Tribune de Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, dans Famille chrétienne :
Depuis l’annonce de l’arrêt programmé de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert, une grande émotion traverse les cœurs sans pour autant parvenir à éveiller les plus hauts responsables et l’opinion publique la plus large aux enjeux éthiques, aux enjeux de société de cette grave décision.
Comme l’a magnifiquement écrit le Père Bruno Saintôt, jésuite, responsable du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres, réputé pour le sérieux et l’équilibre de ses prises de position, « certains pensent qu’il y a des cas où l’humain s’est absenté de la vie. Il y aurait ainsi, pour eux et dans certains cas, ‘la vie sans l’humain’, une ‘vie purement biologique’, une ‘vie purement végétative’. Je ne partage pas du tout ce point de vue. L’humanité ne s’absente jamais de l’être humain que nous devons soigner mais c’est à nous de l’honorer par l’attention, le respect, le soin adapté ». Le Père Saintôt ajoute : « ‘Monsieur Vincent Lambert’ n’est pas en fin de vie, ne semble pas souffrir, n’exprime pas de refus permanent de soin et n’a pas exprimé clairement sa volonté : au nom de quel principe faudrait-il arrêter ce traitement particulier qu’est l’alimentation et l’hydratation artificielles, ce traitement particulier qui apparaît à beaucoup comme un soin de base dû à tout être humain ? »
Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims où Vincent Lambert est hospitalisé, a de son côté écrit avec force et délicatesse : « Les spécialistes semblaient s’accorder sur le fait que M. Vincent Lambert, si dépendant soit-il depuis son accident, n’est pas en fin de vie. Tout en saluant l’engagement des équipes du CHU de Reims, on peut s’étonner que M. Lambert n’ait pas été transféré dans une unité spécialisée dans l’accompagnement des patients en état végétatif ou pauci-relationnel ». Et le président élu de la Conférence des évêques de France d’ajouter : « C’est l’honneur d’une société humaine que de ne pas laisser un de ses membres mourir de faim ou de soif et même de tout faire pour maintenir jusqu’au bout la prise en charge adaptée. Se permettre d’y renoncer parce qu’une telle prise en charge a un coût et parce qu’on jugerait inutile de laisser vivre la personne humaine concernée serait ruiner l’effort de notre civilisation. La grandeur de l’humanité consiste à considérer comme inaliénable et inviolable la dignité de ses membres, surtout des plus fragiles ».
Nous ne pouvons pas nous résoudre aux conséquences d’une décision qui porte si gravement atteinte à la dignité d’un homme mais aussi à la dignité de toutes les personnes cérébro-lésées, à la dignité plus largement encore de toute notre société. Ce serait accepter ce que le Pape François appelle la « culture du déchet », la réduction de la personne fragile à une réalité négligeable dont on peut se débarrasser sans le moindre scrupule. Ce serait renoncer à l’humanisme européen pourtant au cœur du débat électoral en cours : quel est le message de l’Europe si ce n’est le respect inconditionnel de la dignité de toute personne humaine, fondement véritable de la paix ? Que les plus hauts responsables de notre pays se laissent interpeller par le mystère de la vie ! Leur honneur – et le nôtre – est de la respecter, de la servir, surtout quand elle est fragile et blessée.