Message de l’évêque de Beauvais, Noyon et Senlis aux religieuses, religieux et personnes consacrées du diocèse Beauvais, le 8 mars 2019. Sa réflexion sur l’obéissance est intéressante et légitime, au-delà de la question des abus, notre volonté de discerner parmi les ordres épiscopaux ceux qui relèvent de l’abus de pouvoir :
Depuis quelques temps, l’actualité accumule des nouvelles consternantes concernant l’Église. Certaines personnes ayant autorité (évêques, prêtres, religieux) ont abusé de leur condition et de l’autorité qui lui est attachée pour perpétrer des actes inimaginables et absolument condamnables à l’encontre de personnes mineures ou fragiles. L’émission « Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église », mardi 5 mars dernier, sur Arte, a asséné un nouveau coup, d’autant plus redoutable qu’elle exposait les abus subis par des femmes consacrées, allant jusqu’à l’avortement commandé. Des abus de pouvoirs et de position ont humilié des femmes à qui des abuseurs, eux-mêmes consacrés, ont volé le bien précieux d’un corps qu’elles voulaient offrir à Dieu seul. L’ampleur du phénomène, à l’échelle du monde, les complicités mises en œuvre, les silences gardés par tant de personnes et durant des années, mettent l’Église au cœur d’un cyclone diabolique qui en atteint la sainteté, en ternit l’image et en discrédite le message.
Je vous imagine dans vos communautés, abattus par ces faits, ce qu’ils révèlent, ce qu’ils mettent en jeu et en cause. Je vous imagine honteux et dans la souffrance avec les victimes connues et inconnues. Je vous imagine près du Seigneur Jésus-Christ, humiliés, souffrants, aimants. Je vous imagine et je vous rejoins dans cette souffrance, dans le silence et dans la prière.
Nous savons, nous baptisés, que votre consécration résulte non seulement d’un appel, mais aussi d’une offrande totale de vos vies. Nous savons que cette offrande, nous devons la recevoir comme un signe de la sainteté de Dieu, comme un don qu’Il fait de sa générosité pour son Église et pour le monde, comme un trésor précieux mais fragile, à protéger. Je veux vous redire ma profonde estime et toute mon affection pour votre présence parmi nous, pour votre témoignage et votre fidélité. Je veux vous demander pardon, en cette circonstance, pour toute l’indifférence ou la déconsidération que vous avez pu ressentir de notre part.
Je veux exprimer, ici et à nouveau, la condamnation la plus claire de ces faits d’abus. J’invite celles et ceux qui auraient pu être victimes de tels agissements pervers et totalement incompatibles avec l’Evangile et toute consécration, à se manifester. Il doit être possible de le faire au niveau de chacun de vos Instituts, ou au niveau de la CORREF. Sinon, « la cellule d’accueil et d’écoute de victimes d’actes de pédophilie » du diocèse, pourra être un premier lieu d’accueil pour faire entendre votre parole, même au-delà d’une situation de pédophilie. (Cf. Courriel « écoute.victimes@oise-catholique.fr », ou par téléphone au 03 44 06 28 25 – de 9h à 12h30 et de 14h à 17h, du lundi au vendredi-). Je demeure moi-même disponible pour continuer à accueillir les personnes concernées qui le souhaiteraient.
La situation actuelle, avec les turpitudes et les drames, les compromissions et les silences, les défaillances et les tâtonnements qu’elle révèle, est assurément une invitation à examiner sa conscience, se convertir, faire pénitence. Pour la plupart d’entre vous, vos Instituts donnent des orientations et vos communautés de vie savent vous soutenir dans leur mise en œuvre.
Comme je l’ai déjà demandé aux prêtres du diocèse, je vous encourage à prier particulièrement durant ce temps de Carême dans lequel nous entrons, pour toutes les personnes victimes et leurs proches, ainsi que pour les abuseurs souvent enfermés dans le déni, et qui n’en demeurent pas moins des personnes sur lesquelles nous ne possédons pas le jugement ultime. Le vendredi qui nous unit plus étroitement au Christ, en sa Passion d’amour pour le monde, pourrait particulièrement convenir.
Dans le respect de votre autonomie, permettez-moi, fraternellement, de vous faire une autre suggestion. Ne conviendrait-il pas d’engager une réflexion pour redécouvrir et approfondir, ce que signifie « obéir », aujourd’hui ? Parmi les témoignages entendus, il s’en est trouvé qui ont révélé une mauvaise compréhension de cet engagement structurant de la consécration religieuse. Dans la mesure où l’obéissance mal comprise peut faciliter diverses formes d’abus, il convient d’examiner les manières dont elle est demandée par les supérieurs et vécue et consentie par les membres. S’attrister des abus désormais connus est notoirement insuffisant si cela ne déclenche pas une réflexion et des actions pour qu’ils ne se reproduisent pas. L’obéissance est assurément une vertu majeure qui s’inspire de celle du Christ. Mais l’obéissance du Christ à la volonté de son Père n’a jamais été une négation et un abandon de son discernement et de sa conscience. Des « adaptations » sont à faire entre l’obéissance du Christ enracinée dans la perfection divine de sa relation à son Père, et l’obéissance entre des personnes toujours marquées par la blessure, la fragilité, voire des pathologies mortifères. Une imitation qui soit véritablement humanisante, libre, responsable et conforme à la dignité inviolable de la personne humaine, telle doit être cette obéissance vécue dans la vie consacrée.
En terminant cette lettre, chers soeurs, chers frères, je vous redis ma gratitude, ma prière, et mon dévouement. Que la fidélité du Seigneur Jésus et la force de l’Esprit Saint vous accompagnent pour que votre consécration demeure source de joie, de confiance en Dieu et de rayonnement, partout où vous pouvez être.