A Blois, sur le mur du rempart du jardin des Simples, la photo de Philippe Lucchese imprimée sur une bâche de 13 mètres sur 8 reprend La Cène, le célèbre tableau de Léonard de Vinci en remplaçant Jésus et les douze apôtres par autant de femmes. En plein carême, l’évêque de Blois Mgr Batut réagit :
« Il y a quelques mois, à Florence, une représentation de Carmen avait stupéfié le public : ce n’était plus Don José qui tuait Carmen à la fin du célèbre opéra, mais Carmen qui tuait son ancien amant. La directrice du théâtre florentin justifiait ainsi cette falsification de l’œuvre de Bizet : “ Dans une société marquée par le meurtre de femmes, comment applaudir la mort de l’une d’entre elles ? ”
La solution avait donc consisté à faire applaudir le meurtre d’un homme par une femme en transformant la victime en assassin. En dehors des arguments pour le moins contestables utilisés pour justifier cette falsification, le procédé soulevait la question de la falsification elle-même. L’artiste concerné n’est plus là pour nous dire ce qu’il en pense, et quand bien même il aurait pu le faire, on lui aurait peut-être rétorqué qu’il y avait péremption de la propriété artistique et que la liberté d’expression était désormais au-dessus de tout. Il se trouve qu’un problème analogue se présente chez nous à Blois en ce mois de mars 2019 avec une gigantesque affiche apposée sur le rempart du jardin des Simples, et qui ne fait référence à la Cène de Léonard de Vinci que pour en dénaturer le sens. Le tableau, comme on sait, représente le dernier repas de Jésus avec ses disciples au moment le plus solennel : lorsqu’il institue l’eucharistie en prononçant sur le pain et le vin les paroles “ Ceci est mon Corps livré pour vous ; ceci est mon Sang versé pour vous ”.
C’est pour les chrétiens la première messe de tous les temps, et Léonard a voulu approcher ce mystère avec un immense respect comme en témoigne le soin apporté à ciseler l’expression de chaque visage : c’est comme si, au contact du geste sacré du Christ s’offrant lui-même, se révélait ce qu’il y a de plus profond en chacun d’entre nous. “ Au XXI e siècle, pourquoi les femmes n’auraient-elles pas la même place que les hommes à travers ces œuvres majeures ? ” demande l’auteur de l’affiche, comme si la place de choix donnée aux femmes dans la peinture de tous les temps ne lui paraissait pas une évidence. Il lui a donc fallu, au lieu d’honorer une œuvre, agir comme il le dit “ à travers ”, par l’instrumentalisation et la caricature.
En remplaçant le Christ et tous les personnages du tableau par des femmes, il nous impose une falsification multiforme : falsification d’un grand peintre, du projet que lui a inspiré sa foi, de la sensibilité religieuse des chrétiens blessés par cette parodie d’un mystère central de leur religion. En ces jours où les défis que notre société doit relever nous appellent plus que jamais à l’unité, la culture, comme l’a écrit le maire de Blois, doit garder “ un rôle primordial dans la consolidation du lien social ”. La culture authentique ne divise pas, mais rassemble. Elle nous aide à vivre les uns avec les autres et les uns pour les autres notre aventure en territoire humain. »