Céline Béraud, sociologue de l’EHESS et spécialiste (?) du catholicisme, est interrogée dans Libération à propos de l’assemblée générale des évêques français.
Les fidèles se sentent très déstabilisés. La crise des abus sexuels s’ajoute au constat qu’ils dressent depuis longtemps, à savoir que l’Eglise catholique est en déclin en France. Ils voient qu’il y a de moins en moins d’enfants au catéchisme et que les églises se vident. Cette vague énorme de scandales arrive dans ce contexte où les catholiques se vivent déjà comme devenant une minorité. Certains d’entre eux estiment en outre que l’institution et sa hiérarchie leur ont menti. Ce sentiment existe chez des catholiques pratiquants, très attachés à l’Eglise mais dans laquelle ils n’ont plus confiance.
Je perçois aussi de la colère. Les fidèles ont l’impression que l’Eglise fait face à un danger énorme et n’hésitent pas à se référer à des moments historiques tels que la Réforme protestante du XVIe siècle. A l’extérieur, leurs réseaux amicaux et professionnels les interpellent pour qu’ils rendent des comptes sur ces abus sexuels. Et ils sont désemparés pour trouver les mots permettant d’en parler.
Il y a eu, semble-t-il, un basculement depuis le début de l’année. Qu’en pensez-vous ?
Le contexte était déjà là. Mais il y a eu, c’est évident, une accélération en février-mars avec la sortie du film de François Ozon, Grâce à Dieu, que beaucoup de catholiques sont allés voir, la publication du livre Sodoma de Frédéric Martel au sujet de l’homosexualité au Vatican, les suites du procès du cardinal Barbarin, le sommet sur la pédophilie au Vatican et le documentaire d’Arte sur les abus sexuels commis à l’encontre de religieuses qui a beaucoup frappé les esprits, mettant en cause notamment les Frères de Saint-Jean, une congrégation religieuse qui a incarné le renouveau catholique pendant les années 80 et 90.
Les scandales qui frappent l’Eglise catholique tournent autour de la sexualité. Pourquoi ?
Depuis une quarantaine d’années, son discours a été axé sur les questions de morale sexuelle. L’Eglise catholique, en la matière, posait une grande exigence. Elle se disait même prophétique. Mais les comportements qui viennent d’être dénoncés à travers la crise de la pédophilie et les abus sexuels à l’encontre des religieuses constituent autant de contre-exemples délétères. Il me semble même que si le cardinal Philippe Barbarin a autant cristallisé sur sa personne les critiques relatives au silence des autorités ecclésiales par rapport à des affaires dont elles avaient connaissance, c’est parce que lui-même s’est placé à la tête de combats qui concernaient la morale sexuelle.
Que demandent, selon vous, les catholiques pratiquants ?
Ils veulent débattre, s’exprimer, prendre la parole ! La plupart des fidèles jugent insuffisant ce qui leur a été proposé jusqu’à maintenant, c’est-à-dire des prières et des célébrations pour les péchés de l’Eglise ou les prêtres qui ont fauté. Ils ont aussi cette exigence qu’il faut se tourner vers la justice civile, que les cas soient traités comme ils doivent l’être.
Mais je perçois quelque chose de plus profond : une remise en cause des modalités d’exercice de l’autorité dans l’Eglise, une libération de la parole sur la question du rapport entre prêtres et laïcs, sur la place des femmes au sein de l’institution, y compris dans la hiérarchie. Pour moi, qui travaille sur ces questions depuis une vingtaine d’années, c’est très inattendu. J’avais entendu ces questionnements mais seulement aux marges du catholicisme, dans des groupes qui avaient pris leurs distances avec l’Eglise et non pas parmi des fidèles qui demeurent attachés à leur institution.
Est-ce que cela signe le déclin de la Manif pour tous et des mouvements conservateurs très présents sur le devant de la scène depuis 2012 ?
Ce qui se passe actuellement donne à voir la pluralité interne du catholicisme. Les mouvements conservateurs ne sont pas ceux qui prennent actuellement la parole. Depuis les débats sur le mariage pour tous, ils avaient pourtant confisqué le discours catholique. La crise des abus sexuels est une opportunité – et non pas une instrumentalisation, que ce soit clair – d’entendre d’autres voix qui avaient été étouffées depuis les années 80 et 90.
Dire que les mouvements conservateurs ont “confisqué” la parole ne manque pas de sel. Alors que nous sommes des parias dans l’Eglise qui est en France, que tous les médias invitent systématiquement des progressistes comme l’abbé de La Morandais, les dames Soupa et Poletti, Golias, La Croix et consort, et que l’appareil de la CEF nous est extrêmement hostile, qu’il refuse de nous parler, de nous écouter… Mais Mme Béraud est une spécialiste du catholicisme…