Suite à cet article, un lecteur réagit :
I.
1. Ce qu’il nous faut, c’est une actualisation de cette forme d’analyse et de dénonciation, “madiranienne” de la poursuite actuelle de l’auto-décatholicisation et de la post-modernisation du catholicisme, cette décatholicisation, hier “conciliaire”, aujourd’hui “évangélique”, demain “synodale”,
- ayant été, globalement ou grosso modo, “communisante”, dans les années 1960-1970, puis “socialisante”, dans les années 1980-1990, avant de commencer à être “sociétalisante”, c’est-à-dire croire-ensembliste, en l’homme, et vivre-ensembliste, en ce monde, depuis le début des années 2000,
- ayant rendu possible la soumission de l’Eglise à une conception iréniste et utopiste des réflexions sur, et des relations avec les confessions chrétiennes non catholiques, dans le cadre d’un genre de dialogue interconfessionnel oecuméniste ; avec les religions non chrétiennes, dans le cadre d’une sorte de dialogue interreligieux unanimiste ; et avec telle conception dominante de l’homme et du monde, d’abord dans le cadre du gaudium-et-spisme post-conciliaire à la française, ensuite dans celui de ce que l’on appelle, au moins depuis mars 2013, le dialogue interconvictionnel.
2. Il est question de raisonner ici, non avant tout en termes d’apostasie ou d’hérésie, mais bien plutôt en termes d’oxymore et d’utopie, car nous sommes aujourd’hui en présence d’un christianisme catholique qui est “contemporain” non seulement sous l’angle chronologique, mais aussi, en assez grande partie, sous l’angle axiologique ou idéologique, et qui se dit ou, en tout cas, se veut, assez souvent, post-orthodoxe et post-réaliste.
3. Ainsi, en cherchant bien, on pourra trouver quelqu’un qui aura la présence d’esprit de préciser ou de rappeler davantage ce qui suit :
a) cette hérésie du XX° siècle est plutôt une utopie de la deuxième moitié du XX° siècle, ou a pour conséquence une utopie, qui se situe dans le prolongement de tout un ensemble, dont les principaux éléments fondateurs sont apparus avant la fin du premier tiers du XIX° siècle, notamment
- dans la conception de la conscience de l’homme qui est proche de celle, ou telle que celle de Kant,
- dans la conception du devenir du monde qui est proche de celle, ou telle que celle de Hegel,
- dans le catholicisme libéral, tel qu’on le trouve à partir des idées et de l’oeuvre de Lamennais,
- dans le protestantisme libéral, tel qu’on le trouve à partir des idées et de l’oeuvre de Schleiermacher ;
b) les experts et les Pères du Concile qui ont cru devoir prêter la main à la préparation puis à la validation des premières parties de Dignitatis humanae et de Nostra aetate, à la deuxième partie de Gaudium et spes, et à Unitatis redintegratio, ont manifestement cherché à procéder
- à une conciliation entre la conception catholique et une conception libérale de la liberté, dans le domaine de la religion,
- à une conciliation entre la conception catholique et une conception agnostique de la religion, et surtout des religions non chrétiennes,
- à une conciliation entre la conception catholique et une conception libérale ou socialiste d’une partie des thèmes présents dans Gaudium et spes, comme on le voit dans les chapitres II (sur la culture) et IV (sur la communauté politique) de la deuxième partie de cette constitution pastorale,
- à une conciliation entre la conception catholique et une conception protestante libérale, à propos des réflexions catholiques sur, et des relations des catholiques avec les confessions chrétiennes non catholiques, et vis-à-vis des réflexions et des relations entre les diverses confessions chrétiennes.
Le point a) qui précède décrit la toile de fond intellectuelle dont l’influence a rendu possible, 130 ans après, l’apparition de ces quatre “conciliations”.
4. Une autre réflexion ou remarque s’impose : cette hérésie du XX° siècle, ou plutôt cette utopie de la deuxième moitié du XX° siècle, est tellement une “hérésie des évêques”, pour reprendre l’expression de Jean Madiran,
- qu’il est même arrivé, dans les années 1960-1970, qu’elle soit l’hérésie, ou l’utopie, la plus proche possible du premier d’entre les évêques, à Rome,
- qu’il est aussi arrivé, dans les années 1980-1990, qu’elle soit l’hérésie, ou l’utopie, la plus proche possible du premier, parmi les évêques, le dialogue interconfessionnel oecuméniste, et surtout le dialogue interreligieux unanimiste, étant allés bien plus loin sous Jean-Paul II que sous Paul VI.
5. Comment sortir de cette perspective ou de cette tentative de transformation du christianisme catholique en une religion de l’oxymore, dans le cadre de laquelle bien des ambivalences, incohérences, inconséquences, inconsistances sont justifiées, légitimées, valorisées, véhiculées, tout en étant d’autant plus dissimulées dans leurs causes, ou minimisées dans leurs effets, que l’on considère communément et confusément qu’une incohérence inconséquente n’a pas à être considérée comme telle, dès lors qu’elle est “bien intentionnée”, en direction de l’extérieur de l’Eglise ?
6. Avant et afin de commencer, ou de continuer davantage, à en sortir, il est nécessaire de rendre compte de l’une des caractéristiques fondamentales du christianisme catholique contemporain, lequel, manifestement, et assez souvent,
– ne se veut pas avant tout surnaturellement, théologalement, missionnairement et trinitairement catholique, d’une manière confessante,
mais
– se veut avant tout axiologiquement, idéologiquement, anthropocentriquement et humanitairement contemporain, d’une manière dialoguante.
7. Pour pouvoir commencer ou continuer à en sortir, il est donc nécessaire de concevoir, puis de déployer une ligne de pensée propice à l’actualisation de ce qu’a fort bien élucidé et explicité Jean Madiran, en 1968, en précisant ou en rappelant que la crise que le christianisme catholique contemporain inflige à lui-même, au moins depuis le début de l’avant-Concile, sous Pie XII, n’est pas assimilable, et ne peut pas être réduite, à une crise d’adaptation ou d’évolution, conjoncturelle et en surface, mais est compréhensible, et doit être comprise, pour ce qu’elle est vraiment : une crise d’inspiration et d’orientation, fondamentale et en profondeur, une crise d’identité, ou plutôt une mutation de son identité, d’une extrême gravité.
8. En effet, au coeur de cette crise, ou plutôt au sein de cette mutation, que le catholicisme s’inflige, beaucoup considèrent en substance
– que ce qui devrait pouvoir faire encore autorité, d’une manière éclairante, exigeante, orthodoxe, réaliste, et qui provient de l’intérieur du catholicisme, en ce qu’il a de spécifique, ne doit pas ou ne doit plus pouvoir faire autorité, notamment d’une manière informative et régulatrice,
et
– que ce qui ne devrait pas pouvoir faire autorité, et qui provient d’une conception tout à fait adogmatique, consensualiste, idéaliste, immanentiste, inclusiviste, oecuméniste ou unanimiste des réflexions sur, et des relations avec les confessions chrétiennes non catholiques, avec les religions non chrétiennes, et avec telle conception dominante de l’homme et du monde, doit pouvoir faire autorité, d’une manière hégémonique et irréversible…
II.
9. Il est utile de développer les raisons pour lesquelles il convient d’actualiser l’analyse et l’appréciation de Jean Madiran sur la crise de l’Eglise, ou plutôt sur la mutation, ou la transmutation, du christianisme catholique contemporain, puisque bien des clercs qui en ont la charge veulent qu’il soit de moins en moins catholique et de plus en plus contemporain, non pour mieux le faire comprendre de son environnement extérieur, en tant que composante du christianisme qui fonctionne avant tout à l’annonce, en vue de la conversion et de la sainteté, mais pour mieux le faire approuver par son environnement extérieur, en tant que composante du christianisme qui fonctionne avant tout au dialogue, en vue du consensus et du suivisme.
10. Il y a au moins deux courants de pensée, particulièrement caractéristiques du catholicisme des années 1960-1970, qui ont à peu près disparu, aujourd’hui, en Europe et en France : une certaine forme d’existentialisme marxisant et un certain type d’évolutionnisme teilhardien.
11. Or, la présence de ces deux courants de pensée, dans les années qui ont précédé la publication de L’hérésie du XX° siècle, comme dans celles qui ont suivi cette publication, a eu une influence non négligeable, non seulement, bien entendu, sur la rédaction de ce livre, mais aussi, évidemment, sur la réception, ou plutôt sur la non réception du même livre, puisque, au sein même de l’Eglise, bon nombre de ceux qui auraient dû pouvoir être un tant soit peu disponibles et réceptifs pour ce livre ont été inspirés par l’un et/ou par l’autre de ces deux courants de pensée, l’articulation et la coopération entre cet existentialisme marxisant et cet évolutionnisme teilhardien ayant eu une influence considérable sur le “gaudium-et-spisme post-conciliaire à la française” qui a constitué, notamment hier, des années 1960 aux années 2000 incluses, “l’idéologie implicite” de l’épiscopat français.
12. Et il y a d’autres courants de pensée, particulièrement caractéristiques du catholicisme des années 1980, 1990, 2000 et 2010, dont Jean Madiran n’a pas eu la possibilité de parler, dans les années 1960 et 1970, alors que ces courants de pensée ont une assez grande part de responsabilité dans l’inscription de la crise de l’Eglise, ou plutôt de la mutation de l’Eglise, dans la durée et en profondeur, et dans le fait que le recentrage wojtylien, puis ratzingérien, a été, en assez grande partie, bien plus un demi-recentrage, en surface, qu’un véritable recentrage, en plénitude et en profondeur.
13. En particulier, il est certain que Jean Madiran n’a pas pu parler, dans les années 1960-1970, du dialogue interreligieux, d’inspiration pour ainsi dire panchristique et postmoderne, auquel nous avons droit depuis la fin des années 1970 ou le début des années 1980, puisque, précisément, nous n’avons droit à ce dialogue interreligieux là, avec cette ampleur et cette source d’inspiration là, que depuis le début du pontificat de Jean-Paul II.
14. De même, il est certain que Jean Madiran n’a pas pu parler, dans les années 1960-1970, de la combinaison ou du remplacement du mode de raisonnement historiciste, tout à fait caractéristique du pontificat de Paul VI, avec ou par le mode de raisonnement herméneutiste, qui a commencé à émerger à la fin des années 1960 ou au début des années 1970, dans certains cercles philosophiques et théologiques, mais qui n’a commencé à s’épanouir avec davantage d’ampleur et de portée qu’à partir de la fin des années 1970 ou du début des années 1980, sous le pape Jean-Paul II.
15. En outre, il est certain que, pendant longtemps, du début des années 1960 au milieu des années 1980, certains ont cru, de bonne foi, que le combat entre les conservateurs et les “intégristes”, d’un côté, entre les rénovateurs et les “progressistes”, de l’autre côté, était réductible à un combat entre la “droite” de l’Eglise, anti-communiste, anti-socialiste, anti-marxiste, anti-teilhardienne, et la “gauche” de l’Eglise, située à l’opposé.
16. Mais, par ailleurs, il est tout aussi certain que, au moins depuis le milieu des années 1980, c’est-à-dire depuis que “l’esprit du Concile” a été rejoint par “l’esprit d’Assise”, et depuis que l’un et l’autre de ces deux “esprits” ont été encouragés, favorisés, légitimés, valorisés par des clercs peu soupçonnables d’avoir été philo-communistes, ou même philo-socialistes, avant ou pendant le pontificat de Jean-Paul II, nous n’en sommes plus tout à fait à cette distinction, plus “politique” ou temporelle que “religieuse” ou spirituelle, entre la “droite” et la “gauche” de l’Eglise.
En d’autres termes, il semble vraiment que nous soyons aujourd’hui en présence d’une bi-polarisation, au sein de l’Eglise, qui n’a plus tout à fait les mêmes fondements, ni le même contenu, qu’entre 1965 et 1985, et une actualisation de l’analyse et de l’appréciation de Jean Madiran sur les origines, les composantes et les conséquences de la crise de l’Eglise, ou plutôt de la mutation de l’Eglise, pourrait permettre d’expliciter le spécifique de cette nouvelle bi-polarisation, probablement entre les catholiques avant tout “confessants” et les catholiques avant tout “dialoguants”.
III.
17. Hier, Jean Madiran et quelques autres intellectuels catholiques ont été confrontés, dans les années 1960-1970, à des intellectuels catholiques, rénovateurs ou progressistes, qui, certes, étaient vraiment rénovateurs ou progressistes, et d’une manière très idéologique ou très intellectualiste.
18. Mais, aujourd’hui, il crève les yeux que si, de nos jours, des intellectuels catholiques, orthodoxes et réalistes, et non irénistes ni utopistes, essayaient de critiquer davantage, d’une manière explicite et spécifique, la poursuite de l’auto-décatholicisation post-conciliaire à laquelle nous avons droit depuis 1965, ils seraient confrontés, notamment, non à des idéologues ni à des intellectuels à peu près dignes de ce nom, mais à des néo-catholiques postmodernes et sentimentaux, qui semblent vraiment croire en ceci : “il suffit d’aimer” les confessions chrétiennes non catholiques, les religions non chrétiennes et les traditions croyantes non chrétiennes, telle conception dominante de l’homme et du monde, “l’Europe”, “les migrants”, etc., dans le respect de telle conception consensualiste fraternitaire de l’inclusion au sein ou autour de l’Eglise, ou dans celui de telle conception inclusiviste périphériste du dialogue interreligieux et du dialogue interconvictionnel. Oui, manifestement, pour certains d’entre eux, “il suffit d’aimer”, par la foi en l’homme, pour la gloire de l’homme, pour le bonheur de l’homme dans le monde et pour la paix entre les hommes dans le monde.
19. Du temps de Jean Madiran et dans les années 1960-1970, des intellectuels catholiques rénovateurs, proches de, ou tels que Congar, Rahner, etc., avaient des connaissances théoriques et des connaissances historiques considérables, en philosophie, en théologie, etc. On pouvait ne pas être d’accord avec eux, et le moins que l’on puisse dire est que la suite a montré que ceux qui n’étaient pas d’accord avec l’anthropologie rahnerienne et avec l’ecclésiologie congarienne n’avaient pas tort, mais nul ne pouvait contester l’érudition philosophique et/ou théologique de ces rénovateurs.
20. Mais, aujourd’hui, surtout, apparemment, depuis le début des années 2010, on ne peut qu’être effaré par la mièvrerie ou la pauvreté des arguments mis en avant par les continuateurs ou les imitateurs des rénovateurs ou des progressistes d’hier, les décatholicisateurs ou postmodernisateurs d’aujourd’hui considérant en substance que leurs contradicteurs n’ont pas le niveau, ou ont un point de vue déficient en charité chrétienne, ou ont un point de vue dépassé par l’évolution des mentalités, ou encore ont un point de vue qui porte atteinte à l’orientation préférentielle de l’Eglise, qui n’est plus avant tout enseignante, mais qui est désormais avant tout écoutante, en direction de “l’avenir” et de “l’unité”.
21. Il y a d’ailleurs un signe qui ne trompe pas, sur l’absence d’arguments des pérennisateurs de l’auto-décatholicisation post-conciliaire : c’est leur autoritarisme “évangélique”, au préjudice de leurs contradicteurs, qui sont ainsi sommés d’obéir à des clercs qui, EUX, n’obéissent pas, ou n’obéissent plus aux références et aux thématiques respectueuses du catholicisme, et transmettrices du catholicisme, qui devraient pouvoir continuer à faire autorité, au sein de l’Eglise catholique. Certes, cet autoritarisme (hier “conciliaire”, demain “synodal” ?) a existé dès les années 1960, mais il semble vraiment que, depuis le début de cette décennie, il soit au moins autant à l’ordre du jour que dans les années 1960 et dans les années 1970.
22. Et l’on en arrive à présent à la “dernière” raison pour laquelle il semble vraiment indispensable d’actualiser l’approche de Jean Madiran, marquée par les années 1960-1970 ; celui-ci, sous Jean XXIII, puis sous Paul VI, a eu en face de lui des clercs décatholicisateurs qui ont longtemps cru que cette orientation programmatique, ou que cette stratégie globale, allait finir, tôt ou tard, par donner des fruits, les sacro-saints “fruits du Concile”.
23. Mais aujourd’hui, les continuateurs des clercs critiqués par Jean Madiran et par d’autres auteurs savent bien, EUX, et même très bien, que cette orientation programmatique, ou que cette stratégie globale, placée sous le signe de la dénaturation ou de la dérégulation de la foi catholique, en tant que théologale, de la morale chrétienne, de la liturgie ou des sacrements de l’Eglise, et de la vie chrétienne, en tant que surnaturelle, donne assez peu de fruits, ou ne donne pas de fruits, et ils savent même qu’elle donne assez peu ou pas de fruits au sein de la vie morale et de la vie spirituelle d’une partie des clercs qui y adhèrent le plus…
24. Voilà, il faut bien le dire, toute la différence de perception, ou de “ressenti”, entre les années 1960-1970 et les années 2010 : Jean Madiran a eu en face de lui des clercs qui se sont permis de mépriser ou de négliger ses analyses et ses appréciations, parce que, en gros, il était dépassé, il était du passé, alors qu’eux étaient des “bâtisseurs d’avenir”, inspirés par une conception “conciliaire” de l’avenir, orientés vers une relation “conciliaire” à l’avenir, qui ont longtemps cru que leur dynamique “pastorale” allait finir par commencer à donner, chaque année, un peu plus de fruits…
…Alors qu’aujourd’hui, un évêque diocésain, depuis l’intérieur de l’Eglise qui est en France, qui dirait, en substance, que le catholicisme souvent dit “identitaire” incarne un passé révolu, tandis que le catholicisme parfois dit “humanitaire” incarne un avenir prometteur, provoquerait, dans certains milieux mieux informés et plus lucides que d’autres, un gigantesque éclat de rire, compte tenu du fait que les vocations religieuses et sacerdotales sont souvent d’un côté, et que les fermetures de communautés religieuses, de séminaires et de presbytères sont souvent de l’autre côté…