Le cardinal Paul Poupard, président émérite du Conseil pontifical pour la Culture, qui avait accueilli les Papes Jean Paul II et Benoît XVI en la cathédrale Notre Dame, répond à Vatican News :
Comment regardez-vous cette tragédie ?
C’est un choc. À tel point que disparaît en ce moment tout ce qui nous oppose; et réapparait ce qui nous unit. Et ce, car cette Bible de pierres qu’est la cathédrale Notre-Dame de Paris manifeste l’invisible rendu visible. Soudain, des personnes éloignées de Dieu ou de l’Église reviennent à l’essentiel. Le miracle de Notre-Dame. Pour ma part, l’un de mes premiers souvenirs avec la cathédrale se trouve être en 1940. Je n’étais qu’un enfant, et alors toute la France, dont le gouvernement radical-socialiste de l’époque, s’était précipitée à Notre-Dame. Elle est plus forte que tout, à l’image des dires de Saint Augustin: «Dieu est si fort et si bon qu’il est capable de tirer le bien du mal». Ce mal incroyable, cette tragédie du mal incarnée par l’incendie, Dieu en tire du bien.
Quelle est votre histoire personnelle avec la cathédrale ?
J’étais recteur de l’Institut catholique de Paris durant dix ans, de sorte que la générosité des archevêques m’a fait célébrer la sainte messe à la cathédrale un nombre de fois incalculable. De même pour les nombreuses conférences que j’y ai donné. Puis, je suis venu à Rome. Le saint Pape Jean Paul II m’a renvoyé à Notre-Dame y présider en son nom la sépulture du cher et vénéré cardinal de Lubac, puis celle du cardinal Lustiger, lequel cardinal m’a fait faire les fameuses conférences. Je me remémore cette cathédrale emplie de fidèles recueillis, la lumière dans la rosace… Le type de souvenirs qui façonnent une identité.
Je me revois avec Jean-Paul II et Benoît XVI, dans l’un et l’autre cas, Notre-Dame semblait tel un vaisseau qui accueille, comme un berceau, qui nous réunit dans une même foi et espérance.
Selon vous, que représente Notre-Dame dans le paysage catholique européen ?
Dans tout organisme il y a un cœur, Notre-Dame de Paris est le cœur de paris, de la France et de l’Europe. Un cœur qui palpite. Ce symbole est une réalité qui nous réunit par-delà les différences. Devant cette réalité, s’estompent beaucoup d’ombres et resplendit une certaine lumière.
Quel début de Semaine Sainte particulier….
Oui, comme un coup très fort qui nous oblige à célébrer le mystère de la croix plus intensément. Il n’y a pas de dimanche de Pâques, sans les Rameaux, sans le Jeudi Saint, la Passion, le Vendredi Saint ou le Samedi Saint que l’on oublie trop souvent. C’est pourtant le jour des ténèbres. Dans le sépulcre, tout semble mort à travers la mort du Christ, mais rien n’est mort dans le cœur de notre dame. Là, Notre-Dame continue de veiller sur nous. Notre-Dame de Paris renaîtra, et en renaissant, elle nous fera renaître.
À l’instar des pierres de Notre-Dame, sommes-nous appelés à devenir nous-mêmes des pierres vivantes ?
C’est l’enseignement du premier Pape, saint Pierre. En voyant ces pierres sur lesquelles les pompiers déversaient l’eau avec amour, je pensais à l’eau du baptême, à ces fonts baptismaux qui nous accueillent à Notre-Dame. Dans notre vie, rien n’est accidentel, les accidents eux-mêmes sont des signes. Des signes qui nous invitent par-delà la matérialité du fait, à aller au plus profond des choses… Un signe qui nous interpelle en ce début de Semaine Sainte. Je suis sûr que beaucoup sont déjà plongés dans une réflexion profonde, qui se transforme en prière.
Que dit ce signe de notre temps, est-il prophétique ?
Dieu qui semblait presque absent de notre culture postmoderne revient en force. On ne parvient pas à chasser ces images de Notre-Dame de l’imaginaire de centaines de millions de personnes, en France, en Italie, et ailleurs en Europe et dans le monde. Voilà comment Dieu suscite le bien à travers le mal. Cette image va habiter très fort l’imaginaire de tous. Naturellement, d’abord pendant cette Semaine Sainte. L’on voit qu’il y a autre chose, un lien avec un au-delà, nous ne vivons pas seulement dans un horizon intramondain. Cette incendie dans sa tragédie fait redécouvrir à l’homme rivé à ses problèmes et difficultés, qu’il est plus qu’un simple homme. C’est extraordinaire.