Questionnements de Monseigneur Xavier Malle en date du 16 mai 2019 :
Si rien ne change, il est annoncé que dans les jours à venir, monsieur Vincent Lambert ne sera plus alimenté ni hydraté, ce qui revient à le faire mourir.
« Ce que vous avez fait à l’un des plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » Jésus interroge la conscience. Monsieur Vincent Lambert (1) interroge la conscience. Et si c’était moi ? On ne peut se contenter de jugements hâtifs. Loin de moi de vouloir juger deux catégories professionnelles qui se sont penchées en leur âme et conscience sur ce cas avec une attention des plus redoublées, les médecins et les juristes. Cependant, d’autant que la famille est divisée, d’autant que les médecins sont divisés, n’est-il pas légitime de réfléchir ?
(1) « Monsieur », et non « l’affaire » ou « la cause ». Lire le très beau texte du père Bruno Saintôt, sj à ce sujet
Si cela advenait :
1. Doit-on considérer l’alimentation et l’hydratation comme un soin excessif, un acharnement thérapeutique ?
Monsieur Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Il n’y a aucune urgence médicale à arrêter son alimentation et son hydratation.
« L’apport d’eau et de nutriments destinés à entretenir la vie répond à un besoin élémentaire du malade (2). »
(2) Source
« L’administration d’eau et de nourriture, même par des voies artificielles, est en règle générale un moyen ordinaire et proportionné pour la conservation de la vie des patients en “état végétatif” (3) »
(3) Source
Pour nous chrétiens, cela interroge : « J’avais soif, vous m’avez donné à boire ; j’avais faim, vous m’avez donné à manger » dit Jésus. Pour éviter les souffrances de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, dont personne ne peut dire, dans l’état actuel de nos connaissances, quel en sera son niveau de perception, il est annoncé une sédation. N’est-ce pas une application posant question, de la loi Léonetti, qui prévoit certes une sédation, mais réversible et en cas de douleur incontrôlable et insoutenable (et non provoquée par un arrêt de soin) ?
2. Doit-on considérer le handicap comme une maladie ?
Monsieur Vincent Lambert n’est pas malade, mais handicapé tétraplégique et pauci-relationnel, après un accident de la route, à la suite d’un grave traumatisme crânien. Pourquoi n’est-il pas dans un centre capable de l’accueillir (4), comme c’est le cas pour des centaines d’autres porteurs de handicaps dans notre pays, qui peut d’ailleurs s’en enorgueillir ? Est-ce dû à la charge médiatique impressionnante ?
(4) Question posée aussi par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, dans un texte à découvrir en entier
3. Doit-on calculer le coût des dépenses et considérer que les traitements qui coûtent chers ne sont pas légitimes ?
Va-t-on me refuser un soin parce que cela est trop cher ? Chacun de nous est concerné. Certes, dans certains dispensaires de pays plus pauvres que nous, se pose la question de la meilleure utilisation des faibles ressources. Mais ce qu’on fait pour d’autres malades en France, pourquoi ne pas continuer à le faire pour monsieur Vincent Lambert ?
4. Doit-on considérer que les personnes pauci-relationnelles n’ont pas assez de dignité pour vivre ?
Comment oublier les personnes qui se réveillent après de longues années ? Comment oublier que les personnes dans le coma peuvent raconter ce que vous avez dit près de leur lit ? Quel message adresse-t-on aux 1500 personnes en état pauci-relationnel de l’hôpital de Berck ou ailleurs et à leur famille ?
5. Doit-on considérer que c’est à la justice, au juge, de décider qui a le droit de vivre ou le devoir de mourir ; qui est digne de vivre et qui ne l’est pas ?
La judiciarisation de la santé de monsieur Vincent Lambert ouvre quelle porte ?
Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU a demandé de surseoir à l’arrêt des soins. Le médecin annonce à la famille l’arrêt des soins la semaine du 20 mai. Si on s’en remet à la justice, rien ne justifie alors de ne pas appliquer les mesures provisoires demandées par ce comité de l’ONU.
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Enfin, pourquoi considérer les catholiques, qui posent ces questions et promeuvent une culture de la vie, comme des « traditionalistes » ou des « intégristes » ? L’objectif de ces étiquettes est clairement de disqualifier leur parole. Comme chrétien, j’attire l’attention sur toutes les personnes vulnérables, telles les mineurs migrants, les personnes handicapées ou celles en fin de vie. Il est triste de constater que monsieur Vincent Lambert est instrumentalisé, en particulier par les promoteurs de l’euthanasie.
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Comme évêque des Hautes-Alpes, je connais la difficulté de monter sur la ligne de crête. Nous y sommes. Entre d’un côté la pente euthanasique, de l’individualisme extrême qui veut choisir sa mort, et de l’autre la pente de l’acharnement thérapeutique, du transhumanisme qui considère la mort comme un échec, il y a la ligne de crête de l’accompagnement pour les personnes handicapées, des soins palliatifs pour les personnes en fin de vie, puis de l’acceptation de la mort qui vient naturellement. C’est la voie la plus respectueuse de la dignité de la personne humaine ; la voie de la fraternité.
La plus belle des randonnées passe par les crêtes. Merci monsieur Vincent Lambert de nous y mener ; merci de questionner notre conscience. Nous prions pour vous, pour votre famille et pour le personnel soignant.
Mgr Xavier Malle, évêque de Gap (+Embrun) le 16 mai 2019, après consultation du groupe diocésain de bioéthique