vie que le Christ, précisément en sa qualité de prêtre, a assumée, se réservant tout entier dans la continence et la chasteté parfaites pour l’unique oblation de son Corps pour laquelle il a été consacré et envoyé dans le monde par le Père ! Voilà pourquoi le célibat des prêtres est l’expression privilégiée, la manifestation, l’épiphanie par excellence de l’identité du prêtre appelé à être le signe du Christ Epoux de l’Eglise. Et c’est dans la célébration de l’Eucharistie que se comprend le mieux cette exigence fondamentale qui remonte à l’âge apostolique et qui constitue le trésor de l’Eglise latine. Si l’on devait procéder à l’ordination d’hommes mariés, ce qu’à Dieu ne plaise, alors il faudrait, en toute logique, qu’ils s’engagent dans la continence, comme l’atteste la tradition la plus antique de l’Eglise.
On doit encore ajouter que l’identité du prêtre consiste dans son « ordination intrinsèque au Sacrifice du Christ ». Quand la prière d’ordination évoque Jésus que le Père a envoyé dans le monde, elle l’appelle Grand Prêtre et le met d’emblée en relation étroite avec l’offrande du sacrifice : « Par l’Esprit Saint, il s’est offert lui-même à toi comme une victime sans tâche ». L’essence du Sacerdoce de la nouvelle alliance, que vous allez recevoir, c’est de rendre présent, par l’annonce et le ministère sacramentel, le Sacrifice unique du Christ qui sauve le monde. C’est le cœur de votre ministère, c’est l’expression la plus adéquate de votre identité de prêtre. Quand le décret Presbyterorum Ordinis entreprend de définir la nature du presbytérat, il commence par affirmer : le Seigneur a établi « des ministres qui, dans la communauté des chrétiens, seraient investis par l’Ordre du pouvoir sacré d’offrir le Sacrifice et de remettre les péchés, et y exerceraient publiquement pour les hommes au nom du Christ la charge sacerdotale » (PO n. 2). […]