Suite à l’article sur l’inauguration de la mosquée de Reims par Mgr de Moulins-Beaufort, un lecteur réagit :
I.
A. Jean-Paul II étant allé, dès le début de son pontificat, vraiment beaucoup plus loin que Paul VI, sur la route du dialogue interreligieux, ou plutôt sur celle du concordisme interreligieux, notamment dans le domaine des concepts et dans celui des valeurs, nous sommes bien obligés d’interroger tout un ensemble d’expressions, d’explications, d’édulcorations, de légitimations, mais aussi d’omissions, d’occultations, d’oblitérations, d’optimisations interreligieusement correctes, aussi bien intentionnées soient-elles.
B. En tout cas, de 1979 à 2019, il aura fallu un peu plus de quarante années de conditionnement épistémique et axiologique, de configuration philosophique et théologique, d’ordonnancement doctrinal et pastoral, de paramétrage des réflexions sur les religions non chrétiennes et des relations avec les représentants et les responsables des religions non chrétiennes, pour que nous en arrivions à la situation actuelle.
C. Or, les uns et les autres ont-ils bien conscience du fait qu’il n’est nullement nécessaire d’être catholique, en particulier, ou d’être chrétien, en général, pour adhérer à une assez grande partie des fondements doctrinaux (bien plus philosophiques que théologiques, dans l’acception surnaturelle et théologale de ce terme) et à une assez grande partie du contenu pastoral (dans l’acception néo-moderniste de ce terme) qui sont caractéristiques de la doxa et de la praxis interreligieusement correctes ?
D. Oui, il n’est nullement nécessaire d’être catholique en particulier, ou d’être chrétien, en général, pour adhérer à la plus ou moins grande part d’anthropocentrisme, d’humanitarisme, d’idéalisme, d’immanentisme, d’intersubjectivisme, de phénoménologisme, de sentimentalisme, de transcendantalisme ou d’unanimisme qui réside au sein ou autour du dialogue interreligieusement correct de bien des clercs catholiques.
E. Ainsi, le positionnement interreligieusement correct est, ou, en tout cas, peut être le positionnement de tout individu qui veut penser et vivre tout en ayant de très bons rapports avec presque toutes les convictions religieuses, ou tout en étant en très bons termes avec quasiment toutes les croyances religieuses, car enfin, n’est-ce pas, toutes les religions, toutes les traditions croyantes sont certainement inspirées par « D-i-e-u », puisqu’il existe certainement des personnes bien intentionnées, en provenance de chaque religion, de chaque tradition croyante.
F. C’est un peu comme si, dans le Nouveau Testament, cette phrase : « De toutes les nations faites des disciples » avait été remplacée par cette phrase : « Dans toutes les nations faites du dialogue », et c’est un peu comme si l’Eglise catholique, en tant que missionnaire, au bénéfice surnaturel et à destination théologale des croyants non chrétiens, avait été remplacée par une Eglise consensuelle, en tant que partenaire, au bénéfice culturellement et sociétalement correct, et à destination médiatiquement et mondialistement correcte, des religions non chrétiennes.
G. Les plus hautes autorités de l’Eglise ont-elles bien conscience du fait que nous sommes en présence de ce qui ressemble de plus à une stratégie globale placée sous le double signe du contournement de bien des ressources informatives que les chrétiens catholiques doivent pouvoir annoncer sur Dieu, sur Jésus-Christ, sur la religion chrétienne, sur les vertus chrétiennes, et du dépassement de bien d’autres ressources informatives que les chrétiens catholiques doivent pouvoir rappeler, d’une part sur le monothéisme trinitaire, d’autre part sur l’animisme, le panthéisme, le panenthéisme, le polythéisme, le théocratisme, le théosophisme, etc. ?
H. Les catholiques ont-ils bien conscience du fait que, en février 2018, nous avons eu droit à la prise de position suivante du cardinal Tauran :
» Rappelant les quatre piliers du dialogue interreligieux, indiqués par Jean XXIII dans Pacem in terris – la vérité, la justice, l’amour et la liberté – le cardinal Tauran a expliqué que « la vérité jouit d’une place d’honneur dans toutes les religions » et que « la reconnaissance de cette valeur par tous les croyants et les personnes de bonne volonté est importante pour les relations pacifiques entre tous… Nous sommes appelés à être compagnons de toute personne humaine dans le voyage vers la vérité ».
« La justice, a-t-il poursuivi, est une valeur fondamentale pour les croyants et pour les personnes de bonne volonté qui ne professent aucune religion ».
L’amour également, a noté le président du dicastère, est « une des valeurs clés de toutes les religions ».
Enfin, la liberté est « le désir inné et le droit fondamental de toute personne, communauté et peuple » : « Les guerres ont été combattues dans toute l’histoire humaine, soit pour dominer les autres afin de les priver de leur liberté, soit pour reconquérir une fois encore cette même liberté qui avait été perdue », a fait observer le cardinal Tauran.
Et de dénoncer aujourd’hui « de nouvelles formes d’esclavage dans lesquelles nos frères et sœurs sont privés de leur liberté et réduits en esclavage », comme la traite d’êtres humains, surtout de femmes et d’enfants, le travail au noir, le phénomène des enfants soldats et l’exploitation sexuelle. «
I. Or, il est permis de se demander si les catholiques ont vraiment bien conscience du fait que cette prise de position
– semble commencer par une affirmation bien singulière, car la vérité, la justice, la charité (et non « l’amour »), la liberté ne sont pas évoqués, d’une manière explicite, formalisée, officielle et spécifique, dans Pacem in terris, par Jean XXIII, en tant que « piliers du dialogue interreligieux »,
et
– semble continuer en passant sous silence le fait que c’est pour des raisons essentiellement inhérentes à la religion chrétienne en tant que telle que les chrétiens ont une certaine conception de la vérité, de la justice, de la charité, de la liberté, et le fait que c’est pour des raisons substantiellement inhérentes à l’islam en tant que tel que les musulmans ont une autre conception des mêmes notions et des mêmes valeurs.
J. En outre, et surtout, si la vérité, la justice, « l’amour », la liberté constituent bel et bien les « piliers du dialogue interreligieux », en quoi ces piliers comportent-ils quoi que ce soit qui serait avant tout à caractère religieux, pour ainsi dire au croisement de la connaissance doctrinale et de la contemplation spirituelle, ou en quoi les mêmes piliers comportent-ils quoi que ce soit qui n’est pas avant tout à caractère moral et social ?
K. En d’autres termes, qu’y a-t-il donc de spécifiquement religieux, à l’intérieur d’une telle conception du dialogue interreligieux, et, si la vérité, la justice, la charité, la liberté constituent bel et bien des « piliers », aussi nécessaires que légitimes, pourquoi ne pas arrêter de parler de dialogue interreligieux, et pourquoi ne pas commencer à intégrer le discours tenu en direction des religions non chrétiennes à ce qui semble être avant tout, sinon seulement, de la doctrine sociale ?
L. Enfin, que penser de la première partie de cette autre prise de position du cardinal Tauran, qui date du mois d’octobre 2017 ?
II. Voici la première partie de cette autre prise de position du cardinal Tauran, qui date du mois d’octobre 2017.
» Contrairement à ce que l’on dit souvent, le dialogue interreligieux ne favorise pas le relativisme, mais le combat (? !), dans la mesure où la première chose que l’on fait n’est rien de moins que proclamer sa propre foi. Je dois confesser que pour moi Jésus est le Seigneur. Je dois dire qu’il a changé ma vie. Et mon partenaire dans le dialogue devra faire la même chose (? !). On ne peut bâtir un dialogue sur l’ambiguïté (? !).
(Mais confesser que Jésus-Christ est le Seigneur, et confesser apparemment la même chose sur un autre « médiateur », ou sur un autre « prophète », est-ce bien réellement confesser « la même chose » ?)
Nous dialoguons parce que Dieu est Lui-même « dialogue » et qu’Il n’a jamais abandonné l’humanité. « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes » (Hébreux 1, 1). Jésus Christ est l’unique sauveur, et tout homme, même s’il n’en est pas conscient, a été sauvé par Lui. Mais « l’Esprit souffle où il veut » (Jean, 3, 8) et agit en chaque personne humaine. Nous sommes donc invités à découvrir la présence de Dieu dans chaque culture, en chaque personne, en chaque homme. Ce sont les fameuses semina verbi.
(Petit rappel : cette notion a subi une interprétation et reçu une signification propices à du consensualisme, mais aussi à de l’hétérodoxie, lors du Concile Vatican II…)
Selon notre foi, Dieu est présent dans chaque homme depuis le début de son existence, donc bien avant d’appartenir à une religion. Ce Dieu est le Dieu-Trinité qui invite chacun de nous à partager sa vie. Nous sommes donc (? !) invités à entrer dans le dialogue que Dieu Lui-même a commencé.
(Dans les esprits et surtout dans les faits, le dialogue, cela sert à dire et à manifester quoi, mais aussi, voire surtout, cela sert à dissimuler et à taire quoi, dans le domaine de la religion et des religions ?)
Le mot « dialogue », en latin colloquium, apparaît pour la première fois dans un document du magistère, l’encyclique Ecclesiam suam de Paul VI (et pas dans l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII ?). En réalité, le pape parle du colloquium salutis, c’est-à-dire du dialogue du salut dont Dieu prend l’initiative, suggérant par là que si l’Église dialogue avec l’humanité, elle le fait parce qu’elle confesse que Dieu Lui-même s’est révélé au monde à travers un processus de dialogue.
(A qui donc fera-t-on croire que l’on trouve beaucoup de traces de cette vision des choses, dans le catholicisme, en amont de cette vision de Paul VI ?)
Donc, pour Paul VI, la dimension de dialogue pour la révélation fonde celle du dialogue qui caractérise la mission. À noter que l’encyclique parle de colloquium salutis pour « toute l’humanité », et pas seulement avec les religions des hommes. C’est pourquoi nous confessons que Dieu a choisi, pour se révéler, la voie du dialogue avec l’humanité, et que la mission de l’Église consiste justement à prendre l’initiative de ce dialogue.
(Mais quelles sont donc les places de l’annonce de la vérité dans la charité (et non dans le consensus), de la confession de Jésus-Christ, et de la distinction, aussi nécessaire que légitime, entre la vérité et les erreurs, dans le domaine de la religion, en vue de de la conversion vers Jésus-Christ et de l’abandon des erreurs, au sein d’une telle vision du dialogue, de la mission, de la religion et de la révélation ?)
Pour nous chrétiens le centre de gravité de la dimension religieuse ne doit pas être recherché dans un livre sacré, dans des rites ou de minutieux préceptes, mais se trouve dans la personne humaine. Tout comme la pleine révélation n’est pas le livre des Écritures, mais la personne du Christ Fils de Dieu « médiateur et plénitude de toute la révélation » (Dei Verbum, 2). Cela a des conséquences sur la façon de concevoir le dialogue interreligieux. Par exemple, si nous nous intéressons au Coran, ce n’est pas pour le Coran en soi, mais pour le respect que les musulmans ont à l’égard de ce livre, où nous trouvons les réponses à leurs questions (? !).
(Mais les musulmans eux-mêmes sont-ils toujours d’accord entre eux sur le contenu des réponses qu’ils trouvent à leurs questions, dans le Coran, et, par ailleurs, même si les musulmans prennent appui, avant tout, sur le Coran (ce qui n’est pas toujours le cas !), prennent-ils appui seulement sur le Coran ?)
Est-il vraiment nécessaire d’en dire davantage sur ce qui inspire l’interrogation qui figure au tout début de ces éléments de réflexion ?