L’évêque de Chartres écrit à ses diocésains :
Chers amis et diocésains d’Eure et Loir,
Quelle joie de pouvoir, dans la fraternité authentique que nous donne notre attachement au Christ et en ce temps liturgique particulier, vous adresser ces quelques mots. Voici que s’ouvre devant nous le Carême. Et ce Carême est un moment de grâce et de gloire. Loin de l’austérité à laquelle on l’associe si souvent le Carême est un moment de joie : l’Église nous offre quarante jours pour marcher avec Jésus qui monte à Jérusalem pour vivre sa passion. Ce temps de grâce s’ouvre chaque année par le mercredi des Cendres pendant laquelle l’Évangile nous propose de vivre « dans le secret » la prière, le partage et le jeûne (Mt 6,1-18).
Reprenons ces trois fondamentaux du carême :
Prier.
C’est respirer et vivre à l’écoute de Dieu, laisser l’Esprit Saint inspirer au quotidien nos cœurs assoiffés d’amour. Mais l’homme contemporain s’est habitué à vivre sans Dieu. YouTube, Deezer ou encore Spotify comblent – ou au moins encombrent – nos oreilles munies d’écouteurs. Quel autre Dieu puis-je encore écouter ? Quelle voix peut encore nous séduire ? Pour beaucoup, prier c’est dire ses prières. Prières du matin et du soir comme les aînés l’ont appris il y a longtemps. Pour sainte Thérèse, prier c’est un simple regard jeté vers le ciel, un mot d’amour adressé à Dieu, une respiration de l’âme. Prier c’est une relation entre deux êtres, entre Dieu et l’homme. Quel mystère : l’homme, malgré sa pauvreté et sa petitesse, est capable et digne de communion avec son Créateur. Prier lui est même essentiel. Seule la prière permet à notre volonté de s’accorder à celle du Père éternel. « Père, que ta volonté soit faite » (Mt 26, 42). Le carême, en nous invitant à prier, nous permet de découvrir cet appel spécifique du cœur à cœur que Dieu adresse à tout homme : prier seul en se retirant dans ma chambre, prier ensemble en prenant du temps en groupe ou en paroisse. Prier avec la Parole de Dieu surtout, avec le Magistère, avec les saints aussi. Prier. Ne pas négliger ce temps, nécessaire, essentiel, vital. Dieu est avec nous comme l’amoureux fou d’amour qui ne désire qu’une chose : vivre ce cœur à cœur.
Partager.
L’actualité nous le rappelle : le partage est également essentiel pour l’Homme. Les gilets jaunes ont lancé un cri. Celui-ci me rappelle le tableau de Edvard Munch intitulé Le Cri. Le personnage est peint pour exprimer une grande détresse, mais sa bouche largement ouverte semble n’émettre aucun son car ce dernier se perd dans le vide balayé par le vent de l’indifférence. Nous pouvons partager tant de choses : notre temps, nos talents, notre argent. Comme offrir sa dîme, une part de ce qui nous est important, de ce qui compte. Donc pas seulement mon trop plein, ce dont je n’ai pas besoin, mes restes inutiles dont je me débarrasserais. Non, plutôt la bonne part voire la première part, non le superflu mais bien le nécessaire de la veuve qui verse son obole (Mc 12,44). Jésus met en garde l’homme qui thésaurise pour l’avenir en bâtissant des greniers car sa vie peut lui être redemandée demain (Lc 12,20). Le partage, c’est expérimenter la joie du don dans la rencontre à travers telle association d’entraide et la joie de la rencontre d’hommes et de femmes différents et riches en humanité. La pauvreté de tant de personnes nous demande parfois de nous priver et de sacrifier une part de ce que nous avons. Mais quelle joie dans ce don de notre nécessaire.
Jeûner.
Il est des démons et des mauvais esprits qui ne se chassent que par la prière et le jeûne dit Jésus (Mt 17,21). Beaucoup d’entre nous n’ont pas toujours été mis en garde, et ne se sont pas préparés au combat spirituel contre les êtres invisibles (Eph 6,12) qui veulent ruiner le merveilleux plan du Salut. Par naïveté, par orgueil aussi, nous considérons souvent que nous pouvons faire face aux tentations par nos forces et notre intelligence. Et nous chutons. Peu à peu, nous nous habituons à la distance d’avec Dieu, à l’indifférence vis à vis des personnes frappées par des drames, au climat impur des films et des émissions télévisuelles dans lesquelles Dieu est toujours le grand oublié, au divorce et aux modes de vie contemporains en contradiction ave c l’appel de Dieu, aux guerres que font les autres loin de nous, à l’esprit de mort qui élimine l’enfant dans le sein maternel, à l’oubli ou même à la maltraitance du vieillard oublié, etc… La tentation est grande et elle nous rend inerte. Le jeûne est l’arme du chrétien contre le démon. Le jeûne nous détourne de nos désirs superflus et nous ouvre à l’Esprit de Dieu. Par le jeûne nous pouvons être vigilants dans la prière (Col 4,2) et acteurs zélés en vue du bien, dans notre Église comme en société. Le vendredi est le jour privilégié pour cela, mais chaque jour de ce carême peut être l’occasion d’une petite offrande, ces « petits sacrifices » que sainte Thérèse de l’Enfant Jésus aimait tant, afin de nous ouvrir d’autant plus aux autres. N’oublions pas la demande de Jésus : « quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret, ton Père qui voit au plus secret te le rendra » (Lc 6, 17-18). Jeûner dans le secret, par amour.
Prier, partager, jeûner.
Chaque carême est aussi une marche spirituelle pour accompagner les frères et sœurs catéchumènes qui seront baptisés à Pâques et nous ferons l’immense joie de leur oui à l’entrée dans la vie chrétienne. Ils ont besoin de se savoir entourés. Ils nous encouragent par la joie de la rencontre de Jésus. Mais leur combat peut être rude car la vie concrète ne les épargne pas plus que les autres, et le malin essaye souvent, pendant ce temps qui précède leur baptême, ses ultimes armes pour les détourner d’un si grand don. La tentation du doute se fait forte, la communauté ecclésiale apparaît moins attirante, la vie en Christ difficile voire repoussante. C’est là que l’accompagnement personnel et que la fraternité priante se révèlent particulièrement précieux. Sans prière, point de salut. Par nos vies attachées au Christ, par nos mots d’encouragement, redisons à nos catéchumènes combien être chrétien est merveilleux. La fidélité se gagne par des actes de fidélité quotidiens, simples et persévérants. Notre prière, notre partage et notre jeûne seront les supports de la route de conversion de nos communautés dans lesquelles ces futurs baptisés prendront leur place.
Qui allons-nous rencontrer durant ces jours de carême ?
Qui est ce Jésus avec qui nous monterons vers Jérusalem pour l’accompagner dans sa déréliction, la trahison des hommes, la condamnation et l’exécution ? Souvent, nous aimons parler de Jésus comme de notre ami. N’a-t-il pas dit aux disciples « je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître (Jn 15, 15) ». Jésus est notre ami. Il est aussi, nous l’oublions parfois, le Verbe fait chair (Jn 1,14), vrai Dieu et vrai homme, qui offre sa Vie pour nos péchés. Il est tentant de s’imaginer un Jésus qui nous convienne et qui ne nous contraigne pas à nous convertir car nous résistons à changer de vie. Jésus, en sa Passion, ne peut nous laisser indifférent si nous osons le contempler vraiment. Il est le crucifié, l’homme maudit et abandonné, celui qui était « sans apparence ni beauté qui attire nos regards » (Is 53, 3), « méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance » (Is 53, 4) et qui cependant pardonne : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34). Ainsi devenir plus disciple en ce carême, c’est se faire proche de la souffrance du Christ et porter avec Lui, humblement, le mal que font les hommes quand ils s’écartent de leur vocation à aimer. La vie chrétienne ne peut être indifférente aux épreuves du monde, elle ne peut se faire distante des autres, de l’autre. Par le baptême, elle nous a donné la grâce d’une communion avec nos frères et sœurs. Cette communion vaut dans la joie comme dans la peine. Le carême est ainsi l’occasion toute particulière de nous rapprocher des personnes plus souffrantes. En dresser la liste serait illusoire. Mais à la suite du Saint-Père, nous pouvons porter spécifiquement dans nos prières les victimes de toutes les formes d’abus subis dans l’Église. Aujourd’hui, un chemin de vie est emprunté associant compassion, écoute et vigilance. Certains frères et sœurs en Christ ont été les victimes de ces agressions. Le carême peut être plus douloureux pour eux. Nous les porterons dans nos prières, tout en demandant à Dieu de nous délivrer du mal et de le « fuir avec horreur ».
La Parole de Dieu méditée fidèlement
Tant de choses spirituelles pourraient être ajoutées à ces lignes. Rien cependant ne remplacera la Parole de Dieu méditée fidèlement. Aussi, que chaque chrétien s’attache aux textes bibliques qui sont ceux de la messe quotidienne. Durant le carême, ils constituent comme les pierres solides du gué qui nous permet d’atteindre la rive sur laquelle le Seigneur nous attend pour festoyer. Les noces éternelles de l’Agneau (Ap 19,7). Le Carême est un chemin de grâce et de gloire.
+ Mgr Philippe Christory