L’évêque de Saint-Claude, Mgr Jordy, répond à la Voix du Jura. En voici quelques extraits :
Je suis évêque de Saint-Claude depuis 7 ans. Il y a deux ans, j’ai activé une cellule de veille et j’ai été contacté par des personnes. Il y a eu six ou sept cas qui m’ont ainsi été signalés, mais c’était des histoires très anciennes et la plupart des prêtres mis en cause étaient décédés. Trois personnes au moins avaient été abusées dans leur enfance, et me faisaient part de souffrances encore très présentes. Une situation concernait un prêtre encore en vie, j’ai fait ce que je devais faire en alertant la justice, mais il est décédé peu de temps après. J’ai répondu à toutes ces personnes, je leur ai dit ma désolation, je les ai reconnues en tant que victimes. Je pense que c’est ce qu’elles souhaitaient.
Aujourd’hui, la parole des victimes se libère, mais le sujet doit rester difficile à aborder avec des prêtres ?
Longtemps, les prêtres ont eu la méconnaissance de ces choses-là. Quand quelqu’un disait ‘il y a un problème’, on pensait le fait anecdotique, car personne n’osait imaginer qu’un confrère pouvait faire ça.
Quand j’étais enfant, mes parents m’avaient bien dit de ne pas suivre les inconnus, mais sans plus. J’ai découvert ce qu’était la pédophilie, la souffrance abominable des victimes lorsque, jeune prêtre à la cathédrale de Strasbourg, j’écoutais les personnes se confier. Puis, en 1998, les premières révélations sont arrivées des États-Unis et on s’est dit ‘Si, c’est vrai, des prêtres peuvent fait ça’. Mais dès 1995, des consignes avaient été passées pour ne pas recevoir un enfant seul quelle que soit la raison, pas même en confession. […]
Et les fidèles, qu’en disent-ils ?
Sur le terrain, je n’ai pas été interpellé sur ce sujet. Les gens sont peut-être gênés et il m’est arrivé d’avoir des courriers. L’interrogation sur la sécurité des enfants est légitime et essentielle. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’au-delà de l’Église, nous sommes face à un problème de société. 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes, soit 4,5 millions de Français, déclarent avoir subi une agression sexuelle, dont 83 % dans le milieu familial, c’est hallucinant ! La pédophilie est une pathologie encore mystérieuse, qui touche tous les milieux sociaux. C’est un crime, parfois une maladie chez celui qui commet les faits. C’est quelque chose qui détruit profondément les personnes et le traumatisme peut gâcher une vie jusqu’au bout. Le pire est que souvent, les agresseurs ont été agressés. J’ai eu à connaître deux cas en Alsace, deux prêtres contre lesquels on avait de fortes présomptions, tous deux avaient été victimes dans leur enfance et reproduisaient quelque chose qu’ils avaient subi.
Longtemps, on a reproché à l’Église de couvrir les prêtres abuseurs, qu’en est-il aujourd’hui ?
L’Église est une communauté de vie et il n’est pas facile, quand on est dans une communauté, d’exclure quelqu’un qui a mal agi. Dans la plupart des diocèses, des cellules ont été mises en place et en cas de révélation de faits, le signalement à la justice est systématique. Déjà parce qu’on n’est pas nécessairement les mieux placés pour discerner les choses. Ensuite parce qu’on n’a pas les outils, on n’a pas la distance. Quand une information vient sur un soupçon, dès que ce soupçon est étayé, on transmet à la justice.
Mais la pédophilie d’un séminariste reste indétectable ?
La plupart du temps, nous n’avons pas de signaux de ces comportements déviants. Quand on est prêtre, il faut trouver le point d’équilibre, la juste distance. On sait qu’il peut y avoir des formes pathologiques lorsque les personnes ont autorité sur les enfants. Derrière la pédophilie, il y a abus de pouvoir et manipulation. La règle est, lorsqu’on s’occupe d’enfants, qu’on n’établit pas de lien privilégié avec un jeune plutôt qu’avec un autre. Aujourd’hui, on pourrait ajouter qu’on ne crée pas non plus de discussion par SMS ou de contact par Snapchat… […]
La société doit s’interroger comme le Pape l’a fait sur cette culture de la pornographie qui se répand à travers Internet, le tourisme sexuel. Il y a là une question globale. On est face à un problème universel et transversal. En aucun cas, une personne ne peut être traitée comme un objet.