Le cardinal André Vingt-Trois célèbrera une messe dimanche 23 juin à 18 h 30 à l’église Saint Sulpice à Paris à l’occasion de ses 50 ans d’ordination sacerdotale. Pour l’occasion, il a été longuement interrogé dans La Croix:
Vous avez été ordonné prêtre en 1969, au lendemain de Mai 68. Quelle évolution majeure dans l’Église avez-vous constatée pendant ces 50 ans ?
C’est la société qui a changé, donc la place de l’Église et des chrétiens dans cette société a changé. Nos contemporains ont de plus en plus de mal à s’identifier à des objectifs communs, qui ne sont pas seulement la somme des attentes particulières. Il y a eu une accélération des revendications personnelles qui touche tout le monde, avec la priorité donnée aux désirs personnels sur les contraintes de la vie collective. Tout ce qui relève d’une communauté de vie, et la solidarité qui doit en découler, est de plus en plus difficile à porter. L’Église se situe dans ce contexte, en évoluant concomitamment avec l’effondrement des moyens de transmission d’une génération à l’autre, d’où cette question que beaucoup se posent : est-on légitime à transmettre une norme de vie ? Ou est-ce que tout se vaut ?
Quelles en sont les conséquences ?
Le résultat est un effondrement des pratiques chrétiennes, et un effondrement similaire des éléments de culture chrétienne. Il y a 50 ans, quand on préparait un mariage, ou un baptême, on avait souvent affaire à des gens pas très pratiquants, mais qui conservaient des restes de culture chrétienne. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les plus pauvres culturellement n’ont pas les moyens de raccrocher avec la pratique. Cela accule les chrétiens à une prise de conscience plus forte du fait que la vie chrétienne est une décision. Benoît XVI a dit qu’on était passé d’un christianisme sociologique à un christianisme de choix. Avec un risque : celui de construire une Église d’élites qui laisse au bord du chemin ceux qui n’ont pas la capacité d’exprimer ce choix. Les chrétiens sont plus éclairés, mais beaucoup moins nombreux, et doivent inclure dans leur décision le fait d’accepter cette dimension minoritaire comme une situation de mission. Quand j’étais séminariste, les prêtres que je connaissais étaient proches des prêtres du XIXe siècle. Tout au long de mon ministère, j’ai été confronté à cette question : est-ce que je suis prêtre pour reconstituer des communautés à l’image des paroisses du début du XXe siècle, ou pour annoncer le Christ, avec les chrétiens, à des hommes et des femmes qui n’en ont plus rien à faire ? […]
Avez-vous des regrets ?
Je regrette la façon dont j’ai résisté dans la compassion avec des situations, des personnes, où j’ai pu créer de la distance. Peut-être parce que je n’étais pas capable d’assumer la situation et que j’étais en position de défense. C’est quand même une caractéristique particulière du ministère sacerdotal d’être pasteur de tous. Je reconnais que pour un certain nombre de personnes je n’ai pas été suffisamment pasteur.