Intéressante réflexion de Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, sur le climat ecclésial actuel, dans laquelle il indique que nous sommes dans une situation pire que sous les papes Borgia. Scandales qui avaient été alors corrigés par le Concile de Trente, ce même Concile qui semble avoir été abrogé par les 40 dernières années de “renouveau conciliaire”. Nous avons été naïfs dit l’archevêque de Reims… Ne serait-il pas temps de reprendre en compte les enseignements du Concile de Trente ?… :
Je peux me représenter que ce que vous découvrez au fil des semaines depuis cet été, s’ajoutant à bien d’autres faits révélés auparavant, suscite en vous du dégoût et du découragement. Rien ne nous préparait à devoir un jour regarder l’Église catholique comme un lieu du mal commis sur des enfants ou des adolescents, du mal dissimulé, camouflé, non traité. Je suis baptisé depuis 1962, prêtre depuis 1991, évêque depuis 2008 : rien ne m’avait laissé même pressentir que j’aurai à constater tant de faits graves et inadmissibles commis par des prêtres à l’encontre de ceux et de celles qui leur étaient confiés ; rien ne me permettait d’imaginer que les autorités de l’Église pouvaient s’être montrées si peu attentives, si peu responsables, si peu soucieuses de tout tirer au clair face à de tels faits. Depuis mars 2016, mes responsabilités parisiennes m’ont obligé à regarder ces faits sans faiblir ; j’ai rencontré des personnes victimes ou des parents de personnes victimes ; j’ai rencontré des prêtres qui se sont rendus coupables de crimes ou bien qui se sont laissés aller à des gestes qui, sans être des délits, sont des gestes inadmissibles qui représentent des abus du sacerdoce qu’ils ont reçu du Christ.
Bien sûr, dans notre contexte actuel pèse un effet d’accumulation. Tous les abus sexuels et tous les abus de pouvoir commis un jour quelque part sur notre planète par un prêtre catholique sont d’un coup déposés tous ensemble sur la table commune sous le regard effaré de tous les hommes, des catholiques au premier chef.
Du jeudi 21 au dimanche 24 février, le Saint-Père a réuni à Rome les présidents des Conférences épiscopales du monde entier. Les exposés tenus sont accessibles sur internet, sans difficulté. Nous verrons les décisions qui seront prises. Le Pape est tout à fait déterminé à faire sortir l’Église des attitudes, des pratiques, des silences, des ombres, qui ont rendu possibles non seulement les crimes et les délits dont il est question mais aussi que ceux-ci ne soient pas vraiment repérés, nommés, jugés, que leurs auteurs ne soient pas sanctionnés et que leurs victimes ne soient pas écoutées et consolées. Pour nous, il est clair que la collaboration avec les autorités judiciaires de notre pays doit être sans faille. Il est des situations que ces autorités ne peuvent sanctionner. Elles ne sauraient faire échapper à l’œuvre de vérité nécessaire.
Nous savions que l’Église avait connu des abus de la part de ses dirigeants, mais nous pensions avoir vu le pire avec les papes Borgia et certains de leurs successeurs immédiats. Les réformes du concile de Trente avaient lancé un immense travail dans la formation des prêtres mais aussi dans la vie spirituelle des prêtres qui paraissait garantir la haute qualité du clergé, quelques abbés libertins du XVIIIème étant mis à part. Nous estimions qu’avec Vatican II les relations entre prêtres et fidèles laïcs s’étaient profondément renouvelées, qu’elles s’étaient simplifiées, qu’elles étaient de service commun dans la mission donnée par le Christ et non plus de contrôle social et d’encadrement. Nous étions naïfs. Sans cesse, l’humanité retourne à ses démons ; elle a peur de la liberté spirituelle que le Christ lui ouvre.
Permettez-moi de vous dire là-dessus encore deux choses.
Ma conviction profonde est que le travail qui s’accomplit est un don de la miséricorde divine. Dieu n’abandonne pas son Église, au contraire, il travaille à la purifier, y compris du mal qui était en elle et qu’elle s’obstinait à ne pas voir. Il nous donne la possibilité de nous dégager de la gangue d’ambiguïtés et d’aveuglements qui a rendu possibles les faits qui conduisent à la crise que nous connaissons. Le Seigneur permet aussi aux coupables de se repentir. L’épître aux Hébreux signale qu’il est redoutable de tomber entre les mains du Dieu vivant. L’auteur veut dire qu’il est redoutable d’affronter le jugement de Dieu sans s’être repenti, sans avoir appris à le faire. Le plus déroutant, à mon sens, dans un certain nombre de faits portés à la connaissance du monde entier, est la capacité de déni d’un grand nombre de coupables, déni non pas des faits mais de leur portée, et la capacité de prêtres et même d’un évêque de vivre comme si Dieu ne voyait rien et ne jugeait rien, jusqu’à accepter d’accumuler les plus hautes responsabilités et les plus grands honneurs.
Ma deuxième conviction est que le travail de vérité que l’Église doit vivre concerne tous ses membres et est un service à rendre à l’humanité. Nous pouvions penser être la part la plus sainte de l’humanité. Assurément, il y a des saints parmi nous et beaucoup de sainteté dans le peuple de Dieu. L’ivraie est pourtant plus nombreuse et plus enracinée que nous ne voulions ou ne pouvions le voir. Mais ce qui est mis sous les yeux de tous est l’extrême délicatesse des relations humaines, et très spécialement de la relation éducative. Facilement, elle peut être corrompue en une relation d’abus. Le piège serait de renoncer à avoir des relations intenses, de renoncer à nous mettre au service des enfants et des jeunes, de renoncer à travailler pour les aider à s’ouvrir à la beauté et à la bonté de la vie et de l’univers, à la beauté et à la bonté de leur humanité faite pour être aimée et plus encore pour aimer. Mais, pour cela, il nous faut plus de délicatesse, plus de décentrement de nous-mêmes, plus de sens du service, plus de prudence à l’égard de tout pouvoir, plus de conscience que le seul Maître digne de l’être humain est Dieu lui-même, venu en notre chair en Jésus de Nazareth. Nous essayons de vivre l’amour du prochain jour après jour, avec humilité mais aussi avec détermination. Nous portons une haute idée de la dignité de l’être humain qui n’est pas un consommateur et un producteur seulement mais, avant tout, une image de Dieu chaque fois unique et irremplaçable, méritant d’être infiniment respectée. Nous osons croire que la sexualité n’est pas qu’une affaire de pulsions mais est un don qui peut permettre des relations profondes, durables, bienfaisantes au long des années. Ne renonçons pas jamais à vivre à la hauteur de cette idée-là de l’homme, voulu par la bonté du Père et appelé à en être le porteur.