D’un lecteur de Perepiscopus :
On rappellera ici à quels “arguments” ont longtemps eu droit les catholiques, non irénistes ni utopistes, qui essaient d’être orthodoxes et réalistes, et qui ne tiennent donc pas à s’en remettre ou à se soumettre à telle ou telle composante de l’idéologie du dialogue qui sévit, au moins depuis le début de l’après-Concile, et on le rappellera avant d’envisager une hypothèse sur les raisons pour lesquelles, depuis le début de cette décennie ou de ce pontificat, on entend moins ces “arguments”.
I. Voici d’abord les “arguments” qui ont longtemps été opposés aux fidèles catholiques qui sont clairement et fermement opposés à telle ou telle composante de l’idéologie du dialogue (le dialogue interconfessionnel oecuméniste, le dialogue interreligieux unanimiste, le dialogue interconvictionnel inclusiviste) ou qui sont clairement et fermement opposés à l’un ou l’autre de ces quatre “esprits” : “l’esprit du Concile”, “l’esprit d’Assise”, “l’esprit de Tibhirine”, “l’esprit (dit) de l’Evangile”.
1° argument : l’argument herméneutiste : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que vous n’avez pas la seule bonne interprétation, l’interprétation conciliaire” ;
2° argument : l’argument historiciste : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que votre interprétation est archaïque, dépassée, périmée, rétrograde” ;
3° argument : l’argument incriminateur : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que vous êtes proches des intransigeants, des pélagiens, des pharisiens, des légalistes, des rigides, des sectaires, qui ne donnent certes pas envie aux croyants non chrétiens et aux incroyants de se convertir vers Jésus-Christ” ;
(On rappellera ici que c’est le début de l’avant-Concile que certains brillants esprits ont commencé à écrire que c’est de la faute des catholiques les plus explicitement et spécifiquement respectueux du catholicisme, si les non croyants ne rejoignent pas Jésus-Christ et l’Eglise ; sur cette question comme sur d’autres, (re)lire l’Histoire des crises du clergé français contemporain (1977) de Paul Vigneron, ce livre permettant de bien comprendre l’avant-Concile.)
4° argument : l’argument intellectualiste : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que vous ne connaissez pas ou ne comprenez pas les textes du Concile annonciateurs et inspirateurs de “l’esprit du Concile”, ainsi que la prise en compte et la mise en oeuvre de ces textes, de Paul VI à François” ;
(Mais alors, qu’objecter de crédible à des catholiques, dits “conservateurs” ou “traditionnels”, qui connaissent et comprennent bien, non seulement le contenu de ces textes, mais aussi leurs origines philosophiques et théologiques, ainsi que les conséquences dialogales et pastorales de leur utilisation ?)
5° argument : l’argument moralisateur : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que vous manquez de charité, d’ouverture du coeur et de l’esprit, au préjudice des bénéficiaires ad extra que sont les partenaires de l’Eglise, dans le cadre de la mise en oeuvre de tel dialogue et de la prise en compte de tel esprit, mais aussi au préjudice des évêques, des prêtres et des fidèles qui sont pleins de bonne volonté, de dévouement, au service de ce dialogue ou de cet esprit” ;
6° argument : l’argument politico-religieux : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que vous êtes d’extrême-droite, avant tout en politique, et ensuite, par voie de conséquence, en religion. Vous êtes contre l’idéologie du dialogue avant tout parce que vous êtes des “maurrassiens”, et non avant tout parce que vous avez pris la mesure des carences, des errements, des limites et des manquements qui découlent, d’après vos dires, du déploiement de cette idéologie” ;
7° argument : l’argument sentimentaliste : “Si vous êtes plutôt contre, si vous ne cheminez pas en direction du “respect total” des confessions chrétiennes non catholiques, des religions non chrétiennes, des conceptions et des convictions humaines non croyantes, c’est parce que vous ne cheminez pas en direction du “respect total” des personnes chrétiennes non catholiques, des personnes croyantes non chrétiennes, et des personnes non croyantes” ;
(En d’autres termes : “Si vous n’avez pas un “discours d’amour” sur les confessions chrétiennes non catholiques, sur les religions non chrétiennes, sur la conception dominante de l’humanisme agnostique, c’est parce que vous n’avez pas un “regard d’amour” vers les non catholiques, vers les non chrétiens, vers les non croyants.”)
8° argument : l’argument thérapeutique : “Si vous êtes plutôt contre, c’est que vos analyses, vos appréciations, vos réflexions et vos relations, en direction de l’environnement extérieur de l’Eglise catholique, souffrent d’une absence ou d’un déficit d’adaptation, d’évolution, d’innovation et d’ouverture : suivez donc le traitement approprié, en commençant à vous conformer à la pastorale inspirée par telle composante du dialogue et par tel esprit post-conciliaire” ;
(Si l’on préfère : “Si vous adhérez encore à la conception d’après laquelle il y a des différences de nature, respectivement entre l’Eglise catholique et les confessions chrétiennes non catholiques, entre la religion chrétienne et les religions non chrétiennes, entre l’Evangile du Ressuscité et l’évolution des mentalités, etc., c’est que vous êtes en état d’adhésion maladive à des conceptions, à des distinctions, à des prénotions qui sont autant de préjugés.)
II. Voici ensuite une hypothèse sur les raisons pour lesquelles, au moins depuis le début de cette décennie, on entend moins ces “arguments” :
– de plus en plus de catholiques ont conscience du déficit de fécondité du positionnement “dialogal” et “pastoral” d’inspiration “conciliaire” ou, en tout cas, “post-conciliaire”, dans l’acception néo-moderniste de ce terme, qui est imposé, dans les faits, à l’ensemble de l’Eglise et des fidèles, depuis 1965 ;
– de plus en plus de catholiques ont conscience du déficit d’honnêteté intellectuelle ou d’objectivité intellectuelle qui caractérise l’inspiration et l’orientation de chacun des “arguments” recensés ci-dessus ;
– pour que ces “arguments” puissent être relayés, il faut que des clercs soient assez nombreux pour pouvoir les transmettre, or il se trouve que, notamment en Europe occidentale, il y a de moins en moins de clercs, donc aussi de moins en moins de clercs à la fois capables et désireux de relayer, de transmettre ces “arguments” (il est permis de voir dans cet aspect des choses un des effets de la “ruse de la raison historique” qui sévit depuis 1965) ;
– depuis le début de cette décennie ou de ce pontificat, presque plus personne ne peut dire que les partisans inconditionnels de ces “arguments”, ici où là de plus en plus âgés et de moins en moins nombreux, sont empêchés d’agir, sont entravés dans leur action, à cause de “Rome” ; mais justement, pour la même raison, presque plus personne ne peut dire que les catholiques ne savent pas ce que cela donne, les conséquences qui en découlent, quand on laisse une marge de manoeuvre maximale aux partisans inconditionnels de cet argumentaire, disqualificateur du catholicisme orthodoxe et réaliste.
III. Ce qui précède ne constitue qu’une tentative de recensement des “arguments” les plus proches de ceux qui ont longtemps été mis en avant et en valeur, au moins jusqu’à la fin des années 2000, ainsi qu’une tentative d’explication sur les raisons pour lesquelles ont entend moins ces “arguments”.
IV. Cela ne signifie pas que les composantes de l’idéologie du dialogue, ou que les quatre “esprits”, dont il est question ici, vont cesser d’avoir leurs conséquences déconstructrices ou déstructurantes, ou vont cesser d’avoir leurs répercussions fragilisatrices du catholicisme, fragilisatrices car elles sont
– “émancipatrices” ad intra, vis-à-vis des fondamentaux du catholicisme, au préjudice réel de leur réception, de leur prise en compte, de leur transmission,
– “unificatrices” ad extra, dans le cadre de l’alignement de bon nombre de clercs sur l’interreligieusement correct et sur l’interconvictionnellement correct.
V. En effet, le durcissement autoritaire “ad intra”, et l’escalade d’engagements ou la fuite en avant dialogale et pastorale “ad extra”, constituent les deux composantes de la stratégie globale qui est mobilisée et organisée au service de la pérennisation du positionnement “génial” à l’oeuvre depuis 1965.
VI. Ce positionnement “génial” n’est certes pas le positionnement officiel de l’Eglise catholique, tel qu’on le trouve dans les Constitutions dogmatiques et dans les décrets d’application “ad intra” du Concile, mais aussi dans les textes du Magistère pontifical post-conciliaire qui sont les plus éclairants, exigeants, fortifiants, nourrissants, orthodoxes, réalistes, structurants, tonifiants, au point d’être parfois contrariants ou dissonants ad extra.
VII. Mais ce positionnement “génial” est le positionnement officiel de l’Eglise catholique, tel qu’on le trouve, au moins en germe, dans au moins la moitié de quatre documents “ad extra” du Concile (Dignitatis humanae, Nostra aetate, Gaudium et spes, Unitatis redintegratio), et surtout, le même positionnement “génial” est le positionnement effectif de la plupart des hommes d’Eglise chargés de mettre en oeuvre le Concile Vatican II.
VIII. Et les mêmes hommes d’Eglise
– ne peuvent plus faire comme s’ils ne savaient pas que ce positionnement “génial” porte en lui, et autour de lui, un déficit tragique de fidélité doctrinale et de fécondité spirituelle, ainsi qu’un déficit tragique de respect de l’identité et de l’intégrité du catholicisme, sur le plan dogmatique et sur le plan liturgique,
et
– ne veulent pas reconnaître qu’il sont les continuateurs, souvent de moins en moins enthousiastes, parfois de plus en plus fatalistes, d’autres hommes d’Eglise, dont les prédécesseurs ont été séduits, puis trompés, lors du Concile, et dans au moins une partie du Concile, par la créativité adogmatique et oecuméniste, gravement propice à l’hétérodoxie et à l’idéalisme, de quelques dizaines de théologiens, même si ceux-ci ont été “bien intentionnés”.
IX. Le durcissement autoritaire “ad intra” et l’escalade d’engagements ou la fuite en avant “ad extra” constituent donc deux modes d’action, que certains savent nécessaires et espèrent suffisants, afin que ce positionnement “génial” devienne absolument hégémonique et irréversible, dans l’Eglise catholique.
X. Certains, hier, ont longtemps espéré que les fidèles qui essaient d’être, le mieux et le plus possible, respectueux des fondamentaux du catholicisme, finiraient par “culpabiliser”, au contact de l’un ou l’autre des arguments recensés ci-dessus, puis finiraient par adhérer ou par se rallier au positionnement adogmatique et post-orthodoxe ad intra, consensualiste et post-réaliste ad extra, qui est fréquemment à l’ordre du jour, depuis 1965, mais d’autres, aujourd’hui, en un sens, plus lucides, voient bien, et font bien voir, à quels procédés ils vont “devoir” continuer à recourir, pour pouvoir rendre, non seulement impossible, mais aussi impensable, tout déploiement d’un tout autre positionnement, notamment bien plus “fécondant” ad intra et bien plus “résistant” ad extra.
Ainsi, l’analyse des raisons pour lesquelles on entend moins les “arguments” habituels contribue à la compréhension de ce qui se joue aujourd’hui…
Le sursaut et la survie du catholicisme passent par le reflux de la doxa et de la praxis idéologiques post-conciliaires, et certains ne le supportent pas…